JOSÉ        MOSELLI

SA VIE, SON ŒUVRE  

 par René BARONE et Claude HERMIER

 

 

DEUXIÈME PARTIE

 JOSE MOSELLI : SON ŒUVRE  Articles généraux  

  2.1 - HOMMAGES A JOSE MOSELLI

  par Pierre Boileau

(article paru Le Chasseur d'Illustrés n° spécial Moselli, 1970 )

   

Les écrivains qui se consacrent à la distraction des enfants connaissent un étrange destin. Ayant infiniment plus de lecteurs que les plus favorisés de leurs confrères "pour adultes", ils n'en comptent, par contre, pratiquement pas qui aient lu la totalité de leurs œuvres.

Un père évoque avec ses frères et ses fils tel auteur dont la découverte fut, pour les uns comme pour les autres, une prodigieuse source de joie, et à qui ils doivent quelques-unes des heures les plus exaltantes de leur vie. Même enthousiasme (un peu attendri, toutefois, chez les aînés), mêmes mots pour l'exprimer. Il se trouve, simplement, qu'aucun d'eux ne parle des mêmes romans que les autres.

José Moselli, c'est pour moi :" Marcel Dunot, Roi des Boxeurs", "John Strobbins, détective-cambrioleur", c'est "Létio-Mousi", "Le Baron Stromboli", c'est par-dessus tout "Les Requins du Pacifique".

Je sortais des "Contes de Perrault" lorsque j'abordai "L'Epatant", "L'Intrépide", "Le Petit Illustré". Avouerai-je que les héros du cher José Moselli détrônèrent aussitôt le Petit Poucet, Chaperon Rouge et Barbe-Bleue ?

Ce fut José Moselli qui m'initia aux jeux de l'Aventure, du Mystère, de la Peur, l'étape suivante devant être Fantômas, Sherlock Holmes, Rouletabille et Arsène Lupin.

Mes cadets ont dévoré : "Le Maître de la Foudre", "Les Mystères de la Mer de Corail", "La Prison de Glace". Ils ont nourri pour Iko Terouka le même culte que je vouais à Jean Flair. Leur enfance, comme la mienne, reste indissolublement associée à quelques noms prestigieux, à quelques phrases clefs, à quelques ineffables images.

Je revois Marcel Dunot, poings serrés, visage sanglant, devant un adversaire effondré :"J'ai réglé le compte d'un lâche et d'une canaille ! ... ". Je revois la goélette "Ringarooma"... le vieil Horacio de Zuniga dans ses bandelettes... un long index traçant un énigmatique W...

Evoquer ces souvenirs, sur lesquels le temps n'a pas de prise, représente à mes yeux le plus bel hommage que je puisse rendre à José Moselli.  

 

 

 

 

  HOMMAGES A JOSE MOSELLI

  par Maurice Renault

(article paru Le Chasseur d'Illustré n° spécial Moselli , 1970)

 

"José Moselli"... Que de souvenirs évoque pour moi ce nom et sans doute, également, pour tous ceux de ma génération qui, de 1910 et pendant les années qui suivirent, firent leurs délices des œuvres de cet auteur. Les gamins que nous étions alors attendaient chaque semaine avec une impatience fébrile la mise en vente des "illustrés" publiés par la Maison Offenstadt dans lesquels paraissaient tous ses romans.

Nous nous précipitions ce jour-là vers les kiosques à journaux (toujours le même ! et où nous étions connus) pour demander le numéro de "L'Epatant", du "Cri-Cri", du "Petit Illustré" ou de "L'Intrépide" dans lequel nous allions trouver la suite des palpitants exploits de "John Strobbins, détective-cambrioleur" ou de "Marcel Dunot, Roi des Boxeurs".

Contre les sommes de 0,05 fr. ou 0,10 fr. nous nous procurions alors notre ration de rêves et d'aventures pour la semaine. En dépit de la modicité du prix de chaque numéro, notre bourse d'écolier ne nous permettait pas toujours de faire l'acquisition, la même semaine, de plusieurs des publications dans lesquelles figurait notre auteur favori. C'est alors que s'organisait entre nous un petit marché de troc que ne manque pas de rappeler - plus de cinquante ans après ! - la rubrique des "Petites Annonces" du "Chasseur d'Illustrés". mais les cours pratiqués n'y sont plus les mêmes, bien qu'à l'époque les cotes fussent d'autant plus élevées qu'on savait trouver un "José Moselli" dans l'objet des transactions. Si ma mémoire est bonne, les aventures du "Bison Noir du Far-West" écrites par Jo Valle et illustrées par A. Vallet, et paraissant dans "L'Intrépide", figuraient aussi, comme les Moselli, parmi les valeurs sûres.

Et quel drame lorsque, le numéro à peine en main vous était confisqué par un instituteur sans pitié qui vous surprenait à lire sous un pupitre, pendant la leçon d'arithmétique, la suite de "W...Vert.." que vous n'aviez pas eu la patience de ranger sagement entre deux cahiers pour n'en prendre connaissance qu'à votre retour au bercail !

Je ne voudrais pas cependant que ces souvenirs, s'ils tombaient par hasard sous les yeux de lecteurs n'appartenant pas aux "Chasseurs d'Illustrés" incitent ces non-initiés à penser dédaigneusement que José Moselli n'était après coup qu'un auteur pour enfants.

Nombre de ses œuvres méritent mieux que ce jugement téméraire, et je me félicite d'avoir eu l'occasion de republier en 1962, dans la revue "Fiction" que je dirigeais alors, le remarquable roman de science-fiction que constitue "La Fin d'Illa", et que la revue "Sciences et Voyages" avait présenté originellement en 1925. C'est un véritable "classique" du genre, et je suis heureux que mon ami Jacques Bergier, qui a pris la direction littéraire d'une nouvelle collection de S.F. prochainement lancée par les Editions Rencontre, ait choisi de nouveau "La Fin d'Illa", auquel il ajoutera "Le Messager de la Planète" et "La Cité du Gouffre" pour figurer parmi les titres de cette nouvelle collection.

D'autres romans de Moselli, à commencer par "Les Démons de la Mer", méritent cette résurrection, et je souhaite qu'un éditeur s'en avise un jour pour rendre à José Moselli un hommage qui lui est dû, et le fasse mieux connaître des jeunes générations, tout en permettant à leurs aînés de le relire avec joie.

 


 

 

2.2 - Caractère des romans de José Moselli

par Jean Leclercq

(article paru dans "Désiré" 2° série, n° 31/32, 1981)

 

Il est très simple : ils sont très simples, linéaires, si j'ose dire. Partant d'une idée nette : abattre un gang, ou venger un ami, ou trouver un trésor, etc., ils sont des suites d'aventures, dans lesquelles le héros en voit de toutes les couleurs et n'en sort que par son intelligence et sa force, toutefois à l'échelle humaine. Une exception : John Strobbins, détective cambrioleur, où des problèmes se posent dans nombre de petits récits.

Les romans de José Moselli sont donc essentiellement des récits picaresques, où l'on va d'aventures en aventures, avec de multiples situations périlleuses comme dans les fins des épisodes de films... à épisodes ! Quand la parution a atteint son poids, alors il faut conclure et dans le fascicule terminal, le gang est abattu, l'ami vengé ou le trésor trouvé, hélas ! souvent déjà vidé de longue date.

Alors, quels intérêts dans ces romans assez simples ? Ils sont nombreux : les personnages sont admirablement campés, typés même. Les lieux, les agencements de trains et surtout de bateaux grands ou petits admirablement utilisés, tous les lieux de la Terre parfaitement conformes à leurs spécificités - Moselli n'a-t-il pas parcouru le monde ! Les avatars, les aventures se renouvellent toujours avec nouveauté, comme dans les "Mille et Unes nuits", l'intérêt toujours aiguisé et le suspens constant. On vit avec le héros, on croit en lui, il est presque plausible, il est vrai ! Ses aventures, on aurait pu les avoir si l'on était taillé comme lui. Bref, chaque roman est passionnant et le tumulte de l'aventure emplit votre âme quand vous vous laissez aller à lire Moselli.

 


 

 

2.3 - JOSE MOSELLI OU L'AVENTURE SANS FARDS

  par René Lathière

  (Article paru dans Désiré, 1ère série, n° 9, février 1967)

 

José Moselli n'écrivait pas spécialement pour être publié "en images" (c'est-à-dire, une suite de dessins accompagnant un texte non abrégé). De là vient sans doute en partie l'oubli où il est tombé, avec nombre d'auteurs qui nous offrirent de fameuses histoires avant la première guerre mondiale et jusque vers 1940. Oubli immérité, car ses œuvres se prêtaient parfaitement à l'adaptation en bandes dessinées - et l'on n'ignore pas que cette formule est devenue pour tout illustré la condition "sine qua non" du succès auprès des jeunes.

  Du reste, la chose fut réalisée pour "L'Idole Bleue" paru une première fois dans "l'Intrépide" vers 1925. Le titre était modifié (Le Secret de l'Idole) et un excellent dessinateur, Duteurtre, avait remarquablement fait démarrer en phylactères les aventures du mousse Nicolas Goulven et de son ami Prosper Loignon à bord du trois-mâts "Anjou".

  Mais déjà, la jeunesse s'était entichée d'autres publications proposant des planches venues d'Amérique. Ni Duteurtre, ni Maurice Toussaint, ni même René Giffey ne faisaient plus le poids devant Alex Raymond. Le héros mosellien était supplanté par Guy l'Eclair, et ses ennemis par des empereurs ou des monstres fantaisistes (cela dit sans vouloir rabaisser le talent d'Alex Raymond).

  Et cependant, quelle valeur chez Moselli ! Nous le lisions, nous nous attachions à ses personnages, car il nous les livrait sans restrictions, sans essayer de nous faire avaler que "tout peut s'arranger en douceur".

  Les méchants étaient lâches ou courageux, toujours féroces, mais ils le demeuraient jusqu'au bout. A l'occasion, d'ailleurs, ils entraient les premiers en scène.

  Joë Lofagre (Le Lagon aux Requins) empoisonne le capitaine Van Crylm pour s'approprier les perles qui se trouvent dans le coffre-fort du brick "Siska". Celui-ci ayant coulé, Lofagre gagne Singapour où il compte réunir les moyens de récupérer le trésor. Et c'est là qu'il trouve sur son chemin les Français Fergan et Carcamousse.

  Arsène Dulard et Jules Chafflert (Les Champs d'Or de l'Urubu) assassinent leur compagnon Albertier pour le manger. Evadés de Saint-Laurent du Maroni, emportés par la tempête, ils ont atteint une côte inconnue, puis une forêt hostile où ils se sont perdus. Mais ils n'ont pas le temps de dépecer le cadavre, ni même de tuer leur autre compagnon, le brave Loustalot qui, indigné, veut s'opposer : les trois hommes sont faits prisonniers par les Vaudous (car sans le savoir, ils se trouvent à Haïti). Emmenés dans une mystérieuse maison, ils y trouvent d'autres captifs : les survivants d'un équipage naufragé, parmi lesquels le mousse Jean Lenoël...

  Mais si Dulard et Chafflert sont des êtres bas, Joë Lofagre est un homme qui saura mourir courageusement. Quant à Jack Swan (Le Roi des Convicts) il reste un personnage extraordinaire. Cet évadé des bagnes de Tasmanie s'est pris d'amitié pour Jean Cordener, lequel recherche James Lowell, prisonnier des Maoris en Nouvelle-Zélande (l'action se situe vers 1840). Le terrible Swan a ainsi l'occasion de sauver la vie du "Frenchie". Mais cela ne l'empêche pas de montrer les dents, comme un chien à qui on veut arracher son os, lorsque Cordener fait mine de s'opposer à ce qu'il torture Justinian Bartlett, le traître... Bartlett qui a d'abord été soustrait par Swan à la voracité d'un squale ! C'est du meilleur humour noir.

  Et Swan est logique avec lui-même. Il pourrait, par l'entremise de James Lowell, obtenir sa grâce. Or, il préfère disparaître. La dernière phrase du roman - "... nul ne sait ce qu'il est devenu" - laisse l'impression d'une aventure inachevée et d'un regret.

  De l'autre côté de la barricade, les "bons" n'appartiennent que rarement à la catégorie "amateurs de sensations". Ils sont presque toujours entraînés malgré eux dans la grande aventure. Mais le premier acte joué, ils vont jusqu'au bout - quel que soit le motif qui les pousse à lutter.

  Le héros mosellien obéit souvent à des sentiments chevaleresques. C'est le cas pour Richard Daguerre (Les Requins du Pacifique), Jean Lenoël (Les Champs d'Or de l'Urubu), Marc Darlan (La Jarre de Cristal), Jean Cordemer (Le Roi des Convicts), M. Bour-Lollay (L'Empereur du Pacifique), et Bernard Brun (L'Avion Fantôme).

  Ou bien encore, il veut prouver sa propre innocence. Simon Doguereau (L'Homme à la Carabine) n'aura de cesse qu'il obtienne sa réhabilitation en livrant à la justice britannique Smithson, Blake et Ballardy, chefs des "Ten Pounds". Il en est de même pour Pierre d'Herblay (Face de Fer) qui, victime de Schaafs et Clafatcho, a échoué dans la mission que lui avait confiée le Cardinal de Richelieu. Et l'aviateur Philippe Randaux, devenu le sultan Ismaïl Kindjiss (Radassar) lutte sans merci contre une mystérieuse puissance occulte dont les machinations l'avaient conduit... jusqu'à la potence.

  Enfin, s'il fait de son mieux contre les bandits, le héros mosellien ne méprise pas systématiquement le "fabuleux métal" qui lui permettra, à l'occasion, de rentrer riche en France. Le basque Jacques Tavar (Tavar-la-Hache) s'assure ainsi la légitime possession d'un claim dans la région du Mackenzie. Jean Lenoël et Alexandre Montalais récupèrent une cargaison d'or provenant de la vallée de l'Urubu - cet or auquel ils ont droit autant que Josuah May, August Schnockmann et Arsène Dulard. François Bontemps et le capitaine Mortimer (Les Mystères de la Mer de Corail) retrouvent l'épave de la "Malaïta" avant que Krapfl et ses acolytes ne puissent l'atteindre. Maxime d'Arbagnac (Flèche Sanglante) ne reviendra pas les mains vides de Californie, où il a fait pendre la bandit Canos.

  Mais les personnages sympathiques de Moselli ne connaissent pas tous le "happy end" qui semble actuellement de rigueur dans les illustrés pour enfants.

  Quand Georges Dixmer, le jeune Parisien Canari et le bon nègre Jonathas s'introduisent dans la fabuleuse nécropole des rois toltèques (La Piste de l'Or), seuls l'ingénieur et son petit compagnon échapperont aux flèches du mystérieux Xitocapeltozaltac. Quand Arsène Dulard poignarde Loustalot après la prise d'Urubuwald par les troupes révolutionnaires de Napoléon Moule-à-Chique, la blessure, hélas ! est mortelle. Des quatre amis qui poursuivent Schaafs jusqu'au Siam (Face de Fer), trois seulement reverront la France. Et si le maigre l'Eglantine (Scalp Rouge) repart sain et sauf de Virginie avec Pierre de Vaudrecq, il laisse derrière lui la tombe de son ami, le gros Patachou...

  Car Moselli savait que l'Aventure exige souvent des victimes des deux côtés et que le triomphe du Bien sur le Mal ne se paye jamais trop cher. C'est ce qu'il voulait faire comprendre à ses jeunes lecteurs, - dont nous étions - et c'est ce qui concourt à lui donner une large place dans nos souvenirs.

   


   

2.4 - NOTES DIVERSES SUR MOSELLI

  par J. Van Herp

  (article paru dans Désiré 2° série, n°31, 1er trimestre 1981)

 

Il y a un Moselli que l'on oublie généralement : c'est l'auteur de romans policiers. Pourtant il est le père de quatre personnages qui poursuivirent leurs aventures, impavidement, durant des années.

Il y a d'abord IKO TEROUKA, le détective japonais qu'on trouvait dans "Le Petit Illustré", ce n'est sans doute pas le premier, mais c'est le plus attachant.

Il agissait seul, faisait correctement son travail de détective, usait parfois de le réflexion et des procédés scientifiques. C'est ainsi qu'il avait recours à un laboratoire pour retrouver, sur une page blanche, le texte disparu. Indécelable au microscope, aucune rayure n'apparaissant, l'auteur ayant utilisé un pinceau fort doux.

Comme tous les détectives de Moselli, il voyageait énormément, enquêtant au Chili, au Libéria, en Ethiopie, au Brésil, etc. Mais c'était un détective qu'aurait regretté S.S. Van Dine, porté plus par les événements que par la détection pure.

Sans doute, dans une enquête au Brésil, il sait retrouver un ticket de funiculaire qui le mène au sommet du pain de Sucre et là s'amorce une piste. Mais sinon, il se laisse davantage porter par l'intuition, ou encore, il agite les eaux jusqu'à ce que les coupables se manifestent.

Ce sont procédés de l'école américaine du temps, et que l'on allait découvrir dans la Série Noire : le privé qui enquête au petit bonheur, avec le secours du hasard et non des petites cellules grise de Poirot. Comme tel, il m'accrochait alors que je le lisais - roman d'aventures, oui, plus que policier, mais notre temps nous le rend plus proche.

BROWNING & Cie hantaient le "Cri-Cri" ; ils y avaient une équipe, Browning étant flanqué d'un méridional, Baracasse (si ma mémoire est fidèle). Eux, également, enquêtaient à travers le monde : au Spitzberg, aux Fidji, à Londres, en Macédoine, en Egypte, etc.

Leur technique était celle de Térouka, la différence portant dans les crimes.

Térouka rencontrait des crimes classiques : vol de banque, détournement de fonds, héritage... Parfois une ombre de crime passionnel : un soupirant cherchant à faire accuser un candidat plus heureux que lui.

Dans Browning & Cie, les motifs sont plus sophistiqués : on vole une clochette d'argent, non pour sa valeur, mais parce que l'une d'entre elles, renferme un rubis dans son battant. Une autre fois, c'est un diadème de diamants bleus. Il se révèle que ces diamants sont faux. Mais... mais... Leurs poids respectifs indiquent les proportions de divers corps destinés à former un alliage imitant l'or.

Ailleurs, il s'agit d'un richissime Canaque voulant venger sa race et tuant au hasard, par le moyen d'une araignée de la famille des veuves noires.

Alors que chez Térouka, les motifs sont immédiatement apparents, ici, le plus souvent, c'est le motif des crimes qui demeure masqué.

JOHN STROBBINS, le détective cambrioleur, était un habitué de "L'Epatant" et de la "Collection d'Aventures". C'était une sorte d'Arsène Lupin, cantonné davantage dans l'orbite des Etats-Unis, du moins dans les dernières années de l'hebdomadaire.

Que dire de ces immenses sagas ? Que Moselli y est meilleur que dans ses interminables romans ; chaque aventure a les dimensions d'une nouvelle ou d'une "novelette", pour utiliser le terme américain. Et l'on n'y trouve pas ces longueurs, ces rebondissements artificiels qui prolongent tant de romans.

Ici, une aventure rapidement contée, sans détours, sans digressions, dans un cadre esquissé mais bien dessiné, avec des personnages typés.

Je ne crois pas que les lecteurs de 1980, qui n'ont pas la nostalgie au cœur, feraient bon accueil à ces enquêtes. Mais je crois que pour les anciens, les amateurs, les connaisseurs, il y a là de quoi alimenter leur intérêt.

Y-a-t-il, maintenant, des collectionneurs possédant des Offenstadt qui pourraient dresser un catalogue des diverses aventures des divers détectives ?

J'allais oublier. Il y a un cinquième personnage, M. DUPONT, détective, qui apparut dans "Cri-Cri", quand ce dernier fit peau neuve. Mais je ne crois pas que sa vie fut bien longue. Si je me souviens bien du portrait qu'en fit Giffey, il tenait à la fois du petit fonctionnaire barbichu et binoclard et d'Hercule Poirot.  

 


 

 

2.5 - JOSE MOSELLI UN ROMANCIER QUE J'AIME

  par Claude Hermier  

article paru dans l'Annonce Bouquins n° 99, janvier 1994  

C'est par hasard que vers l' âge de douze ans j'ai lu quelques fascicules du "Roi des Boxeurs" - des numéros épars et en petit nombre - mais ce fut suffisant pour me marquer  à jamais, d'autant que les illustrations - de celui que j'appris plus tard s'appelait PUYPLAT -  "collaient" bien au texte, un dessin puissamment évocateur, sans concessions.

 

José MOSELLI ne faisait apparemment pas dans la dentelle, à  la différence des romanciers que je connaissais : Jules Verne, Arnould Galopin, Louis Boussenard, même si, pour certains d'entre eux, quelques scènes étaient d'une certaine dureté. S'adressait-il à des enfants ? J'aurais juré que non.  A des adolescents, peut-être ! Et puis, non !  C'était de la lecture pour adultes. Pourtant ces fascicules de par leur présentation (illustrations nombreuses)  et du fait qu'il  s'agissait d'aventures laissaient supposer que l'auteur et l'éditeur les destinaient à un public de jeunes garçons.  Pour tout dire, j'étais tracassé, d'autant que moi, jeune garçon justement, je me plongeais avec un plaisir un peu trouble dans ces feuilles qui sentaient le vieux papier. Je me faisais l'effet d'être immergé dans une autre époque ou plutôt dans un univers très particulier et j'avais l'impression d'ouvrir là un livre défendu, les illustrations puissamment évocatrices et d'un réalisme assez outrancier ajoutant à mon désarroi. Car enfin, les personnages qui gravitaient dans le sillage du héros, Marcel Dunot, étaient-ils durs, rébarbatifs ! Vrai, un monde étranger à la jeunesse ! A l'époque où le grand romancier entra dans ma vie, nous sortions de la guerre. Nous avions connu l'exode de 1940, les bombardements, les lointains sanglants, les chevaux blessés ou morts sur le bord des routes, les fossés, la paille des écuries. Ensuite nous apprîmes avec épouvante les atrocités nazis. Alors MOSELLI n'exagérait peut-être pas tant que cela. L'homme était-il donc un monstre ? Certes, il y avait la noble figure de Marcel Dunot, et le savoir près du lecteur me réconfortait. Mais il semblait bien être le seul ou du moins un des rares personnages de l'univers mosellien à être humain, celui surtout qui permettait au lecteur de ses aventures de ne pas désespérer de l'homme.

 

Voyons ! Qui se trouvait dans son champ ? Des êtres méchants, fourbes, veules et laids qui mentaient, trichaient, torturaient, tuaient. Un monde de péchés ! Et PUYPLAT qui imageait avec force cette vaste fresque : figures bestiales, attitudes équivoques, dos voûtés, gestes manquant de noblesse, mains semblables à des battoirs, regards fuyants. Où évoluaient ces tristes personnages ? Il y avait les océans surtout, mais hostiles, pleins de traîtrises. Les bateaux, de vieux rafiots rafistolés et rouillés. Les marins : des brutes, toujours en train de se bagarrer, à faire souffrir plus faibles qu'eux, sournois, manquant de parole. Des auteurs parlaient des bateaux en les comparant à des villes flottantes. Je tombais de haut avec MOSELLI car, en fait de "ville flottante", j'avais sous les yeux un microcosme sordide où la vie était rude, où le parler n'était que jurons, la nourriture infecte. Une vie souterraine. Une atmosphère empuantie par la suie, l'huile brûlée, les rogatons. Et là-dessus le ciel, tel un couvercle, filtrant un pauvre soleil.

Les villes portuaires, une invite à l'évasion, avais-je lu. Que non chez "le Roi des Boxeurs" ! Les ports, c'était le plus souvent des ruelles tortueuses encombrées d'ordures, des passages peu sûrs, des seuils peu engageants et, frôlant murs décrépits et palissades vermoulues, des personnages à l'allure inquiétante, courbant les épaules, marchant  à grands pas.

Et ces scènes de tortures, qu'elles soient le fait de sauvages ou de civilisés ! Un raffinement, une cruauté à soulever le cœur ! Sans parler des repas cannibales où aussi bien vrais anthropophages qu'hommes blancs participaient. Des Blancs mangeant de la chair humaine ! Mais après tout n'avais-je pas lu qu'en des temps anciens, en France même, lors de grande famine, des mères avaient dévoré leurs jeunes enfants !

 

La mort donc, omniprésente, comme aboutissement de la vie. Oui ! La mort était le lot de tous, bons ou mauvais, qui partageaient les aventures de Marcel Dunot. Elle est inéluctable, me disais-je, mais dans la plupart des cas, elle s'annonce (maladie, vieillesse). Chez MOSELLI au contraire, elle fauche sans crier gare avec un désarmante opportunité. Et quelle mort ! Noyades, tortures, enlisements, maladies sordides comme la lèpre. La planète MOSELLI m'apparaissait un peu comme une déviance, comme une offense à la morale. Ce qui me surprenait et m'inquiétait c'était la fascination que les aventures du "Roi des Boxeurs" exerçaient sur moi. C'est que, je le compris plus tard, je trouvais la pâture pour mon goût du fantastique. Je m'en étais entretenu avec Jean Leclercq qui, comme moi, aimait beaucoup MOSELLI. Nous expliquions notre engouement pour cet auteur par notre caractère inquiet, notre propension à l'insécurité, notre goût du morbide.

 

MOSELLI ne trichait pas, un chat était un chat. Il était dur comme l'était bien souvent la vie à cette époque. Il ne fardait pas la réalité. Je me souviens qu'au temps de ma découverte du romancier, des récits d'un tout autre genre m'étaient parvenus, en particulier ceux parus avant-guerre dans la revue "Guignol, cinéma de la jeunesse", la "Collection Printemps". Ces textes étaient loin d'être inintéressants mais qu'ils me semblaient bien souvent ancrés dans un monde artificiel, frelaté. Rue Gazan on édulcorait. Les héros, de jeunes gens et jeunes filles de la bonne bourgeoisie, avaient bien des aventures, mais qu'elles ressemblaient à des jeux ! C'était trop beau pour être honnête. Une fois leurs petites aventures de jeunesse terminées, ils entraient dans leur vie d'adulte avec argent, solide métier, belle propriété. Leur vie, toute de bonheur, se déroulait harmonieusement. Rien de tel chez MOSELLI, qui savait que dans la vie rien n'est gagné d'avance, que rien n'est acquis définitivement, JAMAIS. C'est une des leçons qu'il faut tirer de ses romans.

 

Plus tard, grâce à "Désiré", j'acquis par voie d'annonce "Le Roi des Boxeurs" complet. Puis ce fut avec "Le Chasseur d'Illustrés" la découverte de "L'Intrépide". Je pus enfin apporter un peu de chair à ce romancier qu'avait été jusqu'à ce jour, pour moi, José MOSELLI. J'ai été vraiment surpris d'apprendre qu'il avait œuvré de 1910 à 1940 pour les seuls Offenstadt et ce, à une cadence incroyablement soutenue, sans que pour autant la qualité de son travail en souffre. Et depuis, José  MOSELLI est dans ma vie, tant et si bien qu'au cours de mes voyages certaines scènes me ramenaient à lui, à ses romans et à ses héros.

 

Le héros Mosellien est un solitaire. C'est l'un des aspects de sa personnalité qui me séduit le plus, et Marcel Dunot est pour moi la référence. Un autre grand solitaire, bien plus connu, c'est Tarzan. Le solitaire est un asocial. Il semble de granit mais son sens aigu de la justice en fait un être bon et charitable. Cet "isolement" ne va pas sans un certain égoïsme. La routine, l'aliénation, très peu pour lui. Il s'attache d'ailleurs le moins possible à ses débiteurs. Dès qu'il les a sortis de l'ornière, il s'esquive. Il fait fi des convenances, n'aimant pas les simagrées. L'argent ne l'intéresse pas, étant le plus souvent le fruit de la malhonnêteté. La politique, il s'en gausse. Ceux qu'il croise, il les considère souvent avec une certaine condescendance (de sont de "braves" gens). Il y a lui et les autres. Les titres, les honneurs, la reconnaissance même sont quantités négligeables, même si Marcel Dunot est le plus grand des boxeurs, même si Tarzan est connu dans toute l'Afrique. Son terrain d'élection, les espaces peu fréquentés. La solitude du milieu répond à la sienne. Et pourtant, bien que fuyant le monde, le monde vient à lui et ce n'est point là l'un des moindres paradoxes qui s'attache à ses pas. Il suffit qu'il sorte, qu'une porte ou un pont soit franchi et voici qu'affluent des mondes parallèles. Aussi ne nous étonnons pas si Tarzan rencontre des Pithécanthropes, des Hommes-Fourmis, des Croisés, des Romains ; si, telles des visions, viennent à lui des contrées inconnues, comme préservées, où faune et flore ont depuis longtemps disparu du reste de la terre ; si le "Monde intérieur" (le centre de la Terre) réclame son concours. Cependant, à la différence de E.R. Burroughs, MOSELLI n'est pas un hétéroclite. Ses personnages n'ont rien d'imaginaire et c'est  ce qui les rend encore plus inquiétants ! C'est par leur outrance, leur caractère déviant qu'ils nous surprennent et nous font peur : bandits hors du commun, l'abomination faite homme tel l'Empereur du Pacifique, femme-pirate, peuple souterrain de l'Amérique du Sud.

 

Qui fûtes-vous José MOSELLI ? On sait peu de choses de vous. Vous naviguez d'abord comme mousse, puis comme officier marin. Dans plusieurs de vos romans, vous rendez justice à ce mousse qui, à l'époque, était souvent le souffre-douleur de l'équipage, voire du capitaine. Vous en parlez avec une émotion contenue. Il est ce qu'il y a de plus pur dans votre œuvre.

Vers l'âge de trente ans (en 1910) vous écrivez des romans d'aventures qui paraissent dans des hebdomadaires pour jeunes garçons et adolescents. Je vous vois à votre table de travail, attelé à votre machine à écrire plusieurs heures par jour et ce, durant près de trente ans. Inlassablement, et avec quel talent, vous donnez vie à des personnages d'une grande véracité et souffrez leurs tourments. Vous avez de la peine à faire mourir dans d'atroces souffrances les méchants mais vous n'y pouvez rien, car il fallait bien qu'ils disparaissent un jour et d'une manière peu banale. Vous ne vous prenez pas très au sérieux à l'instar de vos collègues qui œuvrent pour les Offenstadt. ou d'autres éditeurs populaires. Ne racontez-vous pas des histoires pour jeunes lecteurs ? Le support de vos récits, des hebdomadaires, au mauvais papier, coûtant peu, destinés à être jetés le plus souvent ou à être utilisés à des usages domestiques, prouve le peu d'importance de votre travail. Et faut-il que vous en écriviez de ces romans pour gagner à peu près votre vie. Vous n'êtes connu que de vos jeunes lecteurs qui sont, il est vrai, nombreux ; quant aux adultes, ceux qui s'occupent  particulièrement de la jeunesse, le plus souvent, ils vous dénigrent, vous rejettent, vous condamnent. Mais vous recueillez les suffrages de vos lecteurs, tant et si bien que vous êtes le pilier des publications Offenstadt qui, sans vous, auraient laissé moins de traces dans nos mémoires. Vous allez captiver des générations de jeunes lecteurs : il y aura celle d'avant 1914, des années 20, puis des années 30. Vous ne serez jamais édité en volume de votre vivant et si peu, si peu, bien longtemps après votre disparition. Vous nous avez quittés depuis cinquante ans et restez dans la mémoire d'une poignée d'admirateurs. Ceux qui vous connaissaient bien pour vous avoir lu chaque semaine ont presque tous disparu. Reste aujourd'hui un petit nombre de vos inconditionnels d'un certain âge qui vous ont découvert -c'est mon cas- après que vous ayez cessé de paraître. Vous restez bien vivant pour ceux-là, croyez-le. Je fais peut-être montre d'un certain optimiste, mais je suis persuadé que l'on va vous retrouver. Vous ne pouvez disparaître bien que vous soyez enfoui dans des revues peu connues et difficilement accessibles. Votre talent si personnel, votre prose qui n'a pas vieilli, la sûreté avec laquelle vous approchez l'homme, l'action formidable dans laquelle vous savez entraîner vos personnages, non ! l'un de nos meilleurs romanciers d'aventures ne peut pas, ne doit pas disparaître. Je formule un vœu : votre résurrection, votre sortie du purgatoire. C'est le souhait, des quelques-uns que nous sommes, à vous aimer, à vivre avec vos personnages.   

 


 

 

2.6 - REVERIE

  par Claude Hermier

(article paru dans Désiré 2° série, n° 31, 1er trimestre 1981, p. 761-763)

 

 

Quand j'étais jeune et que je trafiquais du côté de Singapour, j'ai souvent rencontré Marcel Dunot, le Roi des Boxeurs.

Aujourd'hui, retiré momentanément sur mon domaine de Champcourt (Le Tampon, île de la Réunion), il suffit que je pense à lui... et il est là !

Dès que le soir descend sur l'Océan Indien, il pénètre furtivement dans mon bungalow en bois de natte, noyé au milieu de mes plantations de canne à sucre et de mes bananeraies.

Mon domaine le ravit car, sans être dépaysé, il peut s'y reposer.

Il retrouve là, une nature, des visages qui ne lui sont pas tout à fait étrangers, mais qui, pour une fois, ne lui sont pas hostiles.

Marcel parle peu, mais il suffit que je sorte des rayons de ma bibliothèque le roman de sa vie d'aventures ("Le Roi des Boxeurs" par José Moselli, série de 516 fascicules, parus de 1925 à 1935 à la Société Parisienne d'Edition) pour qu'il sorte de son mutisme.

Moments délicieux et exaltants qui se terminent sur la varangue (terrasse), alors que la nuit est déjà avancée.

Le grondement lointain de l'océan semble alors lui faire signe. Sans bruit, alors que je commence à somnoler, il me quitte, emporté par le vent venu des mornes proches.

Mes regards se portent presque instinctivement vers le littoral du côté de Saint-Pierre et de Saint- Louis, distants d'une dizaine de kilomètres du Tampon. A-t-il atteint le lagon ? A-t-il franchi les récifs de coraux ? Certes, il est déjà loin, au milieu des embruns !

... N'importe, il suffira qu'un jour prochain, je lui fasse signe à nouveau pour qu'il soit au rendez-vous. J'aimerais néanmoins le retrouver sur le théâtre de ses actions.

J'y pense souvent. Il me faudra, quelque jour, reprendre ma valise et retourner là-bas dans le Sud-Est asiatique ; nul doute ! je le rencontrerai comme ce fut le cas maintes fois, il y a une dizaine d'années.

Marcel Dunot a le don d'ubiquité, il sait entrer en relation, ou plutôt en communion, avec ses amis... Oui ! J'ai rencontré le Roi des Boxeurs bien souvent...

Dans l'arrière boutique d'un commerçant à Chinatown de Singapour, dans la cité lacustre dayake de Bornéo, sur un minable petit bateau qui, en janvier 68, me ramenait de l'Etat de Sarawak à Singapour, au marché flottant de Bangkok, rencontré aussi au retour d'une randonnée à l'intérieur d'Espirito-Santo, en pleine mangrove, non loin de la Montagne des Dieux...

* * *

Je lis, j'ai lu maints romans d'aventures, d'aventures exotiques principalement. Certains ont atteint depuis longtemps la notoriété, ont été et seront encore étudiés ; d'autres, par contre, eurent un succès éphémère et ne sont plus maintenant connus que d'une poignée d'amateurs, qui va d'ailleurs s'amenuisant, ces romans-là n'ont pas été retenus par les spécialistes.

De la masse de ces écrits ignorés, axés sur l'aventure pure, ce sont ceux de José Moselli que je préfère, et de loin ! Il ne s'agit pas de nostalgie, mes lectures de jeunesse furent surtout les romans de la Bibliothèque Verte et les illustrés de l'après deuxième-guerre.

Oui, José Moselli me captive, m'envoûte, comme il a envoûté les adolescents des années 1910-1935.

Aussi, pour nous qui aimons ce romancier, quelle tristesse de constater l'oubli où il est aujourd'hui. Car enfin, nous avons, nous Français, la chance d'avoir un romancier hors pair et nous le délaissons ! C'est déplorable ! Voici pourtant un auteur qui ne laisse jamais indifférent, qui le plus souvent empoigne, et il n'est pas connu !

Ses jeunes admirateurs - oh ! peu nombreux - ont bien de la chance car c'est souvent le hasard qui le leur a fait connaître.

Il faut, en effet, être sensible aujourd'hui au phénomène que sont les littératures d'évasion, il faut avoir le goût de la collection, il faut avoir comme amis d'anciens lecteurs des illustrés d'Offenstadt un  tant soit peu au fait de ce que fût, pour plusieurs générations de jeunes lecteurs, le romancier José Moselli.

Ouvrez "L'Intrépide", "L'Epatant", Moselli figure presque à chaque numéro.

A ce propos, à propos de l'éditeur Offenstadt, il faut mettre les choses au point.

En effet, depuis une dizaine d'années environ, pas mal d'amateurs et de professionnels de la bande dessinée dénigrent cet éditeur. On lui reproche d'être le responsable de la pénétration tardive, en France, des bandes dessinées américaines, on parle avec dédain de sa production débordante, envahissante, de son goût douteux, de son esprit vieux-jeu... et en particulier, de ses feuilletons écrits par les "auteurs maisons" et le comble "mis en images" de façon "hâtive" par des illustrateurs français sans talent...

Halte-là ! Que ces personnes prennent la peine d'ouvrir les toutes premières années de "L'Intrépide". Nous leur suggérons les numéros 57 du 18 juin 1911 et suivants, jusqu'au n° 93 du 25 février 1912.

Qu'ils regardent les dessins signés André Galland, illustrant "Le Sultanat de Kazongo" de José Moselli, qu'ils lisent ce récit...

S'ils ne sont pas épris de ces belles compositions au trait précis et fin, aux couleurs délicates, si le texte les laisse indifférents, alors certes qu'ils ferment pour toujours ces pages.

Mais aussi et surtout que les noms de l'éditeur Offenstadt, du romancier José Moselli, de l'artiste André Galland, ne soient, par eux, plus jamais prononcés.

Car nous qui aimons l'auteur-maison, l'auteur chéri des frères Offenstadt, nous savourons des phrases du type :

 

"Soudain, un petit nègre, vêtu d'un pagne jaune à raies rouges et casqué d'un vieux bidon à pétrole dans lequel il avait planté des plumes d'autruche, fendit la foule et arriva près des Européens.

Il tenait à la main une auge de bois rempli d'une bouillie rouge, qu'il posa sur le sol [...] Il trempa le doigt dans la peinture, et en dialecte congolais, s'écria "Je commence par celui-ci, c'est le plus gras ! Moi je me réserve les jambes [...]

Le nain saisit à sa ceinture une sorte de faucille et s'approcha du premier Allemand et saisissant le bras du malheureux, il le trancha..."

 

C'est vrai qu'il m'a fallu une sacrée chance pour découvrir ce monde enfoui dans d'aussi vieilles publications.

Certains diront - et c'est peut-être vrai - que mes goûts me préparaient à une telle rencontre. N'empêche ! Enfin, avouons que, nous qui aimons Moselli, nous sommes des gens heureux.

Je me plais d'ailleurs à penser que, s'il eût été Anglais, notre auteur aurait eu un franc succès durable, car ses récits d'aventures sont des romans de l'action où l'artificiel est banni. Ils s'éloignent ainsi assez considérablement  du roman à la française beaucoup plus "romanesque" ; une preuve entre autres, l'absence d'héroïnes.

On apprécie pleinement Moselli à l'âge adulte. L'enfant, l'adolescent ne retiennent que l'outrance des situations, que la démesure des héros et de leurs actes.

Or, le héros mosellien, de par ses actions liées à de situations hors du commun, n'a rien que d'humain, et son humanité est vraie, sans artifices ; c'est ce caractère véridique qui nous touche et décuple notre intérêt.

Il nous paraît curieux, encore une fois, que certains collectionneurs regrettent l'influence des Offenstadt sur la presse enfantine pendant un quart de siècle.

Car le feuilleton sous images, c'est une chose et la BD, une autre.

Que donnerait Moselli en BD ?

Frémissons à l'idée que, sans ses géniaux éditeurs, Moselli, Jo Valle et tant d'autres, n'auraient probablement pas pu s'exprimer, du moins de la même façon et de toutes manières avec moins d'ampleur.

D'ailleurs, le succès de "L'Intrépide", de "L'Epatant", etc., suffit à toute démonstration.

 


 

 

2.7 - JOSE MOSELLI, EL GRANDE

  par Jean Leclercq

(article paru dans "Désiré" 2° série, n° 31/32, p. 765-772)

 

CESAR = KAISER (en Allemand) = TSAR (en Russe)

 

A la réception de "Mon Dimanche- Guillaume Bec Ouvert", du 18 septembre 1910, envoyé par Vital Broutot, fin 1979, je restai perplexe.

Le document était intéressant mais laissait prise aux critiques des pupilles des "intellectuels de gauche", c'est-à-dire d'être traité de nationalard, patriotard, revanchard, belliciste, boutefeu, va-t-en guerre, et j'en passe... et même les admirateurs de Moselli pouvaient me blâmer d'avoir ressorti un article antédiluvien, si différent de ses grands romans d'aventures.

Voire ! A son numéro spécial sur José Moselli, "Le Chasseur d'Illustrés" n'a-t-il pas joint la reproduction du titre, d'une illustration  d'André Galland et le début de "Noël Sanglant", nouvelle inédite de J.M., parue dans "Le Conteur Populaire", n° 325, du 27 décembre 1910.

"Guillaume bec ouvert", "Noël sanglant", Moselli a cherché sa voie comme bien d'autres : Maurice Leblanc avec ses romans à la Maupassant, "Un vilain couple", "La faute de Julie", etc., avant de trouver son immortel Arsène Lupin - Gaston Leroux, avec ses pièces de théâtre sérieuses, ses reportages, avant d'écrire ses prestigieux romans d'action et de mystère,... Moselli a donc aussi erré avant d'arriver à produire ses captivants romans d'aventures, dont toute ligne a son poids de description d'un lieu ou d'une action.

Au sujet de Guillaume II, l'on chablait avant 14 et pendant la grande guerre sur le Kaiser, tout autant que l'on a ironisé sur Khrouchtchev et maintenant sur Carter et Reagan.

Le personnage y convenait particulièrement, car il prenait volontiers des attitudes théâtrales, il aimait les uniformes fastueux, le panache et la parade. Il prêtait admirablement à la satire... sans compter que l'Histoire a démontré sa nullité en tant que dirigeant d'Etat.

Mais il y a plus et nous plaiderons coupable. "Guillaume bec ouvert" est un article nationaliste et, plus tard, Moselli écrira de grands romans d'aventures patriotiques : les aventures de Marcel Dunot pendant la Grande Guerre, les aventures de Jean Flair de même, "Les Cœurs de Tigres", "Les Naufrageurs de l'Air", etc., sans compter que dans nombre de romans d'aventures "les vilains sont toujours allemands" comme dit Vital Broutout.

Moselli, un patriotard ? Mais Marcel Allain l'a été aussi (Naz en l'air), (L'Homme aux cent masques), etc. Maurice Landay idem, Maurice Leblanc de même (La Frontière, L'Eclat d'Obus, Le Triangle d'Or) ; Gaston Leroux idem (Le Capitaine Hyx, Confitou, Rouletabille chez Krupp, La Colonne infernale, etc.) et mille autres romanciers populaires également.

Alors les romanciers populaires de 1910 à 1925, tous des va-t-en guerre, des exaltés, des Déroulède au petit pied, des aveuglés ?

La vérité est que nous subissons encore une influence née des tueries de 1914/18 et de l'espoir que fit naître la Révolution Russe de 1917, qui - mélange de pacifisme et de socialisme de l'espérance - est celle des "intellectuels de gauche".

Les démocraties n'ont que trop tendance à se terrer devant les dictateurs (1938), les racketteurs (au pétrole, actuellement) et, malgré ses bons motifs, la domination des intellectuels de gauche est pernicieuse ; c'est une des causes de la défaite de 1940, c'est la cause de la défaite des U.S.A. (une puissance formidable) au Viêt-Nam.

Revenons à la vérité historique : par trois fois, l'Allemagne a agressé la France : en 1870, en 1914, en 1940. Et la force allemande n'était pas vaine : les soldats les plus disciplinés, les plus combatifs, les généraux les plus talentueux, les armements les plus modernes, les tactiques les plus audacieuses.  

 

Lutter à mourir ou vivre à genoux  

 

En 1870, pour apporter la victoire aux Allemands, il n'a fallu qu'un mois de guerre : le mois d'août. Après, ce ne fut que des résistances sans espoir.

En 1940, la victoire de la Wehrmacht en France a été foudroyante et, si elle n'a pas réussi à vaincre la Russie, c'est à cause d'une trahison grandiose, encore pratiquement ignorée et dont il faudra bien parler un jour.

Pour 1914, le début de la guerre a été une catastrophe pour la France. Les armées allemandes ont avancé jusqu'aux portes de Paris. Si elles n'ont pas réussi, s'il y a eu la Marne, c'est à cause d'erreurs allemandes (allégement de la droite prévue par le plan Schlieffen, tergiversations de Von Moltke - le neveu de Moltke de 1870 - et erreurs de Von Kluck), dont Galliéni et Joffre ont saisi les possibilités de contre-attaque. (Voir mon étude "La Bataille de la Marne" dans le n° 2 de "L'Ile").

Le journal "Le Monde" a publié, sous la signature du journaliste Eric Roussel, une grande étude, le 16 janvier de la présente année :" Pourquoi la France a-t-elle tenue en 1914 ?".

Oui, pourquoi ? La réponse de Roussel est claire, nette : par patriotisme ; "Le Patriotisme, condition d'une victoire".

Les romanciers populaires n'ont donc été qu'à l'unisson de la Nation et ont fait leur devoir, en 1914, en publiant des romans d'esprit patriotique.

Le contraire a eu un nom : le défaitisme - et les défaitistes ont été jugés et condamnés tant à l'époque que par l'histoire.

J'espère que cela, étant bien éclairci, fermera la bouche aux propos que l'on voit tenir dans la grande presse et même insidieusement dans notre petite presse paralittéraire par tel ou tel romancier patriotard soi-disant.

Il faut choisir : le patriotisme ou la débâcle de 1940.  

 

Un romancier aux mille qualité  

 

Mais revenons à José Moselli. Sa voie trouvée - peut-être grâce aux frères Offenstadt - ses dons se manifestent avec éclat.

Il peut romancer impeccablement tous azimuts et se meut aussi bien dans le passé : "Le Chevalier de Marana", "Les Démons de la Mer", "Le Sire de Kergorec", "La Mission du Cardinal", "Le Roi des Tavernes", "Le Cadet de Crévecœur", etc.,... que dans les aventures autour du monde : Les Exploits de Marcel Dunot, de Jean Flair, d'Iko Térouka, etc., les combats de boxe... émérites de Marcel Dunot,... que dans les récits policiers : John Strobbins, le détective-cambrioleur de San-Francisco, Le baron Stromboli, gentilhomme international, Jean Flair, aventures d'un jeune policier, etc.

Tous les coins de la planète sont par lui explorés et exploités :

- Le Grand Nord américain : "Le Claim n° 29", "Scalp Rouge", "Tavar la Hache", "Le Totem de l'Homme Mort", etc.

- Le canal de Panama : aventures de Marcel Dunot.

- Le Pacifique et l' Océanie : "Les Requins du Pacifique", "Le Récif des Cannibales", "L'Homme à la Carabine", "Les Mystères de la Mer de Corail", etc.

- La Chine et ses mystérieuses associations : "W...Vert..", "Les Suppliciés de Hoang-Ho", etc.

- L'Indochine : "Le Dragon d'Emeraude".

- Le Japon : M. Dunot, N.S. 159 à 182, fin.

- L'Afrique Noire : "Le Sultanat de Kazongo", Marcel Dunot pendant la Grande Guerre, etc.

- Les Antilles : "Les Champs d'Or de l'Urubu", Marcel Dunot, n° 118 à 138 de la N.S., etc.

- L'Amérique latine : "Zaraza el Grande", "Le Téléluz" (Brésil), M. Dunot, "Le Trésor des Yapurés".

Et n'oublions pas les aventures maritimes où il excelle, servi par sa grande connaissance de la mer par tous temps et des bateaux, à voile comme à vapeur et ici de leurs locaux et de leurs machineries : "Les Requins du Pacifique", "Les Démons de la Mer", "Le Maître de la Banquise", "Les Naufrageurs de l'Air", etc.  

 

La Fin d'Illa

 

J'allais oublier ses talentueux romans publiés dans "Sciences & Voyages", dont on trouvera la liste en page 3/743 du présent fascicule, où il aborde avec maîtrise la science-fiction, notamment avec "La Fin d'Illa", que...

Comme les moutons de Panurge, les éditions Rencontre, en 1970, dans leur série de douze livres de SF, et les éditions Marabout, en 1972, sous la direction de J. B. Baronian, dans leur collection fantastique, ont repris, après les n°s 98 & 99 (janvier et février 1962) de la revue Fiction.

Fiction ajoutait des notes et une bibliographie succincte de J. Moselli (probablement de J. Van Herp) dans ses numéros. Rencontre publiait en fin de son volume "Le Messager de la Planète" et "La Cité du Gouffre". Une riche postface de J. Van Herp clôturait le volume n° 421 de Marabout, qui publiait encore "La Guerre des Océans", n° 533 de la collection.

Que Marabout n'a-t-il continué à republier du Moselli, pour le bonheur de beaucoup ?

 

André GALLAND

 

Mais, au nom de José Moselli, doit être associé son AMI, le dessinateur - l'artiste - André Galland, qui illustra avec quel bonheur la plupart de ses romans - et d'autres aussi comme "Les Aventures de Coucou" de Gaston Choquet, avec ses superbes planches de couverture des "Romans de la Jeunesse".

Quelle sûreté de trait, quel talent ! J'ai dans la tête depuis cinquante ans l'image d'une pirogue pagayée par des noirs maigres et musclés dans "Les Négriers des Rivières du Sud" de Moselli/Galland ! Et les dessins pour "La Fin d'Illa", quelle étonnante série !

André Galland suivait toutes les séances des tribunaux de Paris, notamment celles des Cours d'Assises, et on lui doit des dessins magistraux de leurs tristes vedettes.

Ne pourrait-on pas souhaiter une exposition des œuvres de José Moselli et des dessins d'André Galland, qui unirait et fêterait judicieusement les deux grands amis, morts et injustement oubliés ?

 

Et il butinait et semait à tous vents...

 

Mais, à sa table de travail, lisant de multiples revues françaises et étrangères, prenant des notes, y réfléchissant, José Moselli n'était pas seulement l'auteur des prodigieux romans d'aventures justement célèbres dans la jeunesse, mais aussi celui de nombreuses notes qui parurent dans diverses rubriques des illustrés Offenstadt ; rubriques titrées :

Les Explorations Françaises et Etrangères - Aux Prises avec les Bêtes Féroces - Les Grandes Aventures - Echos du Monde Entier - et dans "Sciences et Voyages" et d'autres magazines scientifiques.

Il écrivit même des historiettes qui parurent dans les "Histoires en Images", une des plus longues et à bon marché séries des Offenstadt. Mme Charles-Marcelin en a relevé plus de quarante.

 

La qualité aussi

 

Mais, après la démonstration faite plus haut, de l'aspect quantitatif de la production de José Moselli, aisée à faire, il faut se pencher sur les aspects qualitatifs de son œuvre.

Il paraît qu'aux Galeries Lafayette, à chaque instant il se passe quelque chose ! Il en est de même pour les lignes publiées de José Moselli dont chacune compte : en une ou deux lignes, le paysage est cliché, puis viennent les mots consacrés à des actions. Celles-ci se suivent, se poursuivent, fulgurantes, précipitées ; une action chasse l'autre.

Le sommeil vous arrive à trois heures du matin, quand, ayant absorbé moult prouesses du héros, épuisé, vous tombez de fatigue, éteignez la chandelle, obligé de remettre à demain la suite du roman d'aventures palpitantes.

J'en ai eu la preuve de nouveau : avant d'écrire sur Moselli, j'ai tenu à relire un de ses romans - je ne pouvais les relire tous ! - j'en ai choisi un que j'avais lu à dix-sept ans, l'un des derniers car, à la même époque, je quittai ma mère, veuve de guerre remariée à un homme brutal, et il m'a fallu gagner seul ma vie et donc penser à bien d'autres choses.

J'ai donc relu "Les Démons de la Mer", superbe "feuilleton sous images", pour reprendre l'heureuse expression de Claude Hermier, qui parut dans "L'Intrépide" du n° 652 du 18/02/1923 au n° 730 du 17/08/1924. L'illustrateur Janko (?) m'a fait promener de l'Atlantique à l'Océan Indien, bien avant Cl. Hermier, mais en images et imagination, il faut l'avouer.

"Les Démons de la Mer" n'ont pas pu reparaître dans la "Collection d'Aventures" ; c'est dommage car c'était une belle série.

De ce roman, comme tant d'autres de José Moselli, si l'on truffait ses phrases nettes, précises, incisives de descriptions allongées et de rêveries sur les états d'âmes, on aurait obtenu d'aussi gros romans que ceux de Robert Gaillard, mais bien plus intéressants.

Il est vrai qu'il aurait fallu ajouter des personnes  du sexe que la majorité des lecteurs de "Désiré" n'a pas, car les femmes sont rares dans les tumultueuses aventures inventées par José Moselli. Tout au plus quelques jeunes filles, des plus jolies et vertueuses, y apparaissent telle que Mabel de Zuniga, qui se mariera avec le médecin richard Daguerre, à la fin de la lutte contre "Les Requins du Pacifique".

 

José le cruel ?

 

"Les Démons de la Mer" ont leur dose de cruautés et d'implacabilité inhérentes à tous les grands romans de Moselli.

Par trois fois, à Londres et dans un comptoir de l'Afrique Occidentale, on voit une et deux alignées d' "évêques des champs" : des pendus à leurs gibets.

Les évêques des champs "bénissent la terre avec leurs pieds".

Et à Cadix, le grand port d'Espagne, les flibustiers pris sont, encadrés de moines cierges allumés et d'alzaguils, conduits au bûcher, car l'Espagnol sait être cruel ; parce que c'est  un blanc arabisé, pense M.P.  

"Démons de la Mer" : ce ne sont que combats sur mers, pour prise de proies :

 

                                                         Le canon tonne,

                                                         L'écho résonne,

                                                         La mort les environne...

                                                         Der Dreigroschenoper The Threepenny Oper

                                                         De trois passe à quatre sous ! en France, dans "L'Opéra de 4'sous"

 

                                                         Et ce sont les abordages :

                                                         Les pistolets trouent les têtes

                                                         Les épées traversent les ventres

                                                         Les haches des flibustiers fendent les corps en deux

                                                         Les sabres, les cimeterres de même

                                                         Pas de quartier !

 

                                                         Und die versunken sind, sieht nur des Hai in See

                                                         Nothing but sharks down there to show a drawned man the way

                                                         Ceux qui tomberont à l'eau sont l'affaire des requins

                                                         Happy End

                                                         Chanson du feu infernal et du repentir

 

                                                        Berthold Brecht       Kurt Weil

   

 

Cet aspect  de Moselli n'avait, bien sûr, pas échappé à Marcel Lagneau, qui en publia un article d'une page et demie : "José Moselli et les morts lentes" (à ne pas lire la nuit), dans "Le Chasseur d'Illustrés", n° 12, de septembre 1969.

Citation  : "... José Moselli avait surtout une prédilection pour pimenter ses récits avec la description de scènes de tortures raffinées, que sa fertile imagination variait sans cesse".

L'article nomme huit des romans moselliens et résume les tourments décrits.

Le huitième roman étant "Le maître de la banquise", où trois détectives, enterrés jusqu'au cou dans une cave, les figures enduites de miel, sont livrés à des rats monstrueux, pendant que jubilent de leurs râles (admirable ! sublime !) trois monstres blancs, dont l'un jouait sur son violon la marche funèbre de Chopin.

Conclusion :"Voilà une scène qui aurait délecté les amateurs de sensations fortes, clients habituels du Grand Guignol - Marcel Lagneau".

 

J'ai devant moi trois photographies de José Moselli, qui me furent offertes par Mme Charles-Marcelin (Georgette Marcelin était la nièce de Fernande Marcelin qui fut la compagne de vie de l'écrivain).

Deux Moselli, assez jeune, le visage un peu poupin. Il se durcit dans la deuxième photographie pour devenir très ferme dans la troisième. - Se reporter au dessin - juste de Lagneau , qui orne la couverture du "Chasseur d'Illustrés", n° spécial consacré à Moselli.

Son visage devint plus dur encore quand approcha l'heure de sa mort, par cancer en 1941.

On sait ce que c'est : un être étranger se crée dans l'une des parties du corps, dont il vit et qu'il ronge ; c'est deux ans d'agonie assurée, que Moselli cacha, autant qu'il le pût à sa compagne, Fernande.

Je ne puis donc m'en tenir au point de vue purement descriptif de Marcel Lagneau, ni à sa conclusion simpliste. Il faut fouiller plus profond.

De la connaissance de son œuvre, de discussions avec ses proches, je tiens José Moselli pour un homme foncièrement droit, honnête et qui ne décrivait pas des scènes de torture par sadisme. - D'ailleurs, tous ses héros - du comte Louis de la Fère dans "Les démons de la mer" à Marcel Dunot, etc.  sont des êtres droits, justes, portant secours à leur prochain dès qu'ils le peuvent (comme la plupart des héros du R.P. d'ailleurs).

Mais Moselli avait reconnu, plus qu'un autre, la nature perverse de l'être humain.

L'homme, venant de l'animal, en est un qui a eu la chance d'adopter la station verticale et la marche plantigrade, ce qui l'a libéré d'une queue, lui a développé les mains et les doigts et surtout le cerveau qui s'est mis à grossir, passant de cinq cent grammes à bientôt deux kilos et qui est une merveilleuse boîte électronique permettant des investigations encore jamais atteintes et l'élaboration de conceptions schématiques et abstraites tenant à rendre compte de la matière et de l'Univers. (voir mon article dans un "Désiré" : "Du Suranimal au Surhomme").

Mais le fond reste là : c'est une bête méchante, qu'à grand peine ont pu dompter la marche à la civilisation et la promulgation de lois toujours plus élaborées.

Personne de nous n'est bon. Près de mon assiette, si passe une fourmi, je l'écrase d'un coup de pouce, brisant ainsi une petite vie et tout un système ingénieux de vie.

A la campagne, celui qui fait une maladresse, un tort envers son voisin, devient son ennemi pour toujours. Rien ne se pardonne. - A la ville, dans les "affaires", on ne cherche qu'à tenir le bon bout, à empiler. Nombre de personnes exultent de mettre des affaires entre les mains de juges et d'avocats. - dans les grandes villes, l'irrespect, le chapardage, le racket augmentent de jour en jour : j'en ai la preuve chaque fois que je vais à Paris, de voir des Noirs, même cossus, sauter les barrières du métro pour ne pas payer.

Les jeunes, ivres d'envie des possibilités de la société de consommation veulent prendre, et pour rien.

Sur le plan des nations, la guerre a été un phénomène constant. D'ailleurs, elle fut probablement nécessaire au moyen âge, par exemple : au stade artisanal, la paysannerie et les artisans ne pouvaient produire pour tous : les filles de trop devenaient servantes, nonnes ou putains, les mâles, valets, moines, bandits, soldats, galériens. Les guerres écrémaient le trop-plein de population.

Actuellement, avec la folie génésique des Arabes et des Noirs, et le triplement de leur population en trente ans, peut-on douter d'explosions d'envie qui mèneront ces masses à l'assaut des nations développées, sans compter celui des un milliard et demi de Chinois, qui sera gigantesque.

Les hommes étant méchants, parmi eux, il y a des hommes très méchants, vicieux - des bêtes à l'état pur - qui torturent : depuis les "Chauffeurs" qui rôtissaient les pieds des paysans pour trouver leur magot, jusqu'aux membres des polices pour obtenir des renseignements, ou d'organisations (sacrifices rituels, Inquisition,  Gestapo, G.P.U., C.I.A.) au service de leurs concepts religieux ou d'Etats.

En couronnement il existe de ces bêtes humaines, qui torturent pour voir souffrir, par jouissance, et le développement du cinéma et de la littérature sadomasochiste est l'indice du développement de cette sinistre tendance de l'homme.

Par ses voyages, par ses lectures, par ses réflexions, José Moselli avait reconnu tout cela, avait perçu que L'HOMME EST MECHANT. - Il le dévoile, le répète à chaque roman. C'est un MORALISTE. - Il est clair que, si la trame même des aventures de chacun de ses romans ne concerna que les adolescents, les aspects de cruauté des hommes, dévoilés par José Moselli concernent les adultes. Nous verrons encore ceci plus loin.

 

Un connaisseur de la gent humaine

 

Dans les "Démons de la Mer", par ruse et à l'aide de Noirs libérés d'un entrepôt d'esclaves, de La Fère s'empare d'un trois-ponts, navire de guerre anglais, le Sea-Queen.

Les officiers anglais, rescapés de la bataille et du massacre, sont obligés de se rendre au "pirate" et ils le font sans morgue ni bassesse et avec dignité et une tenue exemplaires.

Quels gentlemen ces Anglais ! Au fond, tout Anglais est un gentleman et l'Anglais qui n'est pas un gentleman, n'est pas un Anglais ! - Moselli me semble avoir eu, dans l'ensemble, de la considération pour les Anglais et j'entrevois, chaque fois qu'il en dépeint, les visages du colonel Bramble, du docteur O'Grady et les hommes du pont de la rivière Kwaï.

Leurs cousins allemands sont moins bien lotis. Les Allemands, qui nous ont dotés de deux guerres, désastreuses pour la primauté européenne, méritée, sont-ils intelligents ?

Oui, sans contexte, mais leur intelligence est lente, comme si elle devait s'extraire des brumes nordiques.

Dans Moselli, il y a deux sortes d'Allemands : le grand et mince du type junker et le gros trapu, buveur de bière bavarois (Max Blozer et Karl Bomarsund des "Requins du Pacifique"). Quoi qu'il en soit de leur intelligence, de leurs qualités de volonté, d'activités et d'accomplissements des taches, ils n'arrivent jamais à rien dans les histoires de Moselli, conformément à l'Histoire - Au fond, un malheureux peuple que celui de ces Allemands, maintenant coupées en deux parties de sens contraires !

Les neveux des Anglo-Allemands sont les Américains, le conglomérat qui monte et qui a pris l'argent comme mètre et maître, car l'Argent représente du travail accumulé, et ses marques, les mesures de ce travail.

Deux sortes d'Américains apparaissent dans Moselli. D'abord les travailleurs, les tramps du type de Jack London. On les trouve surtout dans les aventures de John Strobbins. Ni bons, ni méchants, ils vivent leurs vies et leurs morts.

Mais le businessman américain, voilà ce qui est typique et apparaît souvent chez Moselli. Quelques bons, tel que Walter Dobson dans "Les Gangsters de l'Air", mais surtout des exécrables dépourvus de toute sensibilité et ne pensant qu'au profit ; ainsi Mister Sording dans "La Cinderella" et les hommes d'affaires des romans de "Sciences & Voyages".

Or là, Moselli a mis le point sur l'i. - Après 1945, les USA n'ont eu de cesse que les Européens abandonnent leurs colonies et que soient élus (pseudo-démocratiquement) des dirigeants autochtones.

Aussitôt mis en place, ces gouvernements - soit-disant représentatifs - les businessmen apparaissent - aidés des diplomates et couverts par les pasteurs - qui placent la production USA en même temps qu'ils raflent les matières premières du pays ex-colonial.

Pas de préjugés, des pots de vin, des commissions, de la concussion en masse à des gens que trop enclins à ne s'enrichir que par passe-droits.

Les conclusions étaient inévitables : des pourrissements favorables aux adversaires.

Après les USA cherchent à s'en tirer en remplaçant leurs marionnettes (les Diem, Thieu, le Shah). Trop tard ! Le pourrissement par le businessman américain avait tout perdu.

J'ai déjà parlé des Espagnols, peuple anarchique, désordonné, cruel. Je n'ai pas sous la main d'exemples d'Espagnols de Moselli, si ce n'est des exceptions : des Hidalgos (fils de Goths), de nobles caractères tel que Zuniga, encore dans les "Requins du Pacifique".

Mais pour le malheur de deux continents, l'Amérique Centrale et l'Amérique du Sud, les Espagnols ont conquis ces immensités et y ont introduit leur caractère principal : la férocité. Naturellement, des rebellions, des révoltes et révolutions se sont produites et là, entrent en scène, les généraux révolutionnaires, nouveaux "présidente", ministres chamarrés, colonels couverts de titres et de décorations, que Moselli a si bien et si plaisamment décrits dans plusieurs aventures de Marcel Dunot, entre autres.

Mais cette ère de pronunciamentos, de généraux d'opérette, conquérants de places, a eu une fin qui est arrivée dans les dernières années de la vie de Moselli et qu'il n'a que peu connu et donc peu exploité. C'est l'arrivée du "stalinisme", système qui consiste à rendre inamovible le dictateur, grâce à une police politique partout présente et répressive et à ses camps de concentration. - A l'instar des républiques Sud-Américaines, une nuit, en Algérie, un colonel, Boumédienne, s'introduit dans la chambre de son président, Ben Bella et, lui mettant le revolver sur la tempe, lui dit :" Ôte-toi de l'Etat, que je m'y mette".

Mais par la suite, personne n'a pu faire le coup, ni à Boumédienne, ni à Castro, ni à Sékou Touré, car ils avaient créé la police politique efficace susdite. Cela, Moselli n'a pas eu le temps de le bien connaître, et c'est dommage.

De l'autre côté du Pacifique, dans "W...Vert..", etc., Moselli a surtout décrit la Chine de la dernière Impératrice, des Boxers et partiellement du Kuo-Ming-Tang. La Chine communiste (stalinienne) est venue après lui.

Mais l'un des succès des descriptions moselliennes, c'est l'Afrique.

L'on sait que la décolonisation de l'Afrique - à laquelle on ne pouvait échapper - a été un fiasco, un four... noir, un désastre ! - A quelques personnalités et à deux ou trois états viables près (La Côte d'Ivoire, le Sénégal, le Kenya), la libération de l'Afrique a été un avortement, un malheur pour les paysans noirs eux-mêmes.

Des Noirs palabreurs incompétents ont pris le pouvoir ici ou là, puis quelques cinquante révolutions de palais ont éclaté pour que d'autres prennent les assiettes au beurre à leur tour. La nullité des Noirs est absolue, allant parfois jusqu'à la férocité ou au grotesque.

Or, cela a été décrit de nombreuses fois par Moselli, à commencer dans "Le Sultanat de Kazongo" (comprendre Katanga ou Ouganda), publié du 18 juin 1911 au 25 février 1912 !

"Le Sultanat..." reparaît dans la "Collection d'Aventures" et l'on voit sur la couverture du n° 81 de cette collection, assis dans le désert, près des Pyramides, un Noir en JAQUETTE, souliers vernis, haut de forme, favoris blancs, collier de prix, gros cigare, mais... c'est Tschombé, Amin Dada ou Bokassa ! Réunis, ils sont là, dans Moselli, en 1911.

Il n'y a aucune différence entre les phrases ronflantes que Moselli met dans la bouche des Noirs (dans "Marcel Dunot en Afrique, en 14/18", par exemple et les propos que Jean Lartéguy leur fait tenir dans les "Chimères Noires" (ou les Centurions au Katanga), en 1970.

Comme disait René Dumont en 1962, "L'Afrique noire est mal partie". Elle l'est même de plus en plus, mais cela Moselli l'a visionné dès 1911 !

Arabes, Turcs, Kurdes, ont été croqués dans les aventures de Marcel Dunot pendant la guerre. Hommes durs, aptes à souffrir, à torturer. Qu'est-ce qu'Arthur Rimbaud est allé faire par-là à la fin du XIX° siècle ?

On le voit, toutes les races du genre humain ont été peintes par José Moselli, dans leurs brutalités, dans leurs comportements primitifs. Ces peintures implacables corroborent ce qui a été annoncé dans les pages précédentes :

L'homme est un animal méchant, dans la plupart des races.

Les meilleurs des hommes des histoires de Moselli sont naturellement les Français : ils en sont les héros. Mais ne triomphons pas en le taxant de chauvinisme !

Il me souvient avoir vu jadis un beau film de L. O'Flaherty "Ombres Blanches". Dès les premières images, on y montre des forbans écumant le Pacifique. Dans la version originale américaine, ce sont des Français. Dans la version française ultérieure, ce sont des Anglo-Saxons.

On n'est maître qu'en son pays ! et Moselli doit être pardonné que ses beaux héros soient Français, comme ceux de Jack London, Américains.

 

Un philosophe

 

Moselli, par la bouche de ses protagonistes, truffe ses romans de réflexions.

 

J'en prendrai quelques-unes unes dans les "Démons de la Mer", que j'ai sous la main :  

L'Intrépide n° 655 : - Mes jours sont comptés et, une fois dans le cercueil, il n'y a plus ni beaux, ni laids.

  655 : - Dans cette prison, ils sont tous malades de la potencite, une maladie qui ne pardonne pas.

  657 : - Maudit ivrogne, tu boirais la mer si elle était de la bière.

  657 : - Un soldat n'est bon qu'à ça (être pendu) ou à être fusillé.

  661 : - A un amputé qui demande s'il s'en tirerait, le chirurgien répondit : Non, mon homme, tu peux faire tes paquets pour aller            rejoindre tes jambes.

  693 : -... le lapin à qui l'on vantait l'avantage d'être égorgé, plutôt que d'être bouilli, eût préféré autre chose.

  697 : - Ce sont les lâches qui réussissent dans la vie ! Les courageux oublient de calculer et se brisent la tête comme des bœufs, 

 

cependant que la peur donne de l'intelligence aux lâches... - pas de philosophies, nous ne sommes pas à la Sorbonne !

Ces réflexions amères, d'adultes deviennent ironiques quand Moselli les met dans la bouche d'un personnage crapuleux, mais cocasse, bien connu des Moselliens : Boris Foff.

 

Le Roi des Boxeurs, n° 323 - L'homme le plus riche du monde ne peut que coucher dans un lit à la fois.

  326 : - Le chameau est un animal agile, mais il ne sait pas danser sur une corde.

   " : - C'est seulement quand l'œuf est cassé, qu'on peut faire une omelette.

   " : - Même quand on n'est pas sourd, on ne peut pas tout entendre !

   " : - Je suis prêt à payer, mais pas avec ma peau car je n'en ai qu'une.

   " : - Le plus beau bateau du monde est encore plus beau lorsqu'on en est le maître...

 

Conclusions

 

Un tableau est composé d'une toile, de peintures étalées, d'un cadre.

Et aussi de ce qu'il signifie.

Comme les tableaux, les romans de José Moselli sont composés d'éléments concrets, c'est à dire des récits d'aventures.

Et cela, c'est ce qui intéressait les adolescents en leur temps.

Mais ils exprimaient des pensées vraies, sagaces, viriles et cela c'était l'esprit même de José Moselli.

C'était l'esprit d'un adulte, d'un observateur sans ambages, d'un moraliste, d'un philosophe de l'homme.

Et cela c'est ce qui intéresse maintenant les adultes qui s'y reconnaissent.

Au départ les chevaux de course étaient sur la même ligne : Buffalo Bill, Nick Carter, Pierre Briscard, Sitting Bull, l'Aigle des Andes, les Trois Boy Scouts, le Petit Mousse...

Les jeunes lecteurs les prisaient tous et toutes. Quelles belles histoires, chacune dans son genre.

Mais le temps marche implacablement. Arrive celui où les adolescents sont devenus adultes et même, gens d'âge mûr. Alors un nouveau choix se fait...

Ce qu'ils veulent c'est du José Moselli, parce que c'est du dur, du solide, des réflexions d'adultes, des pensées, des conceptions d'homme.

C'est pour cela que José Moselli est une valeur sûre.

                                                         

  une valeur de lecture pour hommes.

  

Jean Leclercq, 12 mars 1981.

 


 

 

2.8 - JOSE MOSELLI ET LES MORTS LENTES

  par Marcel Lagneau

(article paru dans Le Chasseur d'Illustrés n°12, septembre 1969)

 

José Moselli aimait placer dans ses romans d'aventures des épisodes se passant dans des bagnes, où les héros sont condamnés, par suite des machinations de leurs implacables ennemis, à des séjours dont ils abrègent la durée par une évasion spectaculaire.

"Le Pari du Milliardaire", "Les Requins du Pacifique", "Les Champs d'Or de l'Urubu", "Les Mystères de la Mer de Corail", "Jean Flair", "La Prison de Glace", "Le Téléluz", par exemple, nous conduisent dans des bagnes situés sous différentes latitudes.

Mais José Moselli avait surtout une prédilection pour pimenter ses récits avec la description de scènes de tortures raffinées que sa fertile imagination variait sans cesse.

L'acide sulfurique répandue sur le patient, la corde serrée autour du front à l'aide d'un bâtonnet, les victimes livrées aux fourmis rouges, aux cobras, aux scorpions, les supplices des bourreaux Chinois ou des féroces canaques, ne sont que des divertissements sans grande nouveauté auxquels l'auteur nous convie sans y attacher grande importance.

Mais il y a mieux, et il nous relate souvent des scènes d'horreur avec une abondance de détails frisant le sadisme : dans les "Champs d'Or de l'Urubu" nous assistons à la "Torture de l'Or", c'est-à-dire l'or en fusion déversé sur les crânes et les épaules des patients, puis nous voyons des condamnés jetés dans un puits pour y être dévorés par des crabes-araignées, "gros comme des moutons, aux pinces larges comme des faux", et aussi à l'interrogatoire d'un "colonel" haïtien à qui on entaille les extrémités des doigts pour y déposer de la poudre à laquelle on met le feu... "les doigts ouverts, les os mis à nu" le supplicié hurle : "Ooh ! je meurs !" - "On ne meurt pas lorsqu'on a une si belle voix ! répond Loustalot".

Les victimes des Pirates Chinois des "Extraordinaires Aventures de Frédéric Kermit Bloomfield" ont la peau tailladée par bandes de dix centimètres, les plaies étant cautérisées à mesure à l'aide d'un feu rougi au feu, et ce pendant trois heures !

Dans "Les Négriers des Rivières du Sud" nous est présenté le "Supplice des Mouches" : les patients, d'abord enduits de miel, sont livrés à une nuée d'abeilles.

Le stoïque Capitaine Mortimer, des "Mystères de la Mer de Corail" a les dents limées lentement jusqu'aux gencives par le féroce Krapfl.

Un des "Compagnons de la Mort" subit le supplice du feu, les pieds et les jambes brûlés "ne laissant plus que deux moignons noirs calcinés jusqu'aux genoux".

Et ce journaliste jeté dans une profonde cuve à saindoux par un manufacturier de conserves, qui met en marche la malaxeuse... "Ah ! tu as dit du mal de mon saindoux... tu vas m'en fournir deux cents livres !" ("John Strobbins").

"La Prison de Glace" nous fait assister au martyr du chimiste Elwell, lié sur une chaise sur le pont d'un navire, par une température de -20°, les jambes trempant dans un bac d'eau qui gèle autour de ses pieds, en "broyant ses muscles et ses rotules", ce qui le fait devenir fou sous la souffrance.

L'infortuné Gauras, du "Dragon d'Emeraude", est ligoté en dessous d'une énorme cloche de bronze, dont les vibrations régulières, pendant des heures, le font tellement souffrir qu'il se fracasse le crâne sur les dalles du sol.

Enfin, pour en terminer avec ces quelques exemples de tourments variés, citons "Le Maître de la Banquise", qui nous décrit la mort affreuse de trois malheureux détectives, enterrés jusqu'au cou, la figure préalablement enduite de miel, dans le sol d'une cave fréquentée par des rats monstrueux.

Lorsque les rongeurs commencent à s'attaquer aux victimes, leurs bourreaux, confortablement assis, un cigare en bouche, contemplent le spectacle, tout en buvant du champagne.

... "Un cri aigu - un râle qui n'avait plus rien d'humain, retentit : c'était Bair... un rat agrippé à sa face lui rongeait l'œil... les hurlements n'effrayaient plus les rats, ils rendaient furieux les immondes carnassiers... qui fouillaient avec ardeur les chairs des suppliciés. Maintenant les râles d'agonie et les supplications des misérables emplissaient la cave. Un son suave les domina, Sam Camden, debout, son violon au menton, les traits extasiés, jouait lentement la marche funèbre de Chopin, qu'il recommença trois fois. Les yeux brillants, Hogeman en oublia de fumer son cigare et murmura :

    " - Admirable ! Oh ! Admirable.

    " - C'est sublime, affirma Murchison, sincère ! ..."  

Voilà une scène qui aurait délecté les amateurs de sensations fortes, clients habituels du "Grand Guignol" !

   

 

 


 

 

2.9 - MOURIR CHEZ MOSELLI

    par Claude Hermier  

  La mort est   omniprésente dans les feuilletons de José Moselli, mais ce n'est pas, loin s'en faut, celle de tout un chacun.

Non ! Chez lui la vie vous rejette violemment de façon impromptue et abominable.  La mort est presque toujours le fait de l'homme : la conséquence de son égoïsme, de sa lâcheté, de sa méchanceté.

Par la noyade (beaucoup de romans de Moselli sont maritimes), par le feu.

Par les armes a feu ou blanches ( flèche, sagaie, machette,... ).

Par les maladies microbiennes, et pas n'importe lesquelles. Une prédilection pour la lèpre inoculée sciemment, et avec quel sadisme ! Au cours de ses voyages, l'auteur avait vu des lépreux et connaissait les effets avilissants et repoussants de cette terrible maladie.  Je côtoie moi-même journellement de ces malheureux dans les rues et au marché de Tamatave où ils mendient.  J'en sais quelque chose, donc.

Pas souvent sous la dent des animaux en liberté qu'on dit sauvages.

Je ne sais si le romancier aimait les animaux. Je serais tenté de répondre par l'affirmative car dans l'univers mosellien on ne chasse jamais pour le plaisir, et seulement en cas d'extrême nécessité : pour manger. Le goût qu'ont certains humains de tuer un animal gratuitement lui est étranger. Pas de safaris comme chez Boussenard, Galopin, de La Hire.

Et nos amies les bêtes s'en prennent rarement à leur ennemi, l'homme.

Pire encore, on est mangé par l'homme! Qu'il soit cannibale (le cannibalisme est une institution sociale chez certains peuples) ou anthropophage (l'anthropophagie doit être perçue comme un acte). A noter que la dévoration est souvent précédée de tortures.

Moselli avait lu, sans doute, la célèbre revue "Le Journal des Voyages".  Y paraissaient des romans d'aventures exotiques et des récits d'explorations et anecdotiques - à l'authenticité douteuse - sur les peuples lointains.

C'était magistralement illustré par une pléiade d'artistes, dont Castelli au talent assez sulfureux, mais ainsi le voulait l'esprit de la revue ( voir à ce sujet l'article sur "le Journal des Voyages" signé Pierre Versins paru dans sa revue "Ailleurs" il y a plus de vingt cinq ans) Le "J. des V." magnifiait, si je puis dire, la sauvagerie des gens de couleur et de certains blancs.

L'illustré pour garçons "L'Intrépide" créé par les Offenstadt pour, a-t-on dit, concurrencer la célèbre revue, œuvre lui aussi dans le domaine de l'aventure d'au-delà les mers en privilégiant cependant le roman.

Dans "Le Journal des Voyages" les actes de barbarie étaient le fait de sauvages et illustraient surtout les récits des grands voyageurs, c'était  du "vécu". Dans "L'intrépide" ils sont surtout du domaine du roman - de Moselli principalement - Mais, qui est important, la cruauté est imputable aussi bien aux sauvages qu'aux civilisés. "Le J. des V." n'a-t-il pas été un catalyseur pour l'auteur du "Roi des Boxeurs" dans le tout début de sa carrière chez les Offenstadt ?

Moselli devait jubiler en écrivant les scènes atroces qui sont tout au long de ses récits. J'y vois des clins d'œil à son jeune lecteur : ce qu'on " s'amuse" ! D'ailleurs sa compagne a rapporté que le romancier était souvent "peiné" de faire disparaître 1'un de ses personnages, mais il lui promettait une belle mort, c'est tout dire.

Une lecture plus attentive ouvre des perspectives intéressantes. Moselli ne profitait-il pas de l'opportunité qui lui était offerte pour évacuer certaines boues de son inconscient ? La psychanalyse explique ces choses-là.  

 

 


 

 

2.10 - ECHOS SUR JOSE MOSELLI

(article paru dans le Chasseur d'Illustrés, n°12, septembre 1969

article non signé, attribué à G. Fronval)

 

Faire des recherches à propos des romans de José Moselli dans les si nombreuses publications de la S.P.E. n'est pas toujours chose facile. Ce fécond écrivain, en effet, a utilisé de nombreux pseudonymes, et certains de ses textes n'ont même pas porté de signature, quelques-uns y ont eu droit seulement à la fin du premier chapitre. Par ailleurs, des romans publiés dans les hebdomadaires ont changé de titres lorsqu'ils furent repris dans "La Collection d'Aventures". Ainsi, par exemple, les n°s 125 et 126, portent les titres respectifs de "Les Suppliciés du Hoang- Ho" et "Les Loups Rouges". Plusieurs Chasseurs d'Illustrés ont cru qu'il s'agissait d'un inédit. C'était là chose étonnante, car cette collection était composée de textes déjà parus, ce qui évitait de payer des droits, les manuscrits étant alors achetés "en toutes propriétés".

Un jour, à une de nos réunions, Michel Guillaumin signalait que dans les tous premiers numéros du "Cri-Cri" - celui à bordure rouge - avait paru un roman de José Moselli qui avait été seulement signé après la dernière ligne : Pierre Agay. De retour chez lui, un des responsables du "Chasseur d'Illustrés" s'empressa de compulser sa collection. Il découvrit aisément le texte en question. Il s'agissait d'un roman en images sur une double page, illustré par Lubin de Beauvais : "Extraordinaires Aventures de Frederic-Kermit Bloomfield". Le chapitre VIII était intitulé "Les Pirates du Hoang-Ho". Des pirates aux suppliciés, il n'y avait qu'un pas.

En comparant les textes du "Cri-Cri" et de "La Collection d'Aventures", c'étaient les mêmes, ils contaient les exploits de Frederic Kermit Bloomfield et de son fidèle Cadouille.

Un mystère était éclairci. Il n'y avait décidément pas d'inédit dans "La Collection d'Aventures". Un autre mystère José Moselli : il s'agit d'un des derniers romans de "La Collection d'Aventures", ayant pour titre "Le Roi des Tavernes". Il est signé Ledam et comprend 4 livraisons. La première porte le titre du récit, la seconde, n° 495, "La Tour des Supplices", la troisième, n°496, "A l'Assaut de la Citadelle" et la dernière, n° 497, " Sous les Plombs de Venise", l'ensemble illustré par Puyplat. Le roman était signé par Ledam. Ledam ! Encore un pseudonyme de notre cher auteur ? Sans aucun doute ! George Fronval a trouvé "Le Roi des Tavernes" à Cannes, lors de sa visite au "Balaton".

Une œuvre peu connue de José Moselli, que nous avons découvert tout à fait par hasard, en feuilletant la collection du "Régiment", un hebdomadaire égrillard paru vers 1913 chez Offenstadt, est une série d'articles historiques paraissant dans une rubrique intitulée "Nos Héros".

José Moselli, qui ici signait Pierre Agay, donnait des biographies de marins illustres, tels que Flibustiers et Corsaires. Ainsi celle du Baron de Bucaille, parue dans le n° 19 du "Régiment". Les autres auteurs de cette chronique étaient Pierre Gallien, Erk-Bouiller, Patrice Roselay et Régine Véran. Parmi les romans de José Moselli, il en est un qui présente des caractéristiques particulières. Il s'agit du "Téléluz", que bon nombre de Chasseurs d'Illustrés croient avoir été publié en premier dans "L'Intrépide".

Ils s'imaginent, en effet, que ce roman a commencé dans le n° 417, du 18 août 1918, pour finir dans le n° 441, du 2 février 1919. Si cette dernière date est exacte, il n'en est pas de même de la première.

"Le Téléluz" a très exactement commencé le 19 mai 1918, dans une publication patriotique des frères Offenstadt, "La Jeune France". Le roman de José Moselli parut tout d'abord en première page, avec des illustrations de R. Le Riverend, dans un montage tarabiscoté, à la manière des couvertures de "Fillette".

Quelques années plus tard, ce même roman présentait de la même façon qu' "Iko Terouka", dans "Le Petit Illustré", en couleurs page 1, et en noir page 16.

Puis il y eut un autre changement.

Le 18 août 1918, dans le n° 417 de "L'Intrépide", commençait la publication de "Téléluz", présenté comme un véritable roman. Chaque numéro, au début relatait la valeur de trois semaines de "La Jeune France". Le 23 septembre, les deux publications étaient à égalité. La semaine suivante, "La Jeune France" ne paraissait plus. Seul "L'Intrépide" offrait à ses lecteurs la suite du texte du "Téléluz".

A propos des fascicules du "Roi des Boxeurs", il est intéressant de faire remarquer que la série des soixante dix neuf livraisons parues encartées dans "L'As", en 1938, n'était pas constituée par des textes inédits. Ainsi le n° 1 de la série de "L'As" est le numéro 1 de la première série éditée en octobre 1925.

Les numéros sont exactement les mêmes, même texte, mêmes titres, mais illustrations nouvelles, jusqu'au n° 28. Le suivant, le n° 29, est la reprise du premier fascicule de la seconde série, de janvier 1928, "Monsieur Eugène Lochon 1013".

Les brochures qui suivent respectent le texte jusqu'au n° 57, là où un autre roman, "Le Philtre d'Or", est sans signature d'auteur. Les textes sont alors modifiés, raccourcis, si bien qu'une livraison relate parfois la valeur de 2 ou 3 fascicules de 1928.

L'histoire finit brutalement au n° 79, qui est  fait  en partie du texte du fascicule 190, "La Catastrophe du Pensacola". Le récit est hachuré, fragmenté, et cesse brusquement d'une façon nouvelle : sous une ligne de pointillé trois lignes brèves annoncent :

"Quelques heures plus tard, un navire anglais recueillait notre héros et l'emportait vers Shangaï, vers de nouvelles aventures que nous comptons raconter prochainement".

Mais, depuis, "Le Roi des Boxeurs" n'eut aucune autre aventure, soit en reproduction, soit en inédit.  

 

 

 


 

 

2.11 - JOSE MOSELLI ET LA SCIENCE-FICTION

  par René Lathière

(article paru dans le n° spécial José Moselli du Chasseur d'Illustrés, 1970)

 

La science-fiction au sens le plus large ne représente qu'une partie de l'œuvre de José Moselli. Il ne faut pas oublier en effet que notre auteur écrivait surtout des romans d'aventures où les héros luttent tenacement contre des ennemis dont ils n'avaient nulle pitié à espérer, et l'ancien mousse de trois-mâts aurait bien pu paraphraser le célèbre Roughing It de Mark Twain.

Une seule partie, oui, mais dont l'étude demanderait plus que notre modeste apport.

"L'intérêt de ces romans est souvent faible", a-t-on pu lire, voici quelques années, dans le "chapeau" présentant "La Fin d'Illa", quand la revue "Fiction" a publié le texte offert en 1925 par "Sciences et Voyages". Jugement discutable ! José Moselli a fréquemment jeu égal avec Rider Haggard (un de ses pères spirituels), Jack London et Jean Ray. Les "Drames et Mystères de la Mer", pour ne citer qu'eux, ne seraient pas indignes d'empoigner les jeunes lecteurs d'aujourd'hui.

Mais la controverse nous entraînerait trop loin.

José Moselli a débuté très tôt dans la science-fiction. Ouvrez le recueil de "La Croix d'Honneur" de l'année 1916 : vous y trouverez "Le Maître de la Banquise", dont le manuscrit date, probablement, d'avant 1909, car le contexte indique que le Pôle Nord n'était pas encore atteint par l'Américain Peary.

Robert Anderson, jeune inventeur méconnu - et roulé par le Germano-Yankee Hogemann - décide de se venger. Vengeance grandiose puisqu'il a retrouvé la formule des miroirs solaires d'Archimède. En pleine banquise surgit Suntown, la ville du Soleil, véritable oasis ultramoderne. Et c'est de là que le sous-marin "Mercure" ira piller navires et factoreries.

Science-fiction, mais aussi anticipation. Anderson a été obligé de livrer, en plein port de New-York, la première bataille sous-marine de l'histoire. Le voici maintenant attaqué par une armada anglo-américaine que commande l'Amiral Pancook. Infortuné amiral : il a sous-estimé la puissance d'Anderson qui coule ses navires et repousse toute attaque par terre grâce à ses miroirs. Du reste, le hors-la-loi ne fait que se défendre. Il n'est pas un bandit. Il gagnera finalement l'amour de la charmante Maisie Barnett et bénéficiera de l'amnistie totale lorsqu'on apprendra sa magnifique découverte du Pôle Nord.

Cette anticipation navale, Moselli en reprendra le thème plus tard, après 1914-1918, dans "La Guerre des Océans". Ici, le partage est nettement fait. L'homme de science aigri, Fédor Ivanovitch Sarraskine, ne nous est pas sympathique, malgré sa rancœur justifiée à l'égard des Anglais et des Américains, et le héros, Jacques d'Harvaux, n'aura de cesse que le pirate soit vaincu.

Mais quel savant, ce Sarraskine ! Il a mis au point la greffe des tissus animaux, modifiant l'organisme humain et permettant à des hommes de vivre dans l'élément liquide où ils se propulsent à des vitesses incroyables. Toutefois, ces amphibies doivent subir à intervalles réguliers des piqûres d'entretien, sans quoi ils meurent dans de terribles souffrances. Malheur à qui veut trahir Sarraskine!

Clou du roman : l'attaque du repaire n° 1 de Sarraskine, situé au Cap Horn (dans l'îlot Diago Ramirez) par une escadre britannique. "Ce que veulent les Anglais, ils le veulent bien. Ils savent y mettre le prix, ce qui est une qualité moins commune qu'on ne croit". Moselli a publié ces lignes en 1929. Il est mort trop tôt, hélas ! pour voir cette ténacité à l'œuvre sous les V-2 et en Normandie.

Donc, le monitor "Styx", les destroyers "Pygmalion", "Nestor" et "Pollux" et le croiseur rapide "Crécy" - ce dernier transportant trois avions de chasse ! - attaquent Diago Ramirez. La bataille du Cap Horn coûte cher : deux avions sur trois descendus, trois vaisseaux coulés. Mais Sarraskine est obligé de faire sauter son repaire ébranlé par les grosses pièces du "Styx".

Ces deux chapitres (XXXV et XXXVI) comptent à notre avis parmi les meilleures pages de José Moselli qui, resté sur le souvenir de la bataille des Iles Falkland (cf. "Les Cœurs du Tigre"), imaginait déjà l'enfer de Midway et de la Mer de Corail, et le formidable pilonnement effectué pour réduire chaque atoll, chaque blockhaus japonais.

Mais si "La Guerre des Océans" est un excellent roman, "L'Empereur du Pacifique", qui nous tint en haleine de 1932 à 1935, nous montre mieux encore le pouvoir d'anticipation de José Moselli.

L'Empereur ? Nous ne saurons rien de lui jusqu'au bout, sinon qu'il est de race jaune et qu'il veut asservir les Blancs. Ses repaires, il en a plusieurs, sont disséminés dans l'Océan Pacifique, et plus spécialement entre l'Australie et l'Equateur. Un savant de génie, l'Allemand Ambrose Vollmer, s'y livre à diverses expériences de vivisection. Les sous-ordres, des Blancs et des Canaques, doivent obéir sans chercher à comprendre. Ils sont partagés entre l'appât du gain et la peur d'aller rejoindre les "sujets" du sinistre Vollmer - ou celle de s'asseoir sur la chaise électrique, devant un appareil de télévision qui permet à l'Empereur de voir si la sentence est exécutée.

Depuis des mois, depuis qu'Ambrose Vollmer a mis au point le "gaz bleu", des navires disparaissent. Les lecteurs de "L'Intrépide" n'auront sans doute pas oublié la lente agonie du paquebot américain "California", ni la façon dont les pirates de l'Empereur se jouent du croiseur "Pensacola" dans les parages du Détroit de Torrès. Equipages, passagers, ont d'abord l'impression d'un brouillard épais. Puis ils se rendent compte qu'ils sont devenus aveugles, et ils meurent. Pas tous, à vrai dire. Mais les rares rescapés seront "traités" par Vollmer.

Et c'est là le leitmotiv du roman : la vivisection. C'est elle qui revient hanter les deux héros, le placide M. Bour-Lollay et le rude matelot Scournec. C'est elle qui conduit Wilfrid Hornby, vieux marin alcoolique, à préférer se briser le crâne contre une cloison. Dès les premiers chapitres, nous voyons M. Bour-Lollay, son ami Christian Nordard et Scournec subir un mystérieux traitement. Mystérieux, mais bien anodin en comparaison de ce que médite Vollmer. Ecoutons plutôt Alfred Tomkins qui a pu fuir avec M. Bour-Lollay et Scournec, révéler le peu qu'il sait...

... "Ambrose Vollmer se livre à des expériences de vivisection. Il veut fabriquer, transformer, enfin créer un homme qui soit un vivant récepteur de TSF... Mais les sujets de ses expériences endurent des tortures sans nom... Parce qu'on m'a dit que, pour que les sujets du docteur résistent, il ne faut pas leur donner trop de soporifiques, ou très peu..."

Et lorsque M. Bour-Lollay parvient enfin à trouver Nordard, ses derniers espoirs s'évanouissent...

... "Plus loin, la troisième niche contenait quelqu'un dont on ne voyait rien, sinon un énorme casque de cuivre cylindrique auquel étaient fixés des petits cadrans et des minuscules ampoules électriques... Scournec était sans doute parmi les occupants des niches. Et Christian Nordard aussi. Mais où ? Dans lesquelles ? Qu'importait, d'ailleurs ?... Où qu'ils fussent personne en ce monde ne pouvait rien pour eux..."

Du grand Moselli ! Pour atteindre le même degré d'horreur, un Lovecraft ne savait qu'imaginer des "entités blasphématoires" venues d'outre-ciel, qui gardaient le cerveau de leurs victimes dans des cylindres de métal. Moselli, lui, ne sort pas des limites terrestres. Le Docteur Vollmer, nous le savons maintenant, aurait fort bien pu se retrouver quelques années plus tard au nombre des médecins nazis condamnés pour crime contre l'humanité.

Nous disions plus haut que Moselli fait jeu égal avec Jean Ray. Est-ce parce que tous deux furent marins ? Leurs héros tiennent bon. Voyez M. Bour-Lollay foncer sur Vollmer, le désarmer, le ligoter, l'exécuter. Imaginez à présent le héros lovecraftien fourvoyé dans un atoll de l'Empereur : à peine certaine porte franchie, il aurait pris la fuite en poussant des cris d'épouvante.

   

  Tel qu'on peut le juger avec le recul des années, "L'Empereur du Pacifique" marque un sommet dans les fresques d'anticipation de José Moselli. Il y eut "avant" et il y eut "après".

"L'Avion Fantôme", qui disparut en même temps que "L'Intrépide", ne vaut que par l'extraordinaire vitesse de l'aéronef du rajah fou Akbar Firoz, démoniaque réincarnation de Sarraskine. Le sinistre savant Stefan Melnik lui-même, malgré son goût pour la vivisection, ne surpasse pas Vollmer.

Quant au "Rendez-vous de Benguella", il y est bien question d'une formule permettant de détruire l'atmosphère terrestre, mais sans plus. C'est du reste un bon roman d'action.

Mais nous nous en voudrions de ne pas citer "L'Ile des Hommes Bleus". "L'Intrépide" ayant naufragé, ce fut "L'Epatant" qui, avant de sombrer lui-même, présenta le dernier roman d'anticipation signé Moselli. Notre auteur y a réalisé le tour de force d'abandonner plus ou moins ses chers navires, de faire du neuf avec du vieux, et de se tenir à l'extrême limite du canular. Jugez plutôt.

L'aviateur Pierre Morestier décolle à bord de son "stratosphérique" pour tenter de battre le record d'altitude. A seize mille mètres, la liaison radio avec le sol est interrompue. Qu'est-il advenu de l'avion ? Mystère. Eh bien, contrairement à ce que le profane pourrait croire en lisant le titre, Morestier n'est pas tombé à la mer, pas plus qu'il ne s'est réfugié sur une île inconnue.

Son avion a été pris comme au filet par les occupants d'un gigantesque engin aérien, d'une sorte de palet colossal qui glisse dans les hautes couches de l'atmosphère. Une "île" si l'on veut, qui peut se rapprocher ou s'éloigner de notre planète à volonté, car elle possède un point d'attache en cas d'avaries, situé (naturellement) dans le Pacifique.

Une île volante... cela ne vous rappelle rien ? "A floating island...", si, bien sûr : Laputa ! L'île des savants hurluberlus, conçue dans les années 1725 par un certain Jonathan Swift ! Mais si le terrible ricaneur qui se cachait derrière le bon capitaine Gulliver cultivait délibérément le canular, Moselli réussit à l'éviter. L'Ile Ostrow, dirigée par le Géorgien (!) Wassili Tchorok, est faite d'un métal obtenu par décomposition de l'eau de mer, et qui offre la particularité d'être anti-gravide. A la longue, néanmoins, le métal se désagrège suivant un phénomène de démoléculisation. L'île ne peut donc s'élever que de moins en moins haut et risque même de s'engloutir d'un coup dans la mer.

Quant aux amateurs d'anticipation, ils conviendront que les spécialistes des fameuses soucoupes volantes n'ont vraiment rien inventé.

Après quoi il y eut la deuxième guerre mondiale avec ses batailles dans l'Océan Pacifique, ses V-2, ses savants maudits, Hiroshima, et des militaires auxquels... eh oui ! ... auxquels Moselli pensait déjà lorsqu'il écrivait "La Fin d'Illa".

 

Œuvre hors-classe, ce splendide roman d'aventures aux derniers chapitres bâclés a trouvé la place qu'il méritait dans la revue "Fiction" en 1962.

Depuis 1925, nous avons connu le genre de guerre totale à l'issue de laquelle Illa quoique victorieuse, fut anéantie. Nous avons connu nous aussi une race de seigneurs prétendant asservir ses voisins - dont l'un d'eux, du reste, "égal en traîtrise et en astuce" à l'agresseur. Nous avons connu un dictateur fou, des savants passant d'un camp à l'autre, et certains ont vu le nuage en forme de champignon qu'André Galland sentit naître sous son crayon.

"La Fin d'Illa" est le seul roman de Moselli écrit à la première personne, avec "Le Dernier Pirate". De même que ce journal de bord d'un commandant de sous-marin allemand, c'est une œuvre noire, désespérée, où l'on ne nous offre pas de "happy ending". Les quelques héros sympathiques y sont broyés. Xié, le narrateur, verra périr Fangar son seul ami, Toupahou le fiancé de sa fille, et celle-ci qui ne pourra survivre. Général en chef des armées d'Illa, Xié n'est cependant pas un monstre. Il aime sa patrie, il est prêt à se faire tuer pour elle, mais s'il a droit à notre admiration, c'est parce qu'il agit sans haine vis-à-vis de Nour. Révolté par le tribut de vies humaines que l'on exige des vaincus pour augmenter le pouvoir des "courants osmotiques", il ne trouve d'issue que dans un holocauste final. Cet homme de guerre s'est cabré le jour où Rair, maître d'Illa, lui a lancé une riposte méprisante :

"Les Militaires sont faits pour se battre et non pour raisonner, Xié ! Et au surplus, nul ne vous demande votre avis !"

Point de vue qui a donné bien des drames, il n'y a pas si longtemps...

 

 

Les non-humains, l'un des principaux thèmes de la science-fiction, ne tiennent qu'une place réduite dans l'œuvre de Moselli : deux nouvelles. Mais il n'est pas exagéré de dire qu'elles constituent des morceaux de choix.

"La Cité du Gouffre" est l'aventure d'un dévoyé qui pense dérober des pierres précieuses à bord d'un paquebot. Dans les parages du Cap Gardafui, au moment où le voleur s'est introduit dans la chambre forte, le navire sombre. La porte étanche fermée, l'homme se sait condamné à une affreuse mort lente au milieu de caissettes d'opales et de rubis.

Et voici qu'à travers le hublot, il distingue des édifices bizarres entre lesquels passent d'incroyables engins munis de roues dentées. Et autour de ces machines grouillent des êtres...

... "Ces êtres se composaient d'un bulbe blanchâtre strié verticalement de vert sombre, et autour duquel trois rangées d'yeux ronds, couleur rouge cerise, étaient disposés. Sous ce bulbe qui pouvait être haut de cinquante centimètres et mesurer quarante centimètres de diamètre, se mouvaient des tentacules au nombre de sept, assez semblables à ceux des poulpes, mais de longueur inégale".

Ces êtres, ces habitants de la Cité du Gouffre, sont-ils responsables de tous les naufrages survenant au large du cap Gardafui ? On peut le supposer, car l'homme les voit bientôt s'attaquer à l'épave, la dépecer. Mieux encore : quand il sera recueilli par un navire français, alors qu'il gît, inconscient, dans une sorte de bouée creuse de couleur blanche, il aura le temps, avant de mourir, de penser que les monstres l'y ont eux-mêmes installés pour le renvoyer à la surface.

Une nouvelle fois, Moselli rejoint Lovecraft. Ces êtres qui hantent les abîmes, ne les imagine-t-on pas adorant le Grand Cthulu ? Et ils n'ont pas besoin, eux, de venir semer l'épouvante dans une quelconque Innsmouth des Terriens. Ils coulent les navires à distance, sans se soucier de savoir si on incriminera ou non la tempête et les vents contraires. Ils se montrent même humains à leur manière, puisqu'ils épargnent ce Philippe Raquier, triste survivant de l'hécatombe. Pourquoi pas ? Ils sont bien certainement invulnérables. Au surplus, nous pouvons admettre qu'ils agissent par plaisanterie, "by jest", tels les entités du cycle lovecraftien.

Très différent, cependant, est l'esprit du "Messager de la Planète", le plus humain probablement de tous les "bug-eyed monsters" imaginés depuis H. G. Wells. José Moselli y a frôlé le chef-d'œuvre, car son moindre mérite n'est certes pas d'opposer l'égoïsme de deux savants terriens, au drame poignant d'un être venu d'outre-ciel.

Ottar Wallens et Olaf Densmold, partis du trois-mâts "Sirius" en direction du Pôle Sud, périssent lamentablement sur le chemin du retour. Certes, ils ont souffert. Mais l'amour forcené de la science excuse-t-il Dansmold quand il décide d'abandonner Wallens pour aller plus vite et garder pour lui seul les dernières bribes de pemmican ? Et Wallens, en l'abattant d'une balle de revolver, se montre-t-il meilleur ?

Le véritable héros de l'histoire, le seul que Moselli nous rend sympathique en deux ou trois pages, est bien cet extraterrestre dont l'engin est tombé non loin du campement des savants.

Tombé, non pas posé. Tout le drame est là.

Ce que Densmold et Wallens découvrent une fois à l'intérieur de l'astronef naufragé  ; cette télévision qui leur montre une cité sur une planète inconnue  ; ce liquide philosophal qui permet à l'acier de devenir successivement argent, plomb, or, platine  ; ces vibrations plus ou moins aiguës qui correspondent peut-être aux différents états de la matière  ; ces rayons de force invisibles qui vous élèvent jusqu'à l'orifice de l'engin... sont désormais inutiles devant le fait que les deux "sauvages" se bornent à ouvrir de grands yeux et que le moteur (?) conçu par les techniciens d'un autre monde est ipso facto irréparable.

Suprême ironie du sort : le "messager" de cette race merveilleusement avancée par rapport à la nôtre est finalement victime des chiens du traîneau. A peine est-il sorti de l'astronef que deux huskies foncent sur lui et l'abattent. Aussitôt, le corps se met à brûler par un mystérieux phénomène d'incinération spontanée.

Densmold et Wallens ne songent plus qu'à regagner le "Sirius". Ils le pourraient, si Densmold ne s'avisait d'arriver plus vite, pour être sûr de faire connaître au monde l'existence de l'épave merveilleuse - de l'astronef qui restera désormais ignoré dans l'Antarctique.

"Le Messager de la Planète", disons-le, n'est pas sans défauts. On se demande par exemple pourquoi Densmold et Wallens peuvent toujours utiliser leurs torches électriques, alors que la présence de l'astronef a complètement vidé les accumulateurs du poste de TSF, et pourquoi les chiens meurtriers ne tombent  foudroyés qu'APRES avoir tué l'extraterrestre. Mais ces faiblesses n'apparaissent qu'à la seconde lecture et, au total, ne diminuent en rien le mérite qu'a eu Moselli de nous donner, dès 1925, un inoubliable morceau de science-fiction.

 

Que dire de plus ?

La mystérieuse matière qui catalysait l'eau après être tombée sous forme d'aérolithe dans le cratère de la "Montagne des Dieux" provenait sans doute de la même région de l'espace que l'astronef.

"Le Maître de la Foudre", digne émule de "L'Empereur du Pacifique", faisait exploser des bombes par télécommande. Mais il était certes moins redoutable que le sombre Pietro Marini dont le terrible "Rayon Phi" ne laissait pas pierre sur pierre de l'objectif condamné.

Aux derniers beaux jours du Tsar Nicolas II, l'odieux Karl Kresler avait déjà recours à l'hibernation pour garder ses victimes dans une véritable "Prison de Glace" - alors que Richard Eberhardt et Cyril Ferguson, "Les Conquérants de l'Abîme", essayaient un peu plus tard de faire fondre cette même glace (au Labrador, il est vrai! ) en obligeant le Gulf Stream à changer de direction. Précisons que ce dernier roman tournait court au seizième chapitre, Moselli ayant peut-être reculé devant l'imminence d'une guerre entre la Grande-Bretagne et les Etats-Unis ! Les deux rois de la mer, on l'a vu, finirent par se réconcilier plus ou moins sur le dos de Sarraskine.

Il faut dire que Richard Eberhardt et Ferguson n'avaient pas eu comme Conrad Zerbst la chance de découvrir des diamants à foison dans certaines îles de la mer de Behring réchauffées par des geysers sous-marins - dans cet "Archipel de l'Epouvante" où...

Mais là, je n'anticiperai pas.

Un excellent morceau - et pourtant, jamais roman de José Moselli ne fut plus mal présenté que celui-là ! Divisé en trente six doubles pages centrales de "L'Intrépide" dont les couleurs se réduisaient à un rouge pisseux avant de disparaître fort heureusement, le texte compact, pénible à lire, n'était même pas accompagné d'images valables. Alors qu'il eût fallu le coup de patte d'un René Giffey, d'un André Galland ou d'un Vallet, on avait, par une étrange aberration, songé à... Jobé-Duval. Or, autant le cher oncle Félix était inégalable pour traduire les "Tribulations Fantastiques de Pico" dans le "Petit Illustré" ou pour nous enchanter dans "Fillette", autant il se montra parfait gabier de poulaine chez le Grand Serpent de Mer.

Car c'était bien lui, magistralement décrit par José Moselli, lui, le Mégophias, le Mosasaure, le formidable Rescapé de la Préhistoire, auquel Jobé-Duval donnait l'aspect d'une ahurissante tarasque tout juste bonne à effrayer notre petite sœur ! C'était lui cependant qui hantait les eaux chaudes baignant "L'Archipel de l'Epouvante". C'était son congénère, prisonnier dans un marécage, qu'adoraient les farouches Hommes-Poilus, lui auquel les shamans offraient des sacrifices humains. C'était lui que Jacques Ferbeaux et le naturaliste Bancroft, fuyant Conrad Zerbst à bord d'un canot automobile, avaient vu en pleine mer...

... "Un bruit épouvantable retentit, un rugissement, un barrissement, un hurlement, un grondement, un de ces bruits uniques pour lesquels il n'existe de mot en aucune langue... les deux hommes, saisis, pétrifiés, oubliant tout, se retournèrent, hagards, frissonnants, et virent : à moins de mille mètres du canot, un animal grand comme cent baleines, une sorte de serpent dont  les écailles couleur vert-bronze luisaient comme de la porcelaine, glissait lentement sur l'eau grise. Sa nageoire dorsale triangulaire, longue d'une douzaine de mètres et haute de moitié, ressemblait à une colossale aile de chauve-souris. Une rangée de griffes noires la bordait. La tête du monstre effleurait la surface de la mer : une tête triangulaire, couverte d'écailles noirâtres, où deux yeux ronds et rouges, de la dimension d'une tête d'homme, luisaient comme d'énormes rubis".

"Et c'était son frère de race qui, justicier invulnérable sous sa cuirasse d'écailles, anéantissait le navire où Conrad Zerbst et le féroce Khrap venaient de transporter leur moisson de diamants, Jacques Farbeaux ayant eu l'idée de démolir la barricade fermant le marécage en faisant dégringoler un énorme rocher..."

... "Khrap avait vu le péril. Le canon et les mitrailleuses tonnèrent. Obus et balles vinrent s'écraser sur les écailles du monstre dont la nageoire dorsale, déchiquetée par les projectiles, frémit. Dans un nuage d'écume rouge, il jaillit pour ainsi dire de l'eau bouillante et retomba sur le "Corysandre". Les détonations cessèrent. Ce fut le silence...".

Le Mégophias...

Peut-être existe-t-il d'autres Mystères de la Mer, dont José Moselli nous eût certainement parlé, vieux skipper plus qu'octogénaire, quelque part entre Agay et le Cap Lisburn. Mais après tout, n'est-ce pas plutôt sur celui-là qu'il aurait préféré finir ?

   


 

 

2.12 - JOSÉ MOSELLI ET LES ROMANS POLICIERS

par Michel Guillaumin

(article paru dans le n° spécial José Moselli du Chasseur d'Illustrés, 1970)

 

Dans le cadre du roman d'aventures, José Moselli s'est essayé aux genres les plus divers : anticipation, espionnage, romans de cape et d'épée, romans policiers.

Il aborda d'ailleurs très tôt le roman policier, puisque la première histoire publiée sous son nom, intitulée " W...Vert..", débuta dans "L'Intrépide" du 6 novembre 1910 par une série d'énigmes : six personnes disparaissent mystérieusement en gare du Nord et la sixième réapparaît au moment où on l'attendait le moins, alors qu'on la croyait à Buenos Aires.

Mais c'est dans "L'Epatant" du 22 juin 1911 que débuta vraiment la première des grandes séries policières de Moselli, avec les aventures de "John Strobbins, détective cambrioleur".

Plus de 70 épisodes, formant chacun une histoire complète, parurent sous ce titre, presque sans interruption de 1911 à 1930, une ultime aventure, sans doute oubliée, "La Malle de Laque", étant encore publiée isolément en 1933.

Ces récits occupent d'abord trois ou quatre numéros, devinrent vite plus étoffés et s'étendirent sur dix-quinze livraisons et plus, chaque chapitre comportant dans l'en-tête une illustration signée au début par divers dessinateurs pour chaque épisode, Janko, Roig, Galland... se succédèrent ainsi, mais finalement ce fut Jacques Abeillé qui devint l'illustrateur attitré de John Strobbins.

Pour composer son personnage, José Moselli s'est sans nul doute inspiré d'Arsène Lupin dont les aventures avaient été publiées pour la première fois en 1905. Jeune, élégant, sympathique, John Strobbins n'est plus un débutant lorsqu'il apparaît : il a déjà eu maille à partir avec la police de San-Franciso, des mains de laquelle il s'est déjà glissé plus d'une fois. Le tout premier épisode nous narre précisément une de ces évasions, d'ailleurs, concédons-le, passablement rocambolesque et peu vraisemblable.

John Strobbins est un virtuose du cambriolage. Bien entendu il excelle à emprunter n'importe quelle personnalité, et il utilisera fréquemment ce don, notamment dans les débuts, pour mystifier ses bêtes noires, James Molescott, le chef de la police et son adjoint Peter Crainsby.

Cependant, nous l'avons dit, John Strobbins est un voleur, peut-être adroit et sympathique, mais un voleur tout de même, ce qui n'est pas joli. Mais il va s'améliorer et n'hésitera pas, par la suite, à affronter fréquemment les plus grands dangers par pur esprit chevaleresque, afin de sauver des innocents de la potence, et démasquer les véritables coupables. Si l'occasion de quelques menus profits se présente en marge de cette bonne action, il va de soi que John Strobbins s'arrangera pour en bénéficier, à titre de légitime compensation.

Aidé de son fidèle Reno, John Strobbins pense à tout, organise tout. S'il est parfois contraint d'employer la violence, à l'instar d'Arsène Lupin il ne tue jamais. C'est durant la guerre, lors de ses démêlés avec les espions, qu'il se montre le plus sévère. Ainsi, un jour, il fit inoculer la lèpre à ses ennemis avant de les abandonner sur une île déserte. Il est vrai que c'était lui qui était primitivement destiné à ce sort.

Le plus souvent, l'enjeu de la lutte, le mobile du mystérieux assassinat par lequel débute l'épisode comme il se doit dans le genre policier, c'est un trésor qui peut aller de la banale mais considérable liasse de bank-notes, à la cargaison de fourrures, en passant par une concession de riches terrains pétrolifères ou le "Grand Zodiac d'Or des Mayas"... tout cela est disputé à de féroces gangsters, qui seront finalement coffrés à la suite d'un discret coup de téléphone donné à la police.

Quelquefois c'est l'échec. Ainsi, dans "La Momie d'Aménokrit", l'énigmatique docteur Syam s'échappe après avoir fait sauter le yacht de John Strobbins, porteur de fabuleuses richesses.

Quoi qu'il en soit, John Strobbins reste l'un des personnages les plus attachants de Moselli et fût, avec les "Pieds Nickelés", l'un des attraits de "L'Epatant" entre 1910 et 1930.

La "Collection d'Aventures" reprit certaines de ses aventures, surtout celles du début, choisies d'ailleurs, semble-t-il, d'une façon plus ou moins empirique. Il s'agit des fascicules 23 à 26, 500 et 518 de la "C.A".

L'éditeur lança ensuite en 1930-1931 une revue à couverture en couleurs, intitulée "Les Grandes Aventures Policières", où furent réédités un certain nombre d'épisodes avec de nouvelles illustrations.

Enfin, en 1937, dans les 22 numéros de l'éphémère "Boum", qui succéda à "Cri-Cri", parurent des planches dessinées par Maurice Toussaint, où l'on retrouve une nouvelle fois les premiers épisodes racontés de façon très succincte. Ces bandes sont, à mon avis, médiocres.

José Moselli ne peut être traduit en B.D. sans perdre tout caractère (inversement les aventures de Tintin, transformées en romans d'aventures, feraient certainement des récits bien quelconques...).

José Moselli imagina un autre personnage, moins pittoresque que John Strobbins mais qui retient cependant l'attention. Il s'agit d'Iko Terouka, "le célèbre détective Japonais". Pourquoi un Japonais, après un Américain ? Toujours est-il que Iko Terouka débuta dans le n° 795 du "Petit Illustré" en 1920 et que ses exploits se poursuivirent de façon ininterrompue jusqu'au numéro 1592 (1936) du même hebdomadaire, soit pendant plus de seize années.

Policier amateur classique, Iko Térouka œuvre toujours pour la bonne cause, ses enquêtes le conduiront dans toutes les parties du Monde et dans les milieux les plus divers, passant indifféremment des milliardaires américains aux sectes secrètes d'Afrique Noire, en passant par les ranches australiens ou les bas-fonds de Chicago.

Dans le n° 1593 du "Petit Illustré", Iko Terouka est remplacé par le "Club des Trois" : Charles Montfort, son chauffeur nègre et son valet de chambre chinois s'emploient à rechercher une cargaison d'or mystérieusement disparue. Après leur succès, les trois hommes décident de fonder une société de détectives privés et leurs nouvelles  aventures se dérouleront à partir du n° 1631 du "Petit Illustré" jusqu'au n° 50 de la nouvelle série. On compte quatre épisodes, la fin du dernier nous annonçant "une des plus étranges affaires de leur carrière", laquelle ne fut jamais publiée.

"Le Cri-Cri", de son côté, publie du n° 212 (1922) au 854 (1935) une longue série, présentée comme celle d'Iko Terouka avec texte sous images mais sur double page, "Browning et Cie" : deux associés, Rabascasse et Browning courent le monde pour élucider les affaires criminelles. Avantage de cette association : lorsqu'il arrive à l'un de tomber entre les mains des gangsters, l'autre réussit à le délivrer. En revanche, le narrateur est obligé de nous raconter alternativement les pérégrinations de l'un puis de l'autre, ce qui embrouille un peu l'action.

"Browning et Cie" fut remplacé dans le n° 855 du "Cri-Cri" par une autre série policière qui cessera avec le journal lui-même au n° 976 : il s'agit de "M. Dupont, détective" au nom bien français. Cette histoire fut agréablement illustrée par René Giffey et eut même un moment les honneurs de la couleur.

Il faut encore mentionner, parmi les romans policiers de Moselli, le nom du "Baron Stromboli", autre émule d'Arsène Lupin et de John Strobbins, dont les aventures parurent dans "L'Inédit" en 1912 et 1913. Ces aventures constituent les n°s 33 et 34 de la "Collection d'Aventures".

Le Baron Stromboli, comme l'auteur nous le présente, "excelle à berner toutes les polices du monde. Il affirme qu'il a trente deux manières et quelques autres de se procurer de l'argent, mais toujours avec élégance".

Moselli a aussi publié dans "Système D" deux romans de caractère policier "La Momie Rouge" (n°s 58 à 91) et "Triplix l'Insaisissable" (n°s 1 à 34).

On trouve d'autre part nombre d'histoires d'aventures de Moselli qui possèdent un certain caractère de mystère. Ainsi, le début des "Tueurs de Chinatown" ("L'Epatant" n°s 1217 à 1303) est digne d'un roman de Fantômas : un train a disparu corps et biens entre deux gares sans laisser la moindre trace !

Dans "L'Héritier du Grand Lama" ("Junior" n°s 1 à 35) deux employés des docks découvrent un tonneau renfermant une mystérieuse créature humaine, sans bras ni jambes.

Dans "La Guerre des Océans" des navires disparaissent les uns après les autres de façon inexplicable dans le Pacifique.

Dans d'autres romans règne en permanence comme une odeur de mystère, du fait que tout semble dominé par une puissance occulte qui ne se découvre, mais qui sait tout et organise tout. Ainsi dans "L'Empereur du Pacifique" ("L'Intrépide" n°s 1150 à 1278) le nom du chef suprême de la bande, entrevu une seule fois au long des 150 chapitres du roman, ne nous sera pas dévoilé. Dans "Radassar" ("L'Epatant" n°s 1020 à 1119) jamais le grand meneur de jeu n'entrera en scène et quand l'histoire se termine nous ignorons tout de son sort.

 

Mystères et aventures s'interpénètrent souvent chez Moselli : mystère dans ses romans d'aventures, aventures dans ses romans policiers.

En ce qui concerne ces derniers, si l'auteur ne reste pas toujours centré sur l'énigme posée au départ et son explication, il réside dans le suspense, l'inattendu, le pittoresque, sortis de l'imagination fertile de l'auteur.  

 


 

 

2.13 - JOSÉ MOSELLI ET LES TERRES POLAIRES

par Jacques Van Herp

(Article paru dans Les Carnets de l'Exotisme, 1996, n° 17-18)*

 

José Moselli (1882-1941), officier de marine marchande, commandant durant la Guerre de 14-18 un transport faisant la navette entre Marseille et le front de Salonique, après avoir connu le Pacifique, les Mers de Chine et du Japon, les Nouvelles-Hébrides, la côte du Chili, les ports anglais et américains, familier de Londres, de Marseille, et de San Francisco, grand romancier d'aventures, n'a rien d'un romancier exotique. Dans son œuvre il est familier de la frange côtière des pays, mais à peine de l'hinterland ; il connaît le Brésil de Rio, l'Egypte d'Alexandrie, du Caire, de Khartoum, car il y travailla dans les banques locales, mais l'intérieur de l'Afrique n'est abordé qu'à travers le prisme des récits, des rapports, des articles de journaux.

Sa vision est une vision de caméra ou de camescope, il évoque le cadre à travers l'action. Il saisit des silhouettes, les propos, les attitudes, aussitôt cadre et personnages se dessinent, à peine croqués, mais reconnaissables et s'imposant au lecteur. Il ne va pas chercher un décor pittoresque, ou exotique, mais un cadre de comportement. Il en va des solitudes arctiques, comme des bas quartiers de Londres ou de Frisco, ou du Pacifique des îles, ou encore de la forêt vierge. Ce sont des univers où la loi s'arrête, où les protagonistes n'ont  de limites que celles qu'ils acceptent, et non celles de l'autorité. Le cadre lui est indifférent. Il ne vibre pas devant la nature vierge et sauvage. Ce n'est pas réaction de citadin, ennemi de la campagne, et se refusant à quitter un cocon bien douillet, mais d'aventurier. Les personnages de Moselli ne se heurtent à la nature que pour essayer d'en triompher. Les étendues polaires, les neiges étalées jusqu'à l'horizon, sont toutes pareilles aux flots du Pacifique immense, où, pour peu que les calmes immobilisent le voilier, on peut succomber également à la soif, à la faim, où les atolls et les îles sont synonymes de danger.

Ainsi, dans une des nombreuses nouvelles dont il jalonna les illustrés Offenstadt, il rapporte l'aventure d'un baleinier pris dans les glaces du pôle dans les années 1880. Aucune description du paysage, des conditions de vie, sinon qu'il y a de la neige et qu'il fait froid. Ce dont il se soucie, ce qui l'intéresse, ce sont les hommes, leur lutte pour survivre : le voyage en chaloupe parmi les glaces dérivantes, puis, terre venue, le traîneau improvisé avec les débris de la barque, la chasse difficile, l'ours tué qui se révèle aussi maigre que les naufragés, la faim qui grandit, l'espoir qu'il faut sans cesse relever. Et finalement l'abandon de tout espoir, la conscience qu'ils sont perdus à jamais dans le froid et la neige. Mais les matelots n'abandonnent pas, avancent encore, machinalement, ils ne se couchent pas. Peut-être parce que les hommes doivent se comporter ainsi. Il n'est permis qu'aux animaux de renoncer, de s'allonger pour mourir. L'homme, aux yeux de Moselli, doit aller jusqu'au bout du combat. Cette lutte n'a pas de sens, pas d'issue, mais il faut livrer le combat jusqu'au bout.

La détresse, le danger agissent comme des révélateurs : les caractères se dévoilent, les manques, les lâchetés, mais aussi le courage. Le fond de l'homme apparaît alors. Et, souvent, ce n'est pas très beau. Moselli ne croit pas à la bonté de l'homme, celui-ci, naturellement cruel, se plaît à tourmenter et torturer son semblable. Cela quelle que soit sa couleur ou sa race : civilisé ou primitif, Blanc, Chinois, Papou, Dayak, Indien, Maori ou cannibale de Mélanésie, gens du passé ou gens du futur, comme les citoyens d'Illa ("La fin d'Illa", 1924. Voir bibliographie), tous sont également cruels. Les conquêtes scientifiques ne corrigent pas cette tendance, elles se bornent à les masquer.

Moselli a beaucoup écrit, romans, nouvelles, contes, sur les terres du froid. Ne relevons que quelques œuvres, assez significatives. "Le Maître de la Banquise" (Collection d'Aventures Offenstadt, 1916) est un récit de S.F. se passant au Pôle et dans les mers polaires. Schéma classique de ce type de roman : un ingénieur aigri, ennemi des baleiniers, auteur d'une invention intéressante, se voit manipulé par un financier désireux de s'enrichir malhonnêtement. Le cadre n'a aucune importance, sinon en ceci : des capteurs solaires ont permis la construction d'une ville sur la banquise de l'océan Arctique. Et quand les prisonniers, des pirates s'évadent et fuient sur l'inlandsis, ils édifient des igloos afin de trouver refuge et repos. Moselli n'insiste pas plus. Ce qui l'intéresse, c'est l'action, la lutte de la société et des individus contre le sous-marin pirate ; les terres polaires ne sont qu'un cadre propice au développement de son roman.

L'environnement polaire joue en revanche un rôle capital dans "Le Messager de la Planète", paru dans l'Almanach Scientifique de 1925, avec une fort belle couverture. Nous sommes en Antarctique. Deux savants, un astronome, Densmold, un géologue, Wallens, sont partis en exploration, accompagné d'un Indien d'Alaska menant leur traîneau. Le paysage est brossé en une ligne : "c'était le néant, neige gelée, blocs de glace, ciel gris, sans reflets". Il ne sera plus décrit, mais il restera toujours présent. La tempête de neige, le blizzard balayant la plaine, la tourmente magnétique, la neige et le froid isolent les savants, musellent la radio, affolent les chiens, les amènent à tuer et dévorer en partie le chef de traîneau, et emprisonnent les explorateurs avec leur découverte : un étrange être vivant, polyèdre enfoui dans les glaces, dans la clarté duquel des formes géométriques sont projetées sur un écran, afin d'attirer l'attention d'autres intelligences. Ce Mercurien qui leur tend les mains est isolé sur la terre, sans espoir de retourner chez lui.

Ils vont partager ses connaissances, permettre à la science humaine de progresser de mille siècles. A cet instant, trois esprits fraternels se rencontrent. Mais l'environnement, le pôle, la glace, la faim, vont tout bouleverser, déterminer l'action et les comportements. Le Mercurien est mis en pièce par les chiens de traîneau à demi fous de faim. Les explorateurs, dépourvus de radio, détruite par la tempête magnétique, ayant perdu la plupart de leurs chiens, doivent retourner à la côte pour porter la nouvelle et le fruit de leurs observations. La progression n'est pas trop pénible, mais les provisions s'épuisent. Wallens voit son compagnon voler les derniers vivres, les glisser dans son sac à dos. Wallens le tue. L'expédition de secours retrouve son corps, mais pas celui de son compagnon. Et le secret des Mercuriens dort toujours sous la glace.

Cette fois le décor polaire joue le rôle d'acteur, justifiant la protection et l'isolement du messager Mercurien, expliquant le comportement des chiens et des savants... et révélant que, même chez un scientifique, le primitif est toujours présent.

Cet égoïsme scientifique est à l'opposé de ce qu'on lit chez Jules Verne, dans "Le Capitaine Hatteras", dans les récits des explorateurs, comme Scott, où la règle est de ne pas abandonner ses blessés, quel que soit le prix à payer. Mais Moselli est fidèle à sa vision pessimiste : le danger a libéré l'esprit de ses tabous, et la gloire scientifique l'emporte.

Dans les romans du Grand Nord de Louis-Frédéric Rouquette, les terres polaires sont le sujet du livre  ; chez Moselli elles ne sont que le cadre. Le roman de Moselli se rapproche du roman élisabéthain : pas de décor, des panneaux  ; le texte est primordial. Le cadre polaire est parfait à cet usage, travaillant à éroder ou briser les contraintes morales. Les vices d'Europe, que la contrainte sociale, la crainte du gendarme, répriment en partie, explosent dès que l'autorité est absente ou défaillante. Les seules limites existantes sont, pratiquement, celles que l'homme s'impose. Les personnages d'un roman d'aventures se partagent : les "bons" et les "mauvais". Il en va ainsi chez Moselli, mais les "bons" également, se laissent aller, et la cruauté se réveille chez eux comme chez leurs adversaires.

Le froid polaire donne leur prix à des vertus comme le respect de la parole donnée, la fidélité en amitié, et le courage. Là est la vraie pierre de touche des individus. Moselli les sépare non point tant selon la ligne de partage courant entre les défenseurs de l'ordre et les malfaiteurs, mais selon l'attitude devant la mort. D'un côté les peureux, les trembleurs, de l'autre ceux, qui le moment venu, regardent la mort et la souffrance en face. A ceux-là l'auteur ne marchande ni le respect, ni la sympathie, fussent-ils de simples meurtriers.

Que ses personnages arpentent les solitudes glacées du Grand Nord canadien ("Tavar la Hache", 1929), du Klondyke ("Le Claim", 1920), de l'Alaska ("Le Totem de l'Homme Mort", 1933) le décor physique n'est quasi pas esquissé. Nous sommes dans un lieu où les héros souffrent de la faim, du froid, de la solitude et des hommes. Chez les uns le courage, l'endurance, la ténacité montent à la surface. Chez d'autre c'est la bassesse, la poltronnerie, la cruauté. Surtout Moselli aime camper des personnages pittoresques, avec plus d'énergie que ne le fit Rouquette dans son œuvre. Que ce soit un ex-général haïtien perdu dans le Grand Nord, ou, dans "Le Totem de l'Homme Mort", le shaman des indiens Tarviaks, près du 70° parallèle, dont la mère était jongleuse au cirque Barnum & Bailey, et dont Moselli se complaît davantage à conter par le détail comment il se retrouvera shaman au cercle polaire qu'à décrire son accoutrement ou son village.

Dans "Le Messager de la Planète" l'extraterrestre est pitoyable, sympathique, réconfortant par son contact les hommes qui le rencontrent. C'est qu'il n'est pas humain. Voici le fond de la pensée de Moselli, dont la philosophie ne doit rien à l'école. Il ignore le mystère, l'angoisse métaphysique, le malaise existentiel. La mort existe, elle est inévitable et certaine, c'est la seule réalité. Et tout est dit.

Il s'en est ouvert un peu dans une note griffonnée sur une feuille de papier, et attendant visiblement des développements : "Le néant c'est l'impossible et le certain : cela ne se conçoit pas, mais cela est. Le vice est la seule originalité, la seule puissance créatrice de l'homme. Il est l'essai d'une organisation de la nature contre la nature, de l'intronisation de l'être humain au-dessus du règne animal, d'une création humaine contre la création anonyme d'un monde inscrit dans l'inconscience universelle. Vice : disposition habituelle à ce que le nombre considère comme anormal et mauvais : Morale, force, vertus individuelles".

Encore que ce "vice" n'ait pas son ordinaire consonance sexuelle, et désigne tout autant l'avidité de l'or, de la puissance, le jeu, la cruauté, voici la clé livrant le secret de bien des personnages, ne rendant compte qu'à eux-mêmes, et de l'attitude de l'auteur à leur égard.  

 

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* : Les Carnets de l'Exotisme - Le TORII Editions : B.P. 93, 86003 Poitiers cedex.

 


 

 

2.14 - LES DIFFÉRENTS TEXTES DE JOSÉ MOSELLI

ET LEUR DUREE DE LECTURE

 par J. L. Touchant

 

La bibliographie de José Moselli, dit "l'Ecrivain sans livre", telle qu'elle figure dans le n° 23, d'avril 1980, de la revue 813, ne s'est pas enrichie depuis cette date. Pour avoir une juste idée de cet écrivain il faut être patient, dénicher auprès des libraires spécialisés, voire des brocanteurs, des reliures de l'Intrépide, de l'Epatant, de Cri-Cri, du Petit Illustré, du Pêle-Mêle, et des fascicules de la Collection d'Aventures.

Il convient de donner aujourd'hui une idée de ces textes, de leurs formes différentes et donc de leurs différentes lectures. Ce que nous avons découvert, en lisant, paraîtra peut-être naïf à certains, mais reste, en tout cas à nos yeux, très curieux.

José Moselli a écrit dans presque toutes les publications pour la jeunesse de la maison Offenstadt (qui, par précaution, ajouta à sa raison sociale, entre parenthèses, "maison française", pendant la guerre de 1914-1918).

Cela dura trente ans, de 1910 à 1940 environ.

De tous les écrivains qui gravitèrent autour de lui : Guy d'Armen, Jo Valle, Alin Monjardin, Pierre Adam, etc., il fut le plus important. Il écrivit sous différents pseudonymes des contes, des récits de voyages, des notes sur les curiosités du monde entier. Nous ne parlerons dans cet article que de ses feuilletons plus ou moins longs qui prirent très vite trois formes :

                                                 1 - Les feuilletons proprement dits.

                                                 2 - Les feuilletons sous images.

                                                 3 - Les feuilletons recueillis en fascicules.  

LES FEUILLETONS PROPREMENT DITS  

Ils se présentent sous une double page avec parfois un petit complément sur une troisième page. Le texte est réparti sur deux, trois ou quatre colonnes, selon les périodiques ou les années. La première page comporte une image qui contient le titre. Sauf exception cette image restera identique pendant toute la durée du récit. Résumé des chapitres précédents sous l'encadré. En général une illustration sur deux colonnes au milieu de la page. Il y en aura souvent une autre sur la deuxième page. Enfin, en bas de celle-ci, les mots magiques : à suivre...

Souvent, à chaque numéro de l'hebdomadaire correspond un chapitre de l'histoire, mais parfois aussi le découpage est moins net, notamment pour "Les Champs d'Or de l'Urubu" (Le Cri-Cri, 1919-1931).

Deux feuilletons se présentent différemment. Il s'agit de deux séries sur lesquelles nous ne reviendrons pas ici :  

- "John Strobbins, détective cambrioleur", qui paraîtra, de façon intermittente dans L'Epatant entre 1911 et 1933.

- Le célèbre "Roi des Boxeurs" sous-titré "Les aventures autour du monde de Marcel Dunot".

 

 Il fera les beaux jours de L'Epatant entre 1912 et 1919, avec une petite interruption en 1914 pour cause de guerre.

   

LES FEUILLETONS  OU TEXTES  SOUS IMAGES

 

Il ne s'agit pas d'une bande dessinée comme se présente "Les Pieds-Nickelés" de l'époque (avec de timides essais de bulles) car on concevait mal de lire le texte de Louis Forton sans l'apport de l'image (texte en outre souvent fastidieux), mais d'un véritable récit surmonté d'images que l'on regarde parfois à peine sauf exception, notamment lorsqu'elles sont en couleurs (Les Requins du Pacifique, l'Intrépide 1914-1915).

Ces histoires se présentent le plus fréquemment sur une double page centrale, mais il arrive qu'elles ne tiennent que sur une seule page intérieure.

Deux textes sous images sont à écarter de notre propos puisqu'il s'agit encore de séries :

- "Browning et Cie, détectives", grand récit d'aventures policières (Le Cri-Cri, 192-1935).

- "Iko Térouka, détective japonais" (Le Petit Illustré, 1919-1935).

 

LES FEUILLETONS DES DEUX SORTES RECUEILLIS EN FASCICULES

 

Des feuilletons de la première sorte vont paraître sous images et inversement, mais plusieurs d'entre-eux vont paraître aussi en fascicules entre 1916 et 1927, sans leurs illustrations pour les uns, ni leurs images pour les autres. C'est "La Collection d'Aventures" qui, elle aussi, sera dominée par Moselli. C'est une collection petit-format, 64 pages environ, sur deux colonnes. Une illustration sur la couverture, souvent médiocre.

Dans l'état actuel de nos connaissances un seul récit sera traité en feuilleton puis repris en fascicules et enfin publié sous images (Le Maître de la Banquise). Pour le reste (136 fascicules) : 23 récits paraîtront issus de textes sous images et une dizaine tirée de feuilletons. Chaque histoire sera contenue dans au moins deux fascicules, mais plusieurs en comporteront trois ou plus, jusqu'à neuf ("Les Mystères de la Mer de Corail") et même treize (Le Claim n° 29").

 

LE LECTEUR A L'ÉPOQUE DES PARUTIONS

 

Essayons de l'imaginer. En 1911 il découvre "W...Vert.." dans L'Intrépide (feuilleton) et "Le Pari du Milliardaire" dans L'Epatant (texte sous images). En 1916 il pourra lire en fascicule le n°7 de la Collection d'Aventures "Le Chevalier de Marana", signé Pierre Agay, et qui parut, sous images, dans Le Cri-Cri en 1911. Il sait maintenant que Pierre Agay est un pseudonyme de José Moselli dont c'est la première contribution à la collection. Il n'a pas acheté Le Cri-Cri à l'époque et il va lire ce n° 7, et plus de trois mois plus tard, le n° 20, "L'Anneau de Fer" qui en est la suite.

Ce lecteur idéal, puisqu'il va lire les feuilletons de Moselli semaine après semaine, tel qu'il est conçu pour la bonne lecture, chaque chapitre va le laisser sur sa faim, mais il n'est pas encore inquiet puisqu'il voit les mots "à suivre" et qu'aucun conflit guerrier n'est encore envisagé (on ne dira jamais assez le mal causé par les conflits aux périodiques pour la jeunesse).

La semaine suivante il va se précipiter chez son marchand de journaux pour acheter ses hebdomadaires préférés. Bien installé il va feuilleter les 16 pages de L'Intrépide, jettera un coup d'œil sur l'histoire en images ("Le Bison du Far-West" de Jo Valle), s'attardera sur l'autre feuilleton, pour enfin, en garçon qui sait distiller son plaisir, aborder son auteur préféré. Il retrouvera avec joie l'image, le titre et lira, bien qu'il n'ait rien oublié, le résumé des chapitres précédents. Regarde-t-il les deux illustrations ? Ce n'est pas certain car elles anticipent sur le déroulement du récit et souvent de façon dramatique, et, comme il sait quelles tragiques menaces pèsent constamment sur les héros de ces récits, il choisira le suspense en abordant d'abord le texte.

Nous voyons que le temps de lecture peut prendre toute la matinée du jeudi.

Ce lecteur que nous fûmes au début des années trente, passionné par les feuilletons (notamment le splendide "Capataz de l'île perdue", L'Epatant 1936-1937), laissa, au début, de côté les textes sous images, surtout quand celles-ci étaient en noir et blanc. Curieusement  le texte ne lui apparaît pas comme un vrai récit qu'on pourrait lire comme un vrai feuilleton, mais seulement un complément à l'image, comme dans les Pieds-Nickelés déjà cités. Un jour pourtant, en manque de feuilletons, il va se décider à "lire" (et non plus à regarder) l'histoire, et finira par comprendre qu'il s'agit bien d'un véritable feuilleton et que l'on pourrait se passer, dans certains cas, des images. Nous nous trouvons donc devant un temps de lecture à la fois différé et plus long, car cette dernière étant moins facile, nous ne lirons pas en continu comme la même histoire rencontrée dans les fascicules de la Collection d'Aventures. 

Le lecteur contemporain aux parutions devait attendre lui aussi sept ou quinze jours pour lire la suite du récit en fascicules, mais il avait chaque fois plus de matière (La périodicité des fascicules fut de sept jours au tout début puis varia par la suite pour atteindre parfois quinze jours). Pour prendre un exemple qui ne cesse de nous étonner et revenir à "W...Vert..", texte fondateur s'il en fut, le feuilleton va couvrir 21 numéros de L'Intrépide, commençant le 6/11/1910 pour se terminer le 2/4/1911. En revanche, celui qui va acheter en 1917 le même texte dans  la Collection d'Aventures, n° 53, pourra lire la fin du feuilleton quinze jours plus tard.

Quelle place occupe ce feuilleton dans la Collection ? :

- 64 pages dans le n° 53.

- 34 dans le n° 54, intitulé "Le Bras qui frappe dans l'ombre" (le titre s'applique à la deuxième partie du roman, plus longue, qui débute à la suite).  

Donc 98 petites pages qui remettent en question notre appréciation de la longueur des feuilletons de Moselli, et nous laissent même incrédule relativement au temps qu'il nous a fallu pour sa lecture.

Donc en ce qui concerne ce lecteur d'autrefois, nous pouvons concevoir qu'en temps réel, les durées de lecture d'un texte de même longueur étaient courtes (Collection d'Aventures), moyennes (Histoires sous images) et plus longues (Feuilletons).

   

LE LECTEUR D'AUJOURD'HUI

 

Ce lecteur qui est obligatoirement un collectionneur puisqu'il lui faudra des années pour acquérir quelques volumes, réputés introuvables, de L'Intrépide et autres publications Offenstadt, va lire une partie de l'œuvre de son cher écrivain de façon assez bizarre car, par perversité permanente, les avisés frères Offenstadt faisaient débuter les feuilletons dans les derniers mois d'une année et les laissaient se terminer au début d'une autre (parfois un 15 janvier), si bien que souvent il faut dénicher 3 années d'une publication (puisqu'on ne trouve ces journaux qu'en reliure annuelle) pour lire un feuilleton complet. Pour lire en entier "L'Empereur du Pacifique" c'est même quatre ans de L'Intrépide qu'il faut se procurer.

De la même façon il est rare de trouver une histoire complète dans La Collection d'Aventures ou dans la revue Sciences et Voyages. Nos lectures vont donc être très morcelées.

Néanmoins faisons abstraction de ces contraintes et essayons d'analyser le plaisir que nous trouvons à la lecture de ces récits et du temps que nous prenons à les lire.

Revoyons d'abord leur place dans les trois supports :  

"Le lagon aux requins" par exemple va se poursuivre dans L'Intrépide sur trente numéros. Le même récit sous images intitulé "Le mystère des eaux mortes", va, lui, durer 42 numéros.

S'il avait été publié dans La Collection d'Aventures il aurait, d'après nos calculs, environ 110 pages.

Pour nous, lecteur a posteriori, le plaisir de lecture, le temps que nous passons, le temps réel et le temps virtuel modifient l'idée que nous avons de la longueur du texte. Evidemment le texte d'un fascicule va nous paraître très court, celui du feuilleton proprement dit,  beaucoup plus long, mais c'est le texte sous images, eu égard à sa difficulté de lecture et son espace dans les publications, qui va nous sembler le plus long.

Et le plaisir ?

Sans aucun doute rien ne vaut la lecture du simple feuilleton. Un livre, même bien édité, comme l'a été "La guerre des océans" chez Marabout, en 1975, ne procure pas le même plaisir que lire par exemple "Le Totem de l'homme mort" ou "Tavar la hache" dans les reliures Offenstadt. Nous le lisons certainement plus rapidement mais avec un moindre plaisir.

Et le lecteur de demain ?

Des feuilletons vont-ils refaire les beaux jours de certains journaux, des écrivains de vraie littérature populaire, imaginatifs (il n'y en a plus qui le soient) vont-ils apparaître ? En attendant ce miracle il faudrait rééditer Moselli en livres, certes, mais pourquoi pas sous forme de feuilletons, puisque nous avons vu que c'est ainsi qu'il convient de les lire ?

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