Les Révélations de Glaaki

 

Pour ouvrir cette nouvelle livraison des Révélations, je vous propose de suivre Jérémy Bérenger, notre Espion de l'Etrange, sur les traces de la Pyramide de Falicon.

Jérémy BERENGER (C)

 

Quel estivant soupçonnerait, depuis l'arc de la Baie des Anges, qu'à portée de regard averti, sur les premiers contreforts du Mont Chauve, existe une cousine germaine de Khéops. Une pyramide sur la Côte d'Azur ? Galéjade ? Que non point. Plantons le décor.

Nice s'étend au Sud, au pied du Mont Gros que prolongent vers la mer l'arête du Vinaigrier et le mamelon du Mont Boron avec son fort Vauban ; vers l'Est, la village en nid d'aigle de Falicon, en toile de fond les carrières crayeuses de Saint-André. A proximité, les ruines de l'oppidum Celto-Ligure de Châteaurenard, incluses dans le parc forestier de l'Aire Saint-Michel. Vers le Nord, le cône du Mont Chauve, volcan assagi depuis des millénaires, au cratère occulté sous les murailles d'un fort érigé à la fin du XIX ème siècle. Au loin, se découpant sur les cimes du Mercantour, et dominant la vallée de la Banquière, les vestiges acérés de Châteauneuf-Villevieille, hameau médiéval déserté de ses habitants le jour où tarirent les sources.
C'est que le terroir est versatile, comme l'est son peuple depuis les tréfonds de l'Antiquité. Depuis la Nikaïa des Grecs et le Cemenelum des Romains Vediantii, prestigieuse cité thermale agencée sur une colline - l'actuelle Cimiez , connue pour son festival de jazz - , que des aqueducs alimentaient en une eau limpide captée dans les entrailles du Mont Chauve ; depuis les Celto-Ligures, qui, préférant la rudesse des garrigues à la proximité de la mer, se livraient à une agriculture rudimentaire sur des restanques s'étageant à flanc de colline, soutenues par des murets de pierres sèches ; ils nous ont abandonné quelques castellaras aussi, on retrouve les pans éboulés de ces places fortes noyés sous les genêts et les ronces.
Isolée et troublante, la Pyramide apparaît à flanc de coteau , au détour d'un pénible raidillon creusé dans la latérite, se dressant parmi les rocailles infestées de reptiles, plantées de pins foudroyés ; un décor envoûtant, certes, même si le nostalgique de Gizeh s'avouera déçu d'être confronté à ce qu'il qualifiera de "tas de pierres". Car l'édifice est modeste, mutilé, ses arêtes ne sont pas des plus rectilignes et les mastabas primitifs n'ont rien à envier à sa gauche maçonnerie.
Aucune prétention pharaonique n'habitait les bâtisseurs de la Pyramide de Falicon, il ne s'agissait pas d'architecturer une sépulture, mais un seuil symbolique. Celui d'un temple souverain celé dans les abysses de la Ratapignata (1) nom donné par les patoisants à l'impressionnant abîme que coiffe la pyramide.
Comme on l'imagine, le caractère unique de ce site - car il semble que nous soyions en présence de la seul pyramide de France - inspira les fantasmes d'une foule d'archéoccultistes improvisés ; catalyseur d'ondes de forme destiné à alimenter les batteries d'engins extra-terrestres, cache d'un Trésor templier - étude astrologique à l'appui -(2) selon certaines rumeurs, l'illustre Aleister Crowley y aurait même célébré une messe noire ...

Nous devons la seule approche crédible de l'énigme de Falicon à un chercheur scientifique connu pour sa rigueur zététique, Henri BROCH,(3) biophysicien à l'Université de Nice Sophia-Antipolis . Soucieux de se démarquer des histrions précités, celui-ci investigua en premier lieu le gouffre de la Ratapignata, lequel était jadis fermé par une sorte de pont-levis dont on devine encore, sur la face sud du monument, le chambranle délimité par un sommaire briquetage. Dans la première salle de l'aven, Henri BROCH vit en les sept marches d'escalier, non taillées dans la calcite mais délibérément bâties, que l'on remarque parmi les concrétions dévastées, une sorte d'autel suggérant que les lieux avaient pu accueillir les adeptes d'un ancien culte. Puis, soumettant la Pyramide à un examen "technique", notre chercheur fit analyser un fragment du mortier scellant ses moellons, qui se révéla très proche par sa composition du ciment utilisé à Cemenelum, notamment dans l'érection des Arènes. Elément de réponse cautionnant une hypothèse romaine, qu'il fallait argumenter.

LA PISTE DE MITHRA

Dans cette optique, Henri BROCH orienta son étude vers les Gétules, Légions romaines émigrées d'Afrique du Nord, qui au premier siècle de notre ère introduisirent en Gaule et dans tout le bassin méditerranéen une "religion de soldats" issue de la tradition perse : le Culte de Mithra. Dieu des religions à mystères, dispensateur de l'Energie Vitale, Mithra fut aussi surnommé Sol Invictus, le Soleil Invaincu. Il naquit d'un rocher un 25 décembre et il est représenté sous la forme d'un héros coiffé d'un bonnet phrygien égorgeant un taureau, dont le sang répandu donnera naissance à la flore et à la faune. Il est parfois symbolisé par un homme à tête de lion, dont le corps est ceint d'un serpent, image du cous sinueux du soleil et du temps (4). Les rituels mithraïques étaient pratiqués dans des cavités ouvrant au Sud, où sourdait l'eau, l'initiation comportant sept degrés. Pourquoi ne pas voir en cette forme pyramidale utilisée à Falicon, un modèle architectural adopté non par réminiscence égyptienne ni par souci de symbolique, mais parce qu'il supposait une résistance plus grande aux agressions du Temps ? Car manifestement, la Pyramide n'est là que pous signaler l'existence du temple aménagé dans l'aven, et en interdire l'accès. Point n'était donc besoin d'une construction grandiose, d'autant que le site, très accidenté, était il y a encore un siècle recouvert d'une épaisse forêt.

Evidemment, il ne s'agit que d'une hypothèse des plus plausibles. En y adhérent, on sera tenté de se demander comment un édifice si surprenant par son architecture, et dont la construction pourrait remonter au tout début de l'ère chrétienne, a pu échapper à la curiosité des archéologues ... D'importantes réalisations immobilières étant projetées à Falicon, ceci dès la fin des années 70, Henri BROCH et moi-même avions tenté d'attirer l'attention du public sur la nécessité de sauvegarder le site, et d'y organiser des fouilles. Comme on l'imagine, les démarches engagées auprès des autorités n'ont donné lieu qu'à des velléités administratives.

SEPULTURE EGAREE, CHEMINEE FANTOME ET TRESOR CACHE ...

Dérangeante, la petite Pyramide ? A plusieurs titres, la rumeur populaire lui prête depuis toujours un trésor caché, supposé Templier, même si rien ne permet de penser que les Chevaliers au Blanc Manteau se sont un jour attardés sur le Mont Chauve ...

Mais éloignons-nous alentours, pour nous arrêter à de non moins fascinantes curiosités. Quelques mètres en contrebas se trouve une ancienne ferme, la Bastide, dont la tour carrée serait de facture romaine ; la sépulture d'un enfant romain, ainsi qu'une urne lui étant contemporaine, furent trouvés sur les lieux au cours des années 1920, et déposés au Musée Masséna à Nice ... qui en a perdu la trace. Non loin de là, on pouvait encore, il y a quelques années, visiter un bien curieux souterrain ; admirablement maçonné - et réutilisé comme collecteur d'eaux pluviales - il s'enfonçait horizontalement dans les entrailles de la colline, avant de bifurquer vers l'Est en deux cours segments s'achevant en cul-de-sac. En 1967, sondant ledit souterrain à la recherche d'un éventuel passage secret, Henri BROCH décela la présence d'une cavité murée, peu avant l'intersection, à environ deux mètres du sol. Ayant dégagé ce qui s'avéra être le haut d'une voûte - obturée selon l'épaisseur de la calcite, depuis au moins trois cents ans - le scientifique explora le segment inviolé, qui s'arrêtait au bas d'une cheminée circulaire elle-même obstruée ... et sciemment ; autrement dit, un puits ne pouvant être comblé qu'à partir de son orifice supérieur, il a bien fallu que les individus s'étant livrés à cette opération disposent d'une autre issue. La cheminée communiquait-elle avec les boyaux inférieurs du Gouffre de la Ratapignata ? A l'évidence non, ceux-ci étant impraticables de par leurs dimensions.
Alors ? D'où part ce conduit-fantôme, et pourquoi se donner tant de mal à en dissimuler l'accès ? cette énigme et celle de la Pyramide sont-elles ou non connexes ?
La "colline inspirée" de Falicon ne livrera jamais ses secrets. Dans les années 80, il a fallu aménager une voie d'accès au lotissement bâti autour de la Bastide : les pelleteuses ont eu raison du souterrain. Par ailleurs, le tracé de la future autoroute A 8-Bis menace directement la Pyramide : un projet pour l'heure ajourné, faute de crédits. Le site n'en garde pas moins tout son charme étrange. Ne dit-on pas que certaines nuits, de la béance noire de la Ratapignata, montent des chants impies, clamés par les laudateurs modernes d'autres cultes chtoniens ?

Les siècles défilent, les ténèbres demeurent ...

 



Restons dans l'archéologie mystérieuse et les vieilles pierres avec une contribution normande de Jérémi Sauvage, autre Espion de l'Etrange et rédacteur en chef de la Revue de l'Imaginaire.

Chronique normande

par Jérémi SAUVAGE ©


Qu'elles nous ont fait rêver ces pierres, qu'elles nous ont fait rêver, réfléchir, disserter, fantasmer... Ah ! L'Iles de Pâques, Stonehenge, Carnac... On en trouve des légendes et des mythes rattachés à ces lieux dont le nom seul dégage une aura mystérieuse. Car toujours dans ce genre de situation, l'inconnu nous dépasse. En Normandie, les mégalithes n'ont pas une réputation internationale ; pourtant, ils sont bien là, enfoncés dans le sol, baptisés menhir ou dolmen. Ces pierres ont leurs légendes propres et colportent, aujourd'hui encore, de drôles d'histoires. Les seuls chiffres dont nous disposons nous informent que l'on trouve en Normandie : 68 menhirs et 111 dolmens (dont 40 sur les seules îles anglo-normandes).
J. Mabire (5) précise que ces chiffres sont en dessous de la réalité.

La question est : comment, en ces temps, de tels monuments ont-ils pu êtres érigés ? D'emblée, je laisse de côté (provisoirement) l'hypothèse extra-terrestre. D'autres s'y sont intéressés ou s'y intéresseront mieux que moi. Je préfère nos belles légendes. Je pense, par exemple, à des histoires impliquant des héros mythiques, des géants ou des fées. Ainsi, on dit que des fées seraient venues placer ces pierres en dansant et filant : à Briquebec (Manche) existe un mégalithe appelé la table aux fées. Dans la légende populaire, ces fées sont en fait les héritières des druidesses. Mabire raconte le mariage des trois princesses à Saint Pierre-Eglise où trois menhirs disposés en triangle forme un espace sacré dominé par le chiffre trois. La place du chiffre sacré prend ici tout son importance dans l'histoire secrète normande (jusqu'au triangle d'or de Maurice Leblanc). Concernant les géants, une légende raconte que Bélénos, popularisé par l'ami Obélix, serait l'investigateur du menhir de Neaufles (Eure). On retrouve, par ailleurs, cette légende du géant pour expliquer Stonehenge.

Sans pouvoir répondre à la question de savoir comment ils l'ont fait, on peut se demander qui l'a fait. Et là encore, c'est une énigme. Car aujourd'hui, on peut dater avec une confortable précision ce genre de choses. Il se trouve que ces pierres normandes ont été érigées bien avant les invasions celtes. Autre énigme, certaines " architectures " comme les pierres pouquelées de Vauville (Manche) sont formées de plusieurs constituants. Ainsi les jambages sont en quartz grenu (que l'on trouve dans la région), mais le sommet est en granit, granit spécifique à celui situé sur la côte de la Hague. Historiquement, une chose est certaine, cet endroit a été un lieu de culte puisqu'on venait ici prier. On peut alors se demander quels étaient ces êtres surnaturels, assez puissants pour déplacer plusieurs tonnes de granit. On retombe dans l'hypothèse sur laquelle je ne me prononcerai pas personnellement. Le raisonnement est le suivant : il a existé des êtres, humains ou non, maîtrisant une technologie assez avancée pour faire croire à une peuplade primitive (dont nous serions les descendants incrédules) qu'ils étaient des Dieux et que leur technologie était en fait de la magie.

Si on voulait toujours comparer les mégalithes normands à ceux de Stonehenge, on pourrait introduire la notion d'astronomie dans tout ceci. Stonehenge est un observatoire astronomique, peu de gens mettent cela en cause aujourd'hui. Et comme par hasard, on trouve dans un certain nombre de pierres normandes des cupules, dont la disposition pourrait (pourquoi pas ?) s'apparenter à une position des astres, des constellations. On trouve ainsi à Cramesnil (Orne) un menhir porteur de cupules dont la disposition ressemble étrangement à la Grande Ourse en été. En tout état de cause, je pense qu'aujourd'hui tout le monde peut admettre sans se forcer que ces pierres revêtent un caractère sacré, rituel et religieux. Parler de surnaturel serait peut-être maladroit. Car la notion de Nature, dans le petit esprit humain, se limite aux frontières de sa connaissance.

A propos des rituels, parlons des menhirs. Quoi de plus phallique qu'un menhir ! Mis à part le phallus lui-même... Très tôt, on a prêté aux menhirs des vertus fertilisantes. On raconte ainsi qu'à Colombiers-sur-Seulles, le menhir des Demoiselles était un passage rituel apprécié pour celles qui cherchaient un mari. La demoiselle devait déposer une pièce sur le haut de la pierre de trois mètres de hauteur en grimpant grâce aux cupules. Plus fort encore, dans les environs de Bayeux (Calvados), la jeune fille devait déposer une pièce trouée. Je vous passe le symbolisme de tout ceci et vous renvoie aux écrits de Sigmund.

Les pierres trouées (comme celles de Saint-Cénery, Orne) possèdent en plus des vertus fécondes et protectrices des vertus guérissantes. On faisait passer les enfants par le trou et la maladie se trouvait du même coup écartée. Pour les nourrissons, un baptême de la pierre était pratiqué par les druides. Aujourd'hui, il est courant de trouver des croix sur ces pierres ayant servi à quelque culte païen. La christianisation a fait son chemin. C'est aussi dans le même but que les moines de divers abbayes normandes (6) ont défriché et rasé un grand nombre de forêts, (l'arbre étant un autre symbole du paganisme). Mais tout ceci est une autre histoire... Vous pourrez la lire bientôt, si l'Ancien ne me jette pas.




Jérémi persiste et signe et nous propose dans la foulée une seconde promenade normande, au parfum sylvestre marqué.


(7)

Jérémy Sauvage ©

Le culte des pierres est une chose. Le culte des arbres prend une autre dimension dans la mesure où l'arbre, à la différence du minéral et par essence, est vivant. La Normandie garde aujourd'hui encore trace de ces forêts de jadis : citons les plus connues comme Bretonne et Eawy (en Haute-Normandie). L'histoire de l'homme, fort agité dans cette contrée, a toujours été très liée à celle des forêts. Economiquement d'abord, la forêt ne donne pas que du bois mais aussi une kyrielle de plantes nourricières et guérisseuses. Par ailleurs, elle abrite le gibier et, la chasse ayant été la principale boucherie jusqu'à il n'y a pas très longtemps, on peut comprendre facilement ce lien très fort unissant l'homme à la forêt. Et puis, à l'instar de contes et de légendes, la forêt est un lieu mystérieux. Il y fait sombre, on s'y cache lorsqu'on est brigand, elle recèle de bruits particuliers grâce auxquels certaines légendes ont vu le jour : les ogres, les loups et autres esprits de la nature, plus répandus il est vrai chez la voisine Armorique.

A la limite, nous laisserons de côté ces légendes universellement connues et nous nous attacherons plus à l'histoire même de ces bois. En essayant d'éclairer à la lumière des croyances des hommes les comportements de ces derniers, on ne peut pas ne pas s'attarder sur l'affrontement duel opposant christianisme et paganisme entre les 8ème et 12ème siècle. Naturellement, de cette opposition restent des traces plus ou moins claires, susceptibles de nous informer sur les relations qu'entretenaient les arbres et les hommes.

Lorsqu'on lit l'oeuvre de J.R. Tolkien (qui comme chacun le sait s'est largement inspiré des légendes scandinaves), l'un des faits frappants est cette hymne à la nature, et tout particulièrement aux arbres, qui humanise et métamorphose les arbres en adjuvants pour la longue quête de Bilbo. Or, les légendes scandinaves sont naturellement proches de leurs petites soeurs normandes, dans la mesure ou la culture viking a su s'imposer plusieurs siècles durant en ce qui allait devenir le Duché indépendant de Normandie (911, traité de Saint Clair-sur-Epte). Le traité fut signé à la condition sine qua non que, Rollon, le leader normand se convertisse, dans les plus brefs délais, au christianisme. Pour l'anecdote, Rollon a fait don d'une partie de sa fortune aux principales églises de la région (Rouen, Evreux, Mont Saint Michel, etc.) A croire que l'histoire se répète, en repensant à Clovis... C'est ainsi qu'officiellement, les chefs normands devinrent chrétiens. Mais le peuple, ce peuple normand, composé à cette époque à une très large majorité de guerriers, restaient fidèles à ses convictions religieuses. Par la suite, un flux migratoire ramenant auprès des hommes femmes et enfants importa avec lui le reste de superstitions et de légendes vikings, scandinaves.

Et par dessus le marché, ce peuple barbare venu du Nord se trouva confronté non seulement à la christianisation en pleine expansion à cette époque dans la région, mais également aux restes encore consistants des religions celtiques, druidiques. Nous avons déjà vu (peut-être pas de façon assez détaillée) le rôle important des mégalithes normands dans les traditions des habitants de Normandie (" normand " étant un terme que nous réservons aux vikings établis). La Normandie se trouva donc ainsi au carrefour de plusieurs courant de croyances (La Normandie a été envahie par beaucoup de peuples : en 804 les saxons campaient sur les bords de l'Orne, en 846 les bretons étaient à Bayeux... et les vikings pillaient déjà la régions : Ragnar Lodbrock, en 845, s'installe avec sa flotte danoise à Rouen).
Voilà pourquoi nous voulons poser le problème comme une dualité entre christianisme et paganisme.

 

 

Les abbayes de Saint à Ouen, Jumièges, Saint Wandrille... ne se sont pas vues implantées dans la vallée de Seine seulement parce qu'un gentil moine prêcheur avait obtenu l'autorisation du Pape et que le paysage était très joli. Historiquement, la vallée de la Seine a toujours été un pôle économique important (comme d'autres fleuves ou rivières de la région, toute proportion gardée) que l'on comprend aisément. Le problème fut alors de gagner du terrain dans les terres, de christianiser ces petits villages, loin du foisonnement des villes. Par conséquent, l'une des taches principales des moines de ces abbayes fut de déboiser le plus possible vers l'intérieur des terres, afin d'élargir le cercle d'influence de Rome.

Mais allons encore plus loin. Au regard de ce que représentaient ces forêts, force est de constater que ce déboisement faisait d'une pierre deux coups (sans jeu de mot avec l'article précédent).
Une grande différence théologique entre le christianisme et le paganisme en général est l'unicité de Dieu d'un côté et le polythéisme de l'autre. Mais s'ils avaient un nombre parfois infini de dieux, ces bonnes gens ne pouvaient concevoir représentation humaine de Ceux qu'ils adoraient. Ridicule. Imbécillité. Représenter un Dieu sous forme humaine... C'était pour eux prétexte à mourir de rire ! C'est pourquoi, la nature en général, et les arbres en particulier servaient de véritables temples naturels. Représentant la vie cyclique, il n'est pas étonnant de constater que comme leurs homologues celtes, les normands sacralisaient les arbres. Tel arbre était consacré à tel dieu. Et l'on comprend mieux maintenant l'importance que revêt la forêts et ses multitudes d'arbres, pour les normands.

La tradition nordique raconte que, " le premier et homme et la première femme, Ask et Embla, sont de simple souches inertes échouées auxquelles les Ases ont donné esprit, sang et destin ", (Cf. Jean-Marie Foubert). L'arbre se place ainsi au centre de la culture sociale des peuples nordiques et symbolise plus que tout autre chose la vie.

 

Nous n'allons pas faire dans l'exhaustivité, mais voici quelques arbres particulièrement vénérés. Le chêne, sans doute le plus connu, le plus associé à divers contes et légendes (jusqu'à la fable de La Fontaine) incarne Thor, le dieu de l'énergie ; le tilleul incarne Freyja, déesse de l'amour et de la beauté. Se plaçant au centre de la mythologie scandinave, Yggdrasill, est symbolisé par le frêne, qui joint les entrailles de la terre (par ses racines) au ciel (par sa cime) et embrasse le monde en déployant ses branches sur l'univers. Les trois racines du Frêne ont chacune leur spécificité : " la première descend aux enfers, la deuxième atteint le pays des géants et la troisième mène à la demeure des dieux. " Yggdrasill représente, comme son homologue saxon Irminsul, l'arbre de la Vie, de la Science, de la Destinée, de la Sagesse et l'axe de l'Univers.

Terminons par une pensée joyeuse : pourquoi y a-t-il tant d'ifs dans les cimetière normands ? La raison est toute simple et, pour une fois sur pareil sujet, relève du bon sens. L'if est certainement l'arbre dont l'espérance de vie est la plus longue. Contrairement aux idées reçues, si le chêne est facilement centenaire (le chêne d'Allouville-Belfosse, en Seine Maritime, reste une exception), l'if est parfois millénaire, voire plus. Ce symbole de longévité a alors été idéalisé pour protéger l'âme des morts.

Et comme les mégalithes, ces ifs se sont trouvés christianisés rapidement par la religion dominante. Ces arbres, dont certains dépassent les huit mètres de circonférence (P 2r=8 ; calculer le diamètre !), se sont vidés progressivement, ne laissant vie qu'à l'écorce. Ainsi, on a pu transformer ces ifs en chapelle, en aménageant l'intérieur du tronc et en y déposant une statue de la Vierge.

 


1) Ratapignata : chauve-souris, en patois local

2)"Falicon, pyramide templière", 1971, édité par l'auteur. Encore disponible dans les librairies ésotériques.

3)
Henri BROCH : "La mystérieuse pyramide de Falicon", 1976, de. France Empire. Henri BROCH s'est illustré dans de nombreux débats opposant science officielle et Paranormal. S'adjoignant les lumières du prestidigitateur Gérard MAJAX, Henri BROCH dénonce le charlatanisme des voyants, spirites, télépathes, guérisseurs, médiums et autres chirurgiens aux mains nues. Non sans une certaine étroitesse d'esprit peu compatible avec ce que devrait être une démarche scientifique (lire à ce sujet "Le Paranormal", H. BROCHE, au Seuil) Quoi qu'il en soit, une commission de chercheurs de l'Université de Nice Sophia-Antipolis, assistée de l'ineffable MAJAX soi-même, s'engage à offrir une prime de 1 000 000 de FF à qui souhaitera soumettre ses facultés paranormales à l'épreuve de l'expérimentation.

4)Op. cit.

5)" Histoire secrète de la Normandie ", 1984, Albin Michel.

6) Dont l'emplacement rappelle étrangement la constellation de la Grande Ourse.

7) Merci à Jean-Marie Foubert, notamment pour la dernière partie de cet article.
Jean-Marie Foubert, 1985 : Bois et forêts de Normandie, Ed. Corlet, 302 pages.