Lovecraft et l'Astrologie

Science contre Chalatanerie

Essais sur l'Astrologie

par H. P. Lovecraft & J. F. Hartmann

 

 LE DECLIN DE L'ASTROLOGIE 

 

Au Rédacteur en chef de l'Evening news :

En lisant attentivement la réponse quelque peu tardive de Mr. Hartmann à ma lettre à l'Evening News du 10 octobre, je suis impressionné par le ressentiment que l'astrologue semble nourrir à mon égard, en estimant que j'ai été excessif avec lui. Peut-être mon mépris pour les erreurs puériles du savoir astrologique m'a-t-il conduit à être trop caustique avec mon adversaire, aussi voudrais-je l'assurer que je respecte la sincérité de ses opinions, et que j'admire l'esprit avec lequel il défend sa pseudo-science. Dans la présente lettre, je m'évertuerai à éviter de dénoncer et de ridiculiser Mr. Hartmann qui proteste si fort. Mais je tenterai l'expérience nouvelle qui consiste à stopper mes attaques, et à adopter une attitude défensive, en m'efforçant simplement de justifier le rejet actuel universel de l'astrologie par le public intelligent.

L'astrologie fut contemporaine de l'astronomie. Elle était réellement, comme je l'ai indiqué dans mon précédent article, le résultat naturel de l'observation de la voûte céleste par un groupe jeune et immature. Dans les temps très anciens, ce fut d'une réelle valeur pour la science par suite de la motivation qui engendrait l'observation précise et l'étude méticuleuse des corps célestes. Les connaissances en astronomie des Chaldéens étaient totalement, en fait, le fruit de l'ardeur de leurs astrologues. Ainsi, avant l'avènement de l'exactitude scientifique moderne, l'étude des vérités et des mensonges célestes se poursuivit de concert dans une parfaite harmonie. Aucune ne pouvait affirmer avoir la préséance sur l'autre, l'astrologie s'en trouvait ainsi gratifiée. Durant tout le Moyen Age et la première Période Moderne, l'astrologie jouit du statut d'enseignement des branches respectées. Chaque monarque avait un, ou des astrologues, au(x)quel(s) il se référait pour tous les projets étatiques, que ce soit la guerre ou la paix. Bien qu'à la période de la Renaissance, quelques esprits passionnés aient percé l'enveloppe interne et découvert le fondement vraiment peu consistant de cet art, il n'en était pas moins, en général, cultivé par toutes les classes, avec au premier plan, celle des astronomes. Kepler, avant de renoncer à ses notions absurdes les plus patentes, défendit âprement la vérité sous-jacente de l'astrologie, et rendit compte de ses vues dans une brochure intitulée De Fundamentis Astrologiae Certioribus (1601) 61 . Lord Bacon et Sir Thomas Browne croyaient de même à l'influence des cieux. 62 C'est après le règne de Charles II que le public a tout juste commencé à douter de l'authenticité de l'astrologie, et on accorda au célèbre William Lilly, probablement conscient d'être lui-même un charlatan, un très grand crédit, puisqu'il fut appelé par la House of Commons 63 pour prédire le résultat de certains textes législatifs.64

On peut entrevoir, avant la découverte de l'évidence contraire décisive, que l'astrologie ne rencontra d'opposition ni des astronomes ni des gens en général. Aussi longtemps qu'un homme de sciences pouvait trouver quelque raison à croire que c'était la vérité, elle se trouva sur le même pied d'égalité que les autres études sérieuses. L'unique intolérance et le préjugé aveugle que l'astrologie provoqua jamais vint de l'Église naissante ; mais l'hostilité ne s'étendit pas à chaque ministère, et n'eut aucun lien avec le dernier retournement de l'art vers les champs de la rationalité.

L'effondrement de l'astrologie fut la conséquence inévitable du progrès de l'intellectualisme, des nouvelles découvertes scientifiques, qui développèrent des modes de raisonnement, un examen plus sensé de l'Histoire, et des recherches plus judicieuses des astrologues dans leurs prophéties. Il devint évident que de nombreuses prédictions astrologiques avaient été annoncées de manière approximative, que la plupart des précisions étaient formulées dans un style vague, qu'on pouvait les interpréter pratiquement de toutes les façons, que les astrologues les plus célèbres étaient de toute évidence des imposteurs qui tiraient seulement leurs conclusions de figures astucieuses ou d'une connaissance profonde de la nature humaine, et que ceux des plus honnêtes qui pratiquaient l'astrologie récoltaient les échecs les plus évidents. Dans le même temps, ceux qui étudiaient avec sérieux, parfaitement familiarisés avec les méthodes astrologiques et astronomiques, commencèrent à réaliser la totale absurdité de leurs études. Ils s'aperçurent que le principe fondamental d'établissement des horoscopes, l'analogie entre la naissance de l'homme et l'ascendance d'une étoile, demeurait purement allégorique.

Ils virent que les qualités diverses attribuées à de nombreuses planètes et leurs positions dans le Zodiaque dérivaient entièrement des dieux et des monstres mythiques qui avaient donné leur nom aux planètes et aux étoiles. Non seulement cela démontrait que les prédictions astrologiques étaient erronées , mais aussi que la méthode utilisée pour les faire était fausse. En outre, on ne trouvait aucune raison pour que les cieux puissent, en aucune façon, avoir quelque influence ou indiquer quoi que ce soit sur les vies et sur les destins de l'espèce humaine. Quelle prétexte, alors, pouvait avoir quelqu'un pour adhérer à une croyance non vérifiée par la moindre particule de preuve, et ne possédant pas la plus mince ombre de probabilité ? Même si cela ne constitue pas la preuve la plus claire en défaveur de l'astrologie, l'absence complète de preuve suffirait à justifier son abandon. L'astrologie est décédée de mort naturelle et honorable ; et le monde se borna à demeurer en paix, car il ne voulait pas devenir l'objet de mépris et de ridicule. Mais le public, celui qui n'était pas intéressé par la croyance et qui ne pouvait pas être intolérant vis-à-vis d'un art qu'il savait obsolète, continua, avec l'avidité des charlatans et les caprices des excentriques, à l'avoir en point de mire. Les premiers adversaires de l'astrologie étaient parfaitement au courant de ses principes, et tiraient de leur connaissance les seules matières à discussion dont ils pouvaient user contre elle. Mais l'étude de la pseudo-science s'éteignit naturellement parmi les gens intelligents dès que sa fausseté eut été clairement établie. Gaspiller sa vie en accumulant des informations qu'on savait pertinemment fausses, et qui devaient sérieusement entraver l'acquisition de vraies connaissances, devait être ridicule. On ne peut perdre de précieuses années à renouveler les erreurs de nos lointains aïeux ; nous devons plutôt tirer profit des vieilles bourdes, et chercher à éviter le mensonge en faveur de la vérité. C'est pourquoi des auteurs, des éditeurs, et des institutions d'enseignement réputées ont cessé de propager les erreurs de l'astrologie, et la génération actuelle n'hésite pas à déclarer sa complète désolidarisation sur ce sujet. Les mensonges de ceux qui versent dans ces mystères ont été prouvés à maintes reprises, de même qu'il a été démontré que l'astronomie n'est pas entachée de fausseté. Nous n'avons pas besoin d'être redondant. Pourquoi Mr. Hartmann ne nous demande-t-il pas, une fois de plus, de nier la théorie ancienne, abandonnée, de Ptolémée sur l'univers ?

Laissez-moi à présent, examiner, de façon détaillée, certaines affirmations de mon adversaire. Il déclare, presque sur un ton grave, que " Lorsque les médecins disent que les phases de la lune influencent leurs patients, les astronomes le reconnaissent ". J'éprouve le besoin de répondre fermement qu'aucun astronome à l'heure actuelle n'accorderait de crédit à une assertion aussi absurde, pas plus qu'un médecin rationaliste ne le ferait.

Un autre paragraphe de Mr. Hartmann est vraiment amusant. Il narre qu'à une exception près, les livres d'astronomie de notre bibliothèque publique donnent aux lecteurs le sentiment que les orbites planétaires sont circulaires. J'ai lu à peu près tous les volumes en question, et je peux affirmer avec certitude qu'aucun d'eux ne colporte, pour quelqu'un d'intelligent, une telle idée. La nature elliptique des orbites est trop bien connue pour être dissimulée, même par le plus imprécis des bouquins.

Mr. Hartmann me demande, en liaison avec la dénonciation de l' " astrologie moderne commune " du charlatan, quels astrologues je considère comme anciens et quels sont ceux que je classe parmi les " extraordinaires ". Depuis que les astrologues anciens ont cru en la portée plus ou moins grande de leurs prédictions, je voudrais les nommer " scientifiques quelque peu égarés ", alors que, s'agissant des extraordinaires prophètes modernes, dont fait lui-même partie Mr. Hartmann, je pense que j'ai, dans ma précédente lettre, accordé suffisamment d'importance à leur fanatique sincérité.

Avant de conclure, je voudrais commenter la curieuse tentative de Mr. Hartmann d'explication étymologique du mot " superstition ". Il ne pourrait certainement pas obtenir des autorités qu'il cite une telle masse d'absurdités, car tout homme éduqué sait que ce mot vient en droite ligne du latin , et non du grec. " Superstition " vient du latin "superstare " de "super ", au-dessus, et " stare " 65, avoir lieu encore, la signification implicite étant qu' " avoir lieu au-dessus " confère à la stupéfaction terrorisée ou à la vénération. On peut trouver toutes ces informations dans le Webster's Unabridged Dictionary 66, qui peut être consulté pour tous problèmes de cet ordre. Cependant, je ne vois pas comment l'origine du mot, suffisamment bien connu de tous, peut intéresser Mr. Hartmann, tel qu'il l'utilise présentement.

Je me suis efforcé de traiter sérieusement d'un sujet qui, là, peut difficilement être envisagé sans sourire. Cette méthode plutôt inappropriée doit se justifier par le ton sobre et extrêmement acharné des arguments de mon adversaire.

H.P. Lovecraft,

15 décembre 1914.

[ Suite]


61. Johannes Kepler (1571-1630), astronome allemand

62. De Francis Bacon, vicomte de St-Albans (1561-1626) : " Bacon considérait l'astrologie comme remplie de superstition, mais croyait qu'elle pourrait être réformée plutôt qu'entièrement rejetée. Ces affirmations des coïncidences pourraient être vérifiées par des recherches minutieuses, et si elles s'avéraient exactes, acceptées. La possibilité d'étoiles ayant des influences sur la terre pourrait être recherchée en termes de principes physiques. Il est "certain que les corps célestes ont leur influence à côté de chaleur et de la lumière. " Cette opinion a été confirmée par la découverte de la gravitation et des ondes radio cosmiques. On est tenté de penser qu'il serait possible de prédire les comètes, les météores, les inondations, les séismes, les récoltes, les schismes séditieux et les migrations des peuples ". J. G. Crowther, Francis Bacon : the First Statesman of science (Londres : The Cresset Press, 1960) p. 68-69.

De Sir Thomas Browne (1605-1682) : " Browne [...] croit fermement que l'action thérapeutique des différents métaux correspond à l'influence de chaque planète ; ainsi Vénus, bienveillante et douce, est l'équivalent du cuivre, alors que la morose et sinistre Saturne est représentée par le plomb. L'influence pathologique des étoiles est fermement crue par ... " Edward Gosse, Sir Thomas Browne (Londres : Macmillan & Co, 1905, 1924) p; 134.

63. Mot à mot " La maison des Peuples " (NdT)

64. On peut trouver tout cela par le fait que " Merlinus Anglicus Junior " de Lilly érait lu aux troupes du Parlement en Ecosse comme une victoire futur " (Cf. Henry B. Wheatley, ed. , The Diary of Samuel Pepsys (New York : Harcourt , Brace & Co, 1926 ; 8 vols. in 3), I, p. 248n. Une autre note figure dans Lives of the Necromancers (Londres : Frederick J. Mason, 1834, pp. 431-32 : " En l'an 1666 [Lilly] fut appelé devant la commission de la maison des peuples, parce qu'il avait présenté, sur le ton de la frivolité, dans son livre Monarchy or No Monarchy,publié quinze ans auparavant, seize planches, dont l'une d'elles, la huitième, représentait des cercueils, des gens en train de creuser des tombes, et autres emblèmes significatifs de la mortalité, et, dans la treizième, une cité en flammes. On lui demanda si cela avait un rapport avec la Grande Peste et l'incendie de Londres. Lilly répliqua de telle sorte que cela laissait entendre que c'était ça. Mais il avoua ingénieusement qu'il ignorait en quelle année ces faits étaient survenus. " Christopher Hill, dans change & Continuity in XVIIth Century England (Cambridge : Harvard University Press, 1975) nomme Lilly " l'astrologue favori du Parlement " (p. 61).

 

65. Ces trois mots sont en latin dans le texte (Ndt)

66. " Le dictionnaire Intégral de Webster (NdT)