La Bibliothèque d’Abdul Alhazred

 

 

Et pour ouvrir notre rubrique dédiée aux Maîtres de l'Imaginaire, une petite étude sur notre ami Claude Seignolle que nous devons à l'amabilité de Michel Moutet. Cet article a été publié dans le numéro 5 des " Cahiers du Chêne d'Or " en 1963. 

 


CLAUDE SEIGNOLLE 

&

 LE FANTASTIQUE HÉRÉDITAIRE


Lucien Carny ©



A la base de toute sorcellerie est ce " fantastique héréditaire " qui baigne toute l'œuvre de Seignolle, rémanence de magies ancestrales et dont Lucien Carny tente ici l'explication.

Claude Seignolle nous intéresse parce que son œuvre fantastique plonge par le truchement de ses recherches, dans le mystère humain. 
Toute science touche à l'art ; tout art a son côté scientifique.
Claude Seignolle est, au siècle scientifique de l'atome et des robots, chantre du Diabolisme et de la Sorcellerie. N'est-il pas lui-même sorcier, de par son origine et son atavisme ancestral de Périgourdin, de ce pays magnifique et mystérieux, le pays de la préhistoire ! Il raconte ses débuts de préhistorien dans un livre, Lithos et Moi, qui traite sous un aspect humoristique de multiples faits étranges, entre autres le portrait d'un de ses oncles, sorte d'extraordinaire Gargantua préhistorique qui terrifiait les gens par son apparence.
Claude Seignolle est pour nous le sorcier dansant de la grotte des Trois Frères, qui " sait " et " connaît " les pouvoirs sur la nature, les animaux et les hommes. Ce pouvoir est symbolique ; les cornes du cervidé, les cornes sont l'emblème du pouvoir magique. Seignolle danse derrière son masque, sous sa peau de bête, la danse magique de l'homme qui a refoulé au fond de lui-même la recherche anxieuse du " moi " à travers la lutte contre la nature.
Et nous comprenons que la peur qu'il brandit est une angoisse tenace, vitale, congénitale, qui donne à l'être son pli définitif ou plutôt, qui est la racine, qui se confond avec la naissance même.
Claude Seignolle nous montre comment les âmes se mentent à elles-mêmes ; elles parlent un langage différent le jour de la nuit ; en public ou dans la solitude. Tout ceci, décrit, analysé, avec une finesse toute nouvelle du toucher immatériellement délicat, un toucher qui appelle à la surface des corps leurs intimités les plus ignorées, les plus silencieusement enfouies, toute l'histoire de l'âme des simples, des forestiers, des paysans et des hommes de la ville que certains d'entre eux sont devenus.
On est stupéfait de constater que ces êtres n'ont jamais été religieux, ni surtout chrétiens, que les invasions, les occupations, les guerres, les révolutions, les remous politiques, les changements de régime, n'ont jamais touché ni atteint profondément " Jacques Bonhomme " : il reste identique à lui-même dans le sens le plus profond du terme : " un paysan ".
Et que ses réactions méfiantes envers l'autre, " l'étranger ", ne l'empêchent nullement, et même de par cette méfiance butée, de se faire " rouler " et d'être l'éternel dupe ! Et l'on comprendra ce qu'il y a de magie inexprimable dans les images de Claude Seignolle, il n'y a pas de cloisons étanches " entre " la logique, l'irréel, la psychologie et la psychanalyse. Au-delà de l'apparente succession des images, Seignolle doit à ses hérédités paysannes cette force d'invocation, ce bouillonnement de vie. C'est par lui, que s'expriment toutes les terreurs ancestrales, les dieux de la terre, l'ogre des bois, les loups-garous et les " choses indescriptibles ". 

 


Claude Seignolle Les thèmes de ses nouvelles, contes et romans, sont inspirés par sa connaissance du peuple campagnard (enquêtes de folklore et d'ethnographie). Il tente de nous apporter une compréhension de ce monde qui se traduit sans cesse dans telle ou telle croyance, tradition ou superstition.
Claude Seignolle nous donne dans son œuvre de savant, une introduction au folklore du Languedoc et surtout, un des plus extraordinaires livres : Le Folklore du Hurepoix (Seine, Seine-&-Oise), où l'on constate que le merveilleux et les légendes commencent ... à Vanves, Montrouge, Malakoff : aux portes de Paris ! 

Claude Seignolle brise l'enchaînement logique des images et des pensées pour nous introduire dans la pensée dite " prélogique ", la pensée sauvage.
Ses histoires se mêlent, se démêlent, tout concourt à essayer de nous faire mieux pénétrer dans l'âme de ces personnages ; c'est un kaléidoscope mouvant et d'une étrange et intense poésie, car ses images entrent en des combinaisons étranges qui les apparentent dans des rencontres inopinées. Claude Seignolle " le chantre des gens méfiants " " qui ne parlent point ", de la mentalité du serf, " taillable et corvéable à merci ", battu, roulé, volé, pillé, l'éternel exploité, écrasé entre la nature hostile et l'exploitation des seigneurs et maintenant des oligarchies de tous ordres, ce qui explique le repliement de ces êtres dans ce monde de la magie et de la sorcellerie, monde aberrant et déchets des civilisations remontant à la préhistoire, venu de la nuit des temps. Le monde affreux des haines de famille, de la convoitise des biens et des champs du voisin, des drames de la terre où tous les moyens sont bons pour agrandir le cheptel et les propriétés, et parmi ces moyens, tout l'arsenal du sorcier : les mauvais sorts, le mauvais œil, les envoûtements, la pharmacopée diabolique et tout le grand jeu de la crasse de l'âme humaine.
Il nous fait mieux connaître, c'est-à-dire mieux comprendre, donc aimer, les gens et les choses de la campagne, pénétrer dans leur âme et dans leur cœur. Que de captivants aperçus il nous offre sur un des plus étranges animaux : l'homme !
Le paysan déraciné reporte en plus de son hérédité méfiante son agonie de déraciné sur les personnes qu'il rencontre, les relations de travail, de voisinage, les choses, les objets, les meubles (tel " Le Bahut noir " de Claude Seignolle). Elles l'envahissent, prennent possession de lui, font qu'il devient instantanément un autre. Et d'ailleurs, dans cette cohue qui l'annihile, où sont les limites certaines, précises, de son moi ? 
Dans le texte du Bahut noir , il y a une illustration parfaite du thème des émanations des forces magiques que peut déceler un objet - ici un bahut. Ce conte est écrit dans un perpétuel tissage de surnaturel et de réel. On va de la poésie la plus claire à l'épouvante la plus noire.

 

 


Monde étrange ou les objets les plus tangibles, décor de notre vie habituelle, prennent une vie étrange car ils sont la résultante de l'imprégnation de tous les êtres qui, pendant des générations, les ont non seulement possédés avec leurs peines, leurs joies et leurs espoirs jamais réalisés mais également avec leurs haines et leurs rancœurs. Le côté noir des êtres a chargé ces objets, tel ce bahut maudit. Malheur à qui achète ou hérite de ces maléfiques germes du passé.
Seignolle est le sorcier " héréditaire " de thèmes fabuleux transmis oralement de siècle en siècle, et selon son bon vouloir, il nous désocculte les croyances populaires traditionnelles. Ce qui le différencie des autres auteurs qui ont la prétention d'écrire sur le diable et le diabolisme, c'est qu'il n'est pas un de ces prétentieux hommes de lettres, imbus de leur insuffisance et de leur médiocrité qui prennent chaque matin l'autobus de l'aventure ; ou un théologien châtré, ou un savant distingué, de bureau, fils de famille qui fait carrière dans l'ethnographie ... c'est-à-dire un de ces savants qui en connaissent de plus en plus sur de moins en moins, mais bien un personnage vivant, à la fois truculent et d'une délicatesse inouïe. Preuve : un de ces merveilleux contes où le contraste est saisissant entre la force tellurique du forgeron " Roc " et la beauté irréelle et diaphane de la Benete. De tels récits nous imprègnent plus de métaphysique que maints exposés scientifiques.
Dans ce même livre, le conte du " Chupador " a pour héros-vampire un artiste-peintre vivant à Montparnasse, inquiétante créature venue d'Amérique du Sud, qui incarne dans ses dessins illustrant les œuvres de Seignolle sa néfaste hérédité d'Indien des forêts de l'Amazonie. Le " Chupador " nous démontre le mécanisme du vampirisme ; c'est une hallucinante histoire vécue par un de nos plus célèbres marchands de tableaux. L'étrange est que l'homme existe et que Seignolle a eu contact avec lui tel qu'il l'écrit. S'il a poussé l'expérience fort loin, c'est, avoue-t-il, qu'il se sentait immunisé.
De son don de sorcier, Claude Seignolle a acquis ce sens d'observation et d'amour de la nature qui l'apparente au caractère russe par le thème de la Terre-Mère et de son fils : l'homme, qui erre dessus et combat contre les tentatives de " l'autre " qui veut lui ravir sa Paix. 
Car, en hébreu, on ne dit pas le nom du diable, de peur d'attirer sur soi et sur les choses que l'on possède la présence d'AHER : L'Autre, c'est-à-dire Satan. 
Et nous touchons là un des points les plus importants de la sorcellerie, la juste prononciation du NOM. Dans l'Egypte antique, les sorciers étaient appelés " MAKRAOU " : les justes de voix, ceux qui prononcent bien les malédictions. La sorcellerie est donc basée sur la prononciation juste du nom du diable et des démons, les anges de l'autre côté, les intermédiaires entre les hommes et le diable.
On lit dans Claude Seignolle des histoires vraies, qui se sont passées soit dans le lointain des âges, soit dans le présent, c'est le reflet de la lutte entre Dieu et le Diable, pour la possession de ce monde.
Paris possède ses centres sataniques : l'un des plus importants se trouve à côté de l'église St-Séverin ; il est curieux de constater qu'une " réforme liturgique " et des essais de réforme ecclésiastique ont pour centre la paroisse St-Séverin. Et si le diable était à l'origine de ces réformes ? ... Ne serait-ce pas là la revanche des pirates, flibustiers et frères de la côte ? (voir à l'intérieur de la nef, bas-côté gauche, en entrant, la curieuse plaque sur l'évangélisation des flibustiers).
Un autre de ces centres est l'église St-Merri dont le portail est surmonté du baphomet bicornu, l'antique dieu gaulois Cernnunos, signature à la fois des compagnons étrangers du Devoir et des Templiers. A l'intérieur de l'église la grande rose du transept nord est ornée de l'étoile renversée, symbole de la tête du bouc, insigne du diable.
Les adorateurs de Satan se réunissent dans une très vieille maison à proximité de l'église. Ce thème, associé à celui de Gérard de Nerval, est la trame du livre La Brume ne se lèvera pas de Claude Seignolle dont l'histoire se déroule dans le quartier et dans l'église St-Merri. C'est un essai d'explication de la vie et de le mort de Gérard de Nerval, œuvre d'une beauté étrange digne de la belle et mystérieuse église St-Merri.
Tout le diabolisme en France renferme dans son fonds deux apports différents : c'est d'abord le vieux fond préhistorique, survivance des rites de fécondité de la Terre-Mère et des luttes ancestrales pour la vie. Le deuxième apport est le fond druidique de la religion des Gaulois avec ses dieux devenus, par le christianisme qui les combattait, des démons. Et toute cette Science druidique pourchassée, traquée, persécutée par les moines, s'est réfugiée dans les profondeurs des forêts et les âmes de nos ancêtres ; les lambeaux de cette science à demi perdue, incomprise sont devenus la pharmacopée populaire, les pouvoirs des sorciers, des guérisseurs, en vertu de cette loi terrible que le dieu et les dieux vaincus deviennent le diable et les démons des religions nouvelles.
Toute cette sorcellerie est basée sur le culte et les lunaisons, soit fastes, soit néfastes. Dans son livre Le diable dans la Tradition populaire, document scientifique d'ethnographie et de folklore, Claude Seignolle nous apporte des traditions : en particulier le chapitre 'Pactes et Sabbats' : " vendre son âme, grimoires du diable, Sabbats et merveilles " sont des documents passionnants. C'est un volume indispensable pour tous travaux sur la sorcellerie et sur la démonologie.
Nous avons laissé volontairement de côté le thème des loups-garous dans l'œuvre de Claude Seignolle, notre ami J.L. Bernard en parlant dans ce même numéro. 
Le Folklore du Hurepoix est fondamental. Nous y apprenons que le merveilleux est à nos portes ; à Bagneux, à Gif-sur-Yvette. Il est curieux de constater que l'implantation des moines dans la région parisienne n'a eu pour but que de lutter contre la survivance du Culte Druidique ; de là, la destruction des forêts de l'Ile-de-france dès le haut Moyen Age, par ces mêmes moines qui, au nom de l'amour, envoyaient au bûcher tous les druides. Ceci est clairement démontré par l'aventure légendaire du troisième abbé de l'Abbaye des Vaux-de-Cernay, peu de temps après la fondation de cette Abbaye : " Se promenant un jour avec son métayer, il rencontre le diable qui se présente à lui sous différents aspects ", mais ce qui nous intéresse c'est que l'aventure se déroule à Cernay dont le nom et l'abréviation est Cernnunos, le dieu gaulois à cornes de cerf, ce qui prouve qu'au haut Moyen Age il y avait encore des druides, que le peuple participait au culte druidique, aux " esbats ", c'est-à-dire aux danses et rondes sacrées, ces " esbats " qui, par déformation, ont donné " Sabbat " dans le sens diabolique du terme. 


Claude Seignolle avec Jean Ray