EN TRACe compte-rendu de voyage est en quelque sorte un pèlerinage aux sources......
Car le dragon est aussi une créature tout ce qu'il y a de plus européenne !


Philippe Marlin (c)


Ce texte est dédié à Agnès Rivendal, l'organisatrice odésienne de ce voyage hors du temps


21 juillet 2000 :
Cracovie n'est qu'à deux heures de Paris, par vol direct de la compagnie polonaise LOT ; la banlieue quoi ! La réceptionniste du bureau Europcar est charmante et m'explique avec une grande patience la route à suivre pour rejoindre mon hôtel au centre ville. Tellement dévouée que je lui précise que si je ne trouve pas mon chemin, je reviens à l'aéroport et la prends en voiture comme guide. Sa réponse me désarme : d'accord, mais il faudra que vous attendiez la fin de mon service......
Je n'en aurai hélas pas l'occasion ; en 15 minutes, le trajet est bouclé sans errances jusqu'à l'hôtel Ibis, le premier de la famille en Pologne ; trajet rapide qui coupe la vieille ville en deux. Je craignais le pire ; mon brave guide du Routard, dévoré dans l'avion, précise en effet : une seule chose à se graver dans la tête : l'essentiel du centre-ville est zone piétonnière et interdit aux voitures.

Et en avant........
la marche à pieds est ce qu'il y a de mieux pour découvrir une ville........
Il est 14h30.....Le charme opère instantanément. La cité a une forme vaguement ovale, entourée de jardins et de remparts. Ici, on respire l'histoire et flirte avec les vieilles pierres. Chaque maison ancienne est construite sur les ruines d'une autre, encore plus vieille. Car Cracovie est une authentique cité d'un autre âge, miraculeusement épargnée par la guerre. Elle doit sa sauvegarde à sa beauté sauvage, à son charme délicatement romantique. Ses envahisseurs, et ils furent légions, ont toujours préféré l'habiter plutôt que de la détruire. A une exception près, il est vrai. La ville fut une fois saccagée, par les hordes Tatares en 1241. Et en souvenir de cette défaite cruelle, les habitants de la cité revivent cette lointaine tragédie toutes les heures. La trompette retentit en effet du haut de la tour de l'église Notre-Dame, et après quelques notes, s'arrête brutalement. C'est la flèche tatare, lancée il y a sept cent ans, qui vient de se ficher dans la gorge du guetteur.
[1] . Une mélodie dramatique qui est du reste reprise tous les jours à midi sur les ondes de la radio nationale.

On se perd en conjectures sur l'origine de Cracovie, Krakow en polonais.


CORBEAUX DE CRACOVIE

Il y a plusieurs hypothèses au sujet de l'origine du nom de Cracovie. On pense généralement au prénom de son fondateur, le légendaire prince Krak. Mais assez souvent on emploie aussi le mot ,kruk" qui désigne un oiseau. Il s'agit du corbeau qui, au temps de nos pères, était très populaire dans cette région de Pologne.

En des temps très anciens où la Pologne était encore un pays païen, plusieurs bourgades de tribus slaves s'y étaient implantées. Ces lointains ancêtres rendaient hommage à divers dieux parmi lesquels des plantes, des animaux, vénérés comme forces de la nature. Dans la région cracovienne le culte des corbeaux était le plus répandu, ces oiseaux détenant à leurs yeux un pouvoir immense. De leur comportement on déduisait les événements à venir et plus précisément en observant les plumes qu'ils perdaient en tournoyant au-dessus des proches collines.
Les corbeaux préféraient les tertres où le peuple venait leur rendre hommage. Les prêtres qui protégeaient ces oiseaux sacrés avaient des parures aussi noires que leurs plumes. Ils célébraient en leur honneur des fêtes sacrées et solennelles. A ces cérémonies mystérieuses venaient de très loin voyageurs et marchands qui voulaient s'attirer les faveurs des dieux païens.


Les paysans devenus opulents grâce au commerce avec les marchands étrangers manifestaient leur approbation et les prêtres s'enrichissaient grâce aux nombreux dons qu' ils recevaient. Plusieurs souverains prirent alors comme prénom le nom de corbeau afin d'obtenir sa protection et régner de nombreuses années.
On peut se demander combien d'anciens princes portèrent le nom Krak ou Kruk. Il suffit de savoir que sous leur règne sage et avec l'aide des corbeaux le pays s'enrichit et se développa rapidement. Mais quand la religion chrétienne supplanta les anciens cultes, le fanatisme religieux détruisit les dieux préhistoriques. Disparurent alors les bois sacrés et les saints patrons des nids de corbeaux. Cependant les oiseaux, comme à leur habitude, revenaient aux mêmes endroits. Jusqu'au jour où un évêque ordonna de saisir tous ces volatiles et de les exécuter. Une chasse cruelle eut lieu au cours d'une nuit sans lune. On entrava les pat- tes et les ailes des corbeaux auxquels on attacha des pierres et on les noya dans les flots de la Vistule. Leur culte disparut peu à peu malgré l'hommage clandestin que leur rendent encore les vieux dans les forêts. Et jusqu'à nos jours les corbeaux reviennent hanter les collines voisines de Cracovie en souvenir de leur pouvoir toujours incarné dans le nom de la ville..
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Premier contact avec la vieille ville par " le nord de l'ovale ", la porte Florian, l'une des sept portes qui fermaient la ville ; elle date du XII ème - XIII ème siècles ; à l'arrière, l'impressionnante Barbacane, un solide bastion circulaire ajouté au XV ème siècle pour renforcer la protection de la ville. Une charmante créature me demande son chemin alors que le téléphone portable sonne ; c'est Agnès qui s'assure de mon arrivée et me confirme sa visite dans deux jours. La rue Florianska est une agréable petite rue animée, qui descend la ville du Nord au Sud. La chaleur est étouffante et les touristes bruyants. Sur la gauche, un musée, LE MUSEE DE LA TORTURE......... Je m'engouffre dans un escalier pour découvrir une enfilade de petites pièces voûtées, délicieusement gothiques. Tous les engins indispensables pour vous faire avouer vos derniers forfaits sont sagement présentés, explications à l'appui : pal, table d'élongation, fauteuils garnis de pieux et autres tenailles délicates ; mais le must est assurément une splendide vierge de Nuremberg au sein de laquelle il doit faire bon se lover......

La rue débouche sur la gigantesque place du marché, Sukiennice, immortalisée par toutes les " cartes postales "....... C'est colossal, avec l'église Notre-Dame sur la droite, le bâtiment du marché au centre, et tout autour ces étonnantes maisons surgies directement du Moyen Age....... Et des bistrots par dizaines où coulent de fantastiques bières blondes. Mais le plus surprenant, ce sont les pigeons..... Il y en a partout, des milliers, qui attentent fort sagement une pitance touristique. Et il y a une explication à cette présence envahissante !


PIGEONS DE CRACOVIE


Après la mort du roi Boleslas III Krzywousty (" A la Bouche Courbée ") en 1138, la Pologne fut partagée en plusieurs ;principautés. Cet état pitoyable dura jusqu'au XIV siècle. Il avait des gouverneurs qui voulaient réunir tous les territoires particuliers. En 1288 Henryk Probus devint le prince de Cracovie. Il était capable des plus grands efforts en vue de rassembler les terres polonaises. Mais pour atteindre ce but il lui fallait obtenir l'accord du pape et d'autres princes. La route pour Rome n'était pas seulement dangereuse et longue, mais surtout onéreuse. Et le trésor était vide. Que faire pour le remplir? Le prince convoqua les marchands et les nobles et demanda leur aide. Ils l'écoutèrent dans un silence mortel et, puisqu'ils ne croyaient point en la réussite de son expédition, ils refusèrent. Ainsi les riches magnats ne lui donnèrent rien. Henri était désespéré et il décida de se procurer les moyens d'effectuer son voyage d'une manière moins claire.
Un de ses domestiques lui suggéra d'obtenir l'aide d'une sorcière. Le prince accepta cette idée et décida de rechercher une sorcière connue dans la ville. Mais elle était tellement laide et terrible que personne ne voulut l'accompagner. Alors Henri partit seul à la recherche de la petite chaumière où la sorcière exerçait son métier ambigu. Sachez qu'en chemin le brave prince rencontra beaucoup d'aventures mais qu'enfin, après avoir pénétré dans les marécages, il trouva la cabane de la sorcière. Il y entra et jeta un coup d'œil sur une femme qui agitait un liquide puant dans un grand cuvier. Le prince, un peu intimidé, lui expliqua le but de sa visite et demanda son aide. La sorcière après avoir écouté toute son histoire sourit et promit de lui donner suffisamment d'argent pour payer son voyage en Italie. Mais à condition que pendant son absence ses chevaliers soient transformés en pigeons. Le prince, satisfait puisque cette exigence lui semblait très facile, l'accepta. Le lendemain, la sorcière vint à Cracovie sur la grand' Place et dans le silence morne de la foule, chuchota ses formules magiques.

Tout - à - coup, l'équipe de chevaliers se transforma en pigeons qui prirent leur essor, volèrent au-dessus de leur maître et se posèrent autour des murailles de l'église, où ils se mirent à becqueter briques et cailloux qui, après avoir touché terre, se transformèrent en or et joyaux. On ramassa ainsi des corbeilles de bijoux. Enfin le prince put prendre la route de l'Italie. Mais le pauvre! A sa grande honte, tenté par les plaisirs divers qui attendent les pèlerins dans les pays étranges, il gaspilla toute sa fortune avant d'avoir atteint Rome. Déshonoré, il revint à Cracovie où il essaya de trouver la sorcière. En vain! Personne n'arriva jamais à désensorceler les chevaliers. Le prince ne perdit pas seulement son capital et la possibilité de réunir les terres polonaises mais aussi son équipe fidèle.
Depuis cette époque, les habitants de la ville protègent les pigeons cracoviens. Ils savent que ce sont les chevaliers qui attendent toujours le retour du souverain avec la couronne royale. .
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Traversée de la grande halle du marché, dite halle aux draps........ Ici, c'est le royaume du commerce, touristique s'entend ; bijoux, ambre et autre colifichets ; et d'étonnantes petites maquettes d'églises en papier argenté ; la spécialité locale paraît-il, très prisée à Noël. Détour par une librairie qui a pignon sur la place. Le polonais est pour moi une langue totalement ésotérique, mais mon amour des livres l'emporte aisément. Je repère un exemplaire de la Magick d'Aleister Crowley, joliment relié de noir avec un élégant pentacle sur la couverture. Philippe Pissier est passé par là........

Poursuite de la plongée vers le sud ; il est dix-huit heures et les jambes se font lourdes. Il est temps de faire une escale. Une gentille terrasse de bistrot me tend ses chaises ; une terrasse que je quitterai au bout d'un quart d'heure, faute d'avoir vu le moindre serveur. Malgré l'afflux touristique, la gestion a encore quelques relents socialistes........ Je ne perdrai pas au change en me réfugiant sous un patio verdoyant, à l'ombre de la colline du Wawel.

Le Wawel, c'est en quelque sorte le nombril de Cracovie et le cœur de la Pologne. La colline du château fut en effet pendant plus de cinq siècles le centre politique et administratif du pays. Et, malgré la décision prise par le roi Sigismund III Wasa de transférer la capitale à Varsovie, Rois, Princes et Hommes de Lettres continuèrent à se faire inhumer dans la cathédrale du château. Le Wawel, nous dit le Routard, est plus qu'un monument, c'est un livre d'histoire, symbole de la fierté et de l'unité nationale.

Retour en taxi à l'hôtel, inutile de s'en priver, les prix sont ridiculement bas. La salle à manger de l'Ibis est bondée, littéralement envahie par les hordes touristiques germaniques. Un bus vient de déverser son troupeau affamé. Je me réfugie dans un petit coin, feuilletant mes guides en dégustant une intéressante assiette de charcuterie polonaise et la légendaire Kotelett, escalope de poulet fourrée au jambon et roulée en forme de saucisse.........


22 juillet 2000 :
Et de repartir à la case départ, la colline de Wawel bien sûr. L'endroit est enchanté, une sorte de grande cour-jardin avec tout autour cathédrale, château , chapelle et appartements royaux. La visite complète suppose d'y consacrer beaucoup de temps, et surtout d'obéir à une queue monstrueuse pour acheter les tickets. Car la gestion est ici aussi encore très socialiste, une seule caissière qui prend respectablement son temps en dépit des théories de touristes qui en veulent pour leur argent. Retenons deux choses :


- la cathédrale, un joyau de l'art gothique, dont la porte d'entrée m'a sérieusement interpellée. Sur la gauche du porche, une grosse chaîne soutient des os d'animaux préhistoriques. Ce seraient les restes du Dragon qui hantait autrefois la colline ; on leur attribue du reste le pouvoir d'écarter les forces du mal et de protéger la cathédrale.
- La caverne du Dragon, sise au pied de la tour des voleurs, et à laquelle on accède par un très étroit escalier.....

Car le Dragon est inscrit dans la fibre la plus intime de la cité.


LE DRAGON DU WAWEL

Au temps jadis vivait à Cracovie, qui n'était encore qu'une petite ville forte, un prince slave nommé Krak, jeune, beau, bien fait et rempli de qualités: courage, générosité, sagesse. Le prince édifia un château fort sur la butte de Wawel où il installa le siège de la monarchie. Comme souverain il était vertueux et juste. Sous son règne la ville s'enrichit. Ses citoyens bénéficiaient de tout ce qui contribue au bien-être; de plus en plus souvent les marchands étrangers venaient à Cracovie pour y effectuer un commerce fructueux, vendre leurs biens et acheter des tissus et de l'ambre. Krak régna à Cracovie pendant plusieurs années,'entouré de gens qui l'aimaient et considéré de tous, grâce à sa bonté qui s'étendait aux petits comme aux grands. Avec lui ses sujets menaient une vie paisible et heureuse.... Jusqu'à une nuit orageuse où dans une grotte vide près de la Vistule s'installa un dragon gigantesque, avec des griffes et une queue de serpent. De sa gueule immense il crachait des flammes. Terrible et insatiable, il avalait des bêtes, moutons, agneaux et parfois même des promeneurs insouciants du danger.

Son appétit augmentait au fur et à mesure qu'il mangeait. Le peuple de Krak menait grand deuil et chaque jour, pleurant à chaudes larmes, lui apportait une offrande. Puisque Krak, devenu vieux et affaibli, ne pouvait lutter avec le dragon lui-même, il ordonna de publier que celui vaincrait le monstre aurait la main de sa jolie fille et une moitié de son royaume. Il convoqua tous ses chevaliers. Il en vint du midi et du nord, de l'orient et de l'occident. Il y avait parmi eux les téméraires du coin et les barons d'autres régions, tentés par la gloire qui rejaillirait sur eux et la promesse du prince. Ils arrivaient seuls ou en compagnie de leurs écuyers. Le peuple les saluait toujours avec le même espoir de libération du monstre affreux. Mais en vain! Après des combats longs et rudes, le dragon les terrassait toujours. Les flammes de sa gueule et ses dents aiguës le protégeaient contre les épées, glaives, piques et rapières. Plusieurs preux disparurent et leurs cadavres et ossements jonchaient la grève de la Vistule. Seulement quelques-uns sauvèrent leur vie, mais ce qu'ils rapportaient de la cruauté du dragon découragea les autres. De moins en moins souvent les Cracoviens saluèrent les audacieux venant dans leur ville. Enfin un jour arriva où personne ne se rendit à la lutte contre le dragon. L'avenir se présentait sous des couleurs sombres... De nouveau les hérauts parcoururent le pays clamant à tout venant que le prince offrirait la main de sa fille à celui qui tuerait le dragon...
Un jour se présenta devant le roi attristé un petit cordonnier si jeune et chétif qu'il semblait ne jamais pouvoir dompter un cheval. Petit par sa taille il avait quand même un esprit ingénieux. N'ayant pas la possibilité de vaincre le dragon corps à corps, il prépara une ruse. Il tua un gros mouton, vida ses entrailles et remplit son estomac de soufre.
Dans la nuit, s'étant recommandé à Notre Seigneur, le petit cordonnier marcha vers la grotte du dragon où il laissa son animal. A l'aube, le dragon affamé se mit comme toujours en route pour chercher sa nourriture. Très facilement il trouva le mouton abandonné et l'avala avidement. Peu de temps après, il ressentit les mauvais effets du soufre dont avait été rembourré le mouton. Terriblement assoiffé, il porta ses pas vers la rivière et se mit à boire. Il but et but jusqu'à ce qu'il fut devenu gros comme un ballon. Toujours souffrant il but encore un grand trait et explosa avec un bruit très fort. Les gens, attirés par ce tapage, arrivèrent près de la grotte et furent très heureux d'avoir vu disparaître le monstre.
En accord avec sa promesse le roi donna la main de sa fille au petit cordonnier ingénieux. Après la mort du roi, il régna avec justice et sagesse. On dit que dans son temps libre il cousit quelques paires de chaussures qu'on peut trouver parmi les marchandises destinées à la vente dans la Halle aux Draps...
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Il est de surcroît intéressant de préciser que Cracovie possède un musée dédié à l'animal mythique, et à ses représentations symboliques dans la culture polonaise. Il se trouve derrière l'église Notre Dame, place Mariacki 3, dans la maison de Hipolits (Kamienica Hipolitow)..

Il fait bon longer les bords de la Vistule en sortant de l'Antre de notre brave bestiole. Direction à l'ouest, vers le quartier juif de Kazimiez........ Le fleuve et large et paisible, et " les jeunes filles blondes ", comme les appelle ses consœurs Agnès, dorent au soleil, un verre de coca-cola bien sûr à la main.......

L'entrée dans le quartier se fait par la rue Josefa. Et là, le décor change du tout au tout. Les élégantes bâtisses gothiques de la vieille ville font place à de lourds bâtiments grisâtres qui suintent d'une angoisse sourde. La couleur fait place au noir et blanc, et l'on peut palper physiquement quelque chose d'incroyable : une douleur sourde, un cri indicible, le parfum d'une résignation muette. Les vieilles synagogues sont délabrées et je suivrai le guide du Routard en pénétrant dans la cour du numéro 12. Une cour typique du ghetto dont les " appartements " abritent aujourd'hui de nombreuses associations culturelles, cultuelles ou artistiques. Cette cour servit de cadre à Spielberg, dans la Liste Schindler, pour la scène de liquidation de Kazimiez.

La rue débouche sur la place Szeroka, le cœur du quartier juif..... Même grisaille, mais une animation qui rend le quartier supportable. La Vieille Synagogue, au numéro 24, vaut la visite. Un édifice religieux qui a été transformé en musée.... religieux. Le téléphone portable sonne ; c'est Christine, la maman de Julie, qui me donne des nouvelles de leurs vacances qui débutent dans les Cévennes....... Je ne peux pas rester trop longtemps en ligne car certains visiteurs prient fort dévotement ...... Musée religieux, donc, avec une émouvante histoire de la communauté juive de Cracovie, et un très intéressant panorama de la culture juive, à travers ses traditions et ses rites. Cet endroit fleure bon la Kabbale et l'arbre des Séphiroths. J'ai pris dans mes bagages un petit bouquin de Elie Wiesel publié aux Editions du Rocher, Le Golem, et appris que le légendaire Rabin praguois dit le Maharal était venu étudier ici......

Petit tour de la place, copieusement garnie de restaurants, tous se réclamant d'une authentique cuisine juive. Avec une escale apéritive au Palais Jordan, un intéressant restaurant-librairie, spécialisé dans la Shoah....... Visites du camp d'Auschwitz, qui n'est qu'à quelques dizaines de kilomètres de Cracovie, ou trip urbain sur les lieux du tournage de la liste Schindler. Les bouquins sont en toutes langues et concernent surtout les atrocités ; feuilleté un émouvant recueil de poèmes écrits par des déportés et trouvé un beau livre kabbalistique en anglais.

Bon, et malgré le copieux petit déjeuner pris à l'hôtel Ibis, je sens l'estomac descendre dans mes talons. Alors, une escale à Ariel (ul Szeroka 18, 31.053 Krakow, tél 12.421.79.20). Le voisin du restaurant Aleph avec lequel il est en conflit permanent. Et quand on sait que Spielberg avait installé son QG dans le quartier lors du tournage de " la Liste Schindler ", la guerre était au couteau !!!! Le patio intérieur est charmant et il fait bon déjeuner au soleil, en rêvassant en écoutant chanter la fontaine. On essaiera la carpe à la juive, servie ici chaude avec un sympathique mélange de petits légumes..[5]

Muni de nouvelles forces, un petit saut à deux rues d'encablures, pour voir la Tempel Synagogue (rue Miodowa). En effet, je n'ai encore côtoyé que des édifices soit désaffectés, soit transformés en musées. Celle-ci est ouverte au culte, mais comme le précise mon cher Routard, la communauté juive est aujourd'hui tellement clairsemée que les horaires d'ouverture sont aléatoires..... Et de trouver porte close.

Mais il serait dommage d'arrêter ici le parcours de mémoire. Encore un peu de courage et de marche à pied pour franchir le pont de la Vistule (pont Powstancow), en direction de la place Bohaterow Getta. Nous sommes ici dans le ghetto allemand, où toute la population juive de Kazimierz fut entassée en 1941 avant sa déportation, en 1943, dans les camps de la mort. Nouveau changement de décor ; le ghetto a été rasé, et la place fleure bon le socialisme, avec ses immeubles sans âme et ses vastes espaces verts non entretenus......... Mais on ne pourra manquer de visiter, au numéro 18, la pharmacie (Apteka Pod Orlem) où le bon docteur chrétien Pankiewicz passa deux années de sa vie à essayer de sauver les populations massacrées sous sa fenêtre. C'est aujourd'hui un petit musée sur la vie du ghetto. On fera également un saut au numéro 25 d'ul Lwoswska où a été conservé un pan de mur du dit ghetto........

Bing, je me tords la cheville ; une sympathique entorse qui me fera poursuivre mon périple en clopinant ! En clopinant ou en taxi, solution à laquelle je me résigne pour retourner sur la place du Marché. Car la place du Marché est elle aussi un petit livre de pierre dont je ne peux épuiser toutes les pages. L'Alchimie par exemple.


LE MAGICIEN SIEUR TWARDOWSKI

Pierre Twardowski, un noble cracovien, vécut au XVI ème siècle. C'était un alchimiste qui habitait une maison à St. Jean, au coin de la rue Wiglna et de la Grand'Place, un personnage à qui on attribuait un pouvoir surnaturel. On le suspectait même d'intelligences avec le diable. Nous le considérons en Pologne comme notre docteur Faust.

Twardowski, gentilhomme au grand cœur et à l'esprit vif, avait une prédilection depuis sa jeunesse pour les livres de magie. Dans une de ces oeuvres occultes il apprit comment on pouvait invoquer le diable. Intrigué, il se mit un jour en route pour le sommet de Lysa Gôra (" Mont Belé ") où il arriva à minuit, éclairé par la pleine Lune. Au moyen de formules magiques, il fit venir un diable avec lequel il signa une charte, de son propre sang. Elle stipulait que les forces infernales le serviraient jusqu'au jour où il serait arrivé à Rome. Puisque le gentilhomme ne prévoyait aucun voyage dans cette direction, il profita donc du service diabolique avec joie et sans scrupule. Il ordonna aux démons de déplacer tout l'argent contenu dans le sous-sol de la Pologne vers Olkusz, où fut découverte la mine de ce métal précieux. A Pieskowa Skala, à l'aide de forces obscures, il réussit à poser verticalement un roc immense sur son arête la plus fine. On appela cette roche gigantesque " La massue d'Hercule ". Profitant de ses capacités magiques, il surprenait tout le monde. Un jour, il évoqua l'esprit de la défunte Barbara, épouse adorée du roi Sigismond August. Un autre jour il donna la vie à un cheval peint, il chevaucha un coq et, à l'aide de verre, alluma du feu. Sur un plateau pittoresque truffé de grottes, il s'empara d'une caverne qui lui servit d'atelier où il cherchait la pierre philosophale et enseignait art magique. Tout ce qu'il désirait, il le réalisait. il " nageait " dans l'or que lui apportaient les diables du monde entier.
Au bout de sept années de service épuisant, les diables se lassèrent de travailler pour Twardowski qui semblait oublier le voyage à Rome. Alors le démon Mefisto, celui qui avait signé la charte, décida d'inventer un piège pour attraper le noble trop malin. Il se changea en courtisan et dirigea ses pas vers la maison de Twardowski, qui était aussi renommé comme médecin. Il demanda l'aide du gentilhomme pour son noble souverain qui se mourait dans d'horribles souffrances. Notre brave homme suivit alors le courtisan qui le conduisit dans une auberge nommée... " Rome " ! Twardowski passa le seuil et reconnut la véritable identité du courtisan. Il enleva immédiatement dans ses bras un nouveau-né récemment baptisé qui dormait tranquillement dans son berceau. Le diable ne put pas le prendre mais trouva vite une solution en citant: " Verbum nobile devet esse stabile " (" noble promesse doit être tenue "). Alors Twardowski qui était un homme d'honneur, remit l'enfant dans son " moïse ". Le diable saisit sa victime à bras-le-corps et s'envola par la cheminée. Pendant leur vol dans la vaste étendue, Twardowski regarda avec regret Cracovie, ses petites rues étroites, le Wawel et la Vistule qui diminuaient avec l'éloignement. Avec attendrissement, il se mit à chanter un chant pieux dont il se souvenait de l'époque heureuse où il était enfant et ne s'occupait pas encore de magie noire. Après quelques minutes il se rendit compte qu'il ne volait plus. Il était suspendu au croissant de la Lune. Puis il entendit une voix solennelle qui lui dit qu'il y resterait jusqu'au jour du jugement dernier. Le diable disparut et Twardowski solitaire, contempla les contours de la Terre. Soudain il entendit une petite voix: c'était une araignée qui s'était prise dans sa redingote. Twardowski remercia Dieu pour ce petit compagnon. Mais le pauvre, il est resté sur la Lune jusqu'à nos jours et attend avec impatience la délivrance. Si vous vous efforciez à observer la Lune, vous y remarqueriez sans aucun doute une petite tache noire. C'est Sieur Twardowski qui regarde tristement la Terre. Il a quand même des nouvelles de Cracovie car la petite araignée descend souvent à l'aide de son fil sur la Grand'Place et prend note de toutes les informations pour son ami..
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L'Alchimie est à Cracovie ce que le melon est à Cavaillon ; un parfum doucereux qui enveloppe la ville. Le Collegium Maius, correspondante plus vraie que nature de l'Université du Miskatonic, abrite dans son lectorium une salle alchimique dédiée au docteur Faust local dont nous venons de retracer la légende. Et, faut-il le rappeler, Cracovie fut avec Prague l'une des deux villes magiques où le mage elisabethéen, John Dee, accompagné de son voyant d'acolyte, Edward Kelly, poursuivit d'infernales recherches sur la langue d'Enoch !

Pause dans l'un des innombrables bistrots de la Place du Marché. La bière locale, la Zywieck, est servie en demi-litre...... Les bulles sont joyeuses, et j'éclate de rire en épluchant mon inséparable Routard. Le musée archéologique de Cracovie possède la seule sculpture jamais découverte d'un dieu païen slave : un phallus à quatre faces de 2, 50 mètres. Je n'aurai hélas pas le temps d'aller immortaliser cet olisbos pour les collections privées de Jacky Ferjault.......

Retour à l'hôtel, avec une cheville qui ressemble de plus en plus au fameux melon alchimique. Une soirée qui ressemble étrangement à la précédente ; les hordes germaniques sont toujours présentes et aussi bruyantes. Pour le repas, ce sera une assiette de poissons fumés et un steak américain, atrocement carbonisé. Je me console au bar de l'Ibis en sirotant un bourbon que le serveur, un Christophe local, me verse religieusement. Et de soupirer : un français ici, ça change de tous ces buveurs de bière.........

23 juillet 2000 :
Dimanche et journée de l'arrivée d'Agnès avec son fils Konrad, mon grand copain de près de 10 ans. Rendez-vous à la gare à 9 h 30 pour récupérer mes deux amis qui arrivent de Gdansk après une nuit passée dans le train. Ma cheville est une citrouille noirâtre, mais la gare n'est qu'à 15 minutes à pied........ Rebingo ; mon élan dominical devrait être trop allègre......... Je m'achemine vers le ballon dirigeable........ Sois sage, ô ma douleur..... Le téléphone portable m'arrache à mes gémissements poétiques ; le train aura une heure de retard. Je me réfugie sur une terrasse ensoleillée sur la place de la gare, le temps de déguster un kawa en rêvassant et en scribouillant. Mon fidèle carnet de route est toujours dans la poche....... afin de recueillir mes délires poétiques.......


CRACOVIE
Ou
Le Dragon, L'Alchimiste & Le Kabbaliste


Le dragon est amer et la butte déserte,
Le dragon est transi et la Vistule gelée.
Le roi Krak sommeille et Wavel enneigé
N'est plus qu'une bâtisse de brouillard recouverte.

Le dragon est fâché et son museau fumant
Laisse sans fin échapper des volutes de rage ;
Le dragon est furieux et sa gueule sauvage
Déverse des flots de feu en un long cri sanglant.

Yossef le kabbaliste, dans son cabinet noir
Consulte les séphiroths et prononce sans y croire
Le Nom secret de Dieu, le mot des origines.

Twardowski, l'alchimiste, surveille l'athanor
Qui rougeoie doucement des lumières du dehors.
Et Cracovie frissonne d'une terreur divine.


Cracovie, 23/07/2000 :
Incapable de faire la différence entre " arrivée " et " départ " sur les panneaux de la gare, je zappe entre les entrées - sorties. Mes amis arrivent, et c'est un vrai plaisir que de retrouver notre poméranienne en Odésie. Konrad, le fils d'Agnès, est un solide garnement qui m'a fait découvrir une chose fantastique : le langage universel des enfants. Je ne parle pas polonais ; il ne parle pas français (encore qu'il absorbe comme une éponge les mots que je lui apprends) ; mais nous sommes pourtant capables de tenir des conversations passionnées, à force de gestes, de grimaces et autres borborygmes.
Petit tour rafraîchissant à l'hôtel, et " on the road ". Je claudique lamentablement........ Nouvelle descente de la rue Florianska, et je propose à Konrad de lui faire partager ma découverte, celle du Musée des Tortures. Le bambin est fasciné, difficile de l'arracher...... Tentative de visite de l'église Notre Dame, mais c'est dimanche, et les offices se succèdent dans cette ville très catholique qui nous a donné un Pape !!!! Agnès avoue dans un soupir émouvant : je dois te dire que j'ai faim....... Elle a tiré sur internet les bonnes adresses de Cracovie qui, pour l'essentiel, se croisent avec celles de mon inséparable Routard. Le choix est rapidement effectué.

- Chlopskie Jadlo (ul Agnieszki 1, 31.071 Krakow, tél 21.85.20). Au sud de la colline du Wavel, vous pénétrerez ici dans une authentique auberge de campagne, avec ses tables de bois, la plus somptueuse du reste étant un lit rustique Et vous serez accueilli avec un assortiment de graisse de porc aux noix et de fromage blanc à la ciboulette pour patienter en tartinant. La nourriture est comme il se doit solide, à base de soupes et de porc délicieusement grillé. Superbe..
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L'estomac un peu lourd, mais le cœur vaillant, nous gravissons la colline du Wawel, afin de visiter la cathédrale. Je n'avais pas remarqué hier ces fantastiques gargouilles, au cou démesurément long, et à la tête de Dragon. La fraîcheur du sanctuaire fait du bien......
La cathédrale était l'église du sacre des rois de Pologne. Parmi ses nombreuses chapelles il y a un chef-d'œuvre de l'architecture et de la sculpture renaissance de la Pologne et de tout le Nord de l'Europe, - c'est la chapelle de Sigismond. Dans le trésor de la cathédrale se trouvent des ostensoirs, des vases liturgiques, des reliquaires, des objets ayant appartenu aux rois (regalia), des insignes royaux. Parmi les cinq cloches suspendues dans la tour, il y en a l'une des plus grandes en Europe "Sigismond". Les cryptes de la cathédrale abritent les tombeaux des rois et de leurs familles, des poètes et des héros nationaux.
Petite escale ice cream pour mon ami Konrad, et un peu de repos ; la nuit a été courte pour les poméraniens......
Nous prenons un taxi pour aller dîner, je ne peux plus aligner deux pas. Agnès demande au chauffeur de nous arrêter devant une pharmacie afin d'acheter une potion calmante. Ouf...... Soirée à Kasimierz où elle a réservé un restaurant...... juif......... Soirée qui débute sur un banc public où je m'enduis de crème alors que Konrad déguste une nouvelle crème glacée, en apéritif.......

Alef (ul. Szeroka 17, 31.053 Krakow, tél 12.422.67.81). Situé au cœur du vieux quartier juif de Cracovie, Alef vous ravira par sa cuisine typique ; la carpe à la juive bien sûr, en gelée cette fois, est incontournable.... Une dégustation qui se fera au son des langoureux violons d'un orchestre slave à vous arracher les larmes des yeux. Excellent ! [8]

Heyo heyo...


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24 juillet 2000 :
Après un gros dodo réparateur , en voiture pour explorer les richesses de la banlieue cracovienne. Et par richesses, il y en a une qui me démangeait......... NOWA HUTTA, la cité du socialisme triomphant. Cette invraisemblable cité industrielle de banlieue est l'œuvre du communisme triomphant ; une façon de rééquilibrer l'agglomération cracovienne, un peu trop bourgeoise aux yeux du régime de l'époque. Les hauts-fourneaux dégorgent leur bile nauséabonde, alors que la cité croule sous des kilomètres infinis de HLM...... Heureusement que la nature a repris le dessus depuis une décennie, les arbres masquant en partie cette offense architecturale. Il est amusant de noter que les habitants durent ferrailler pendant près de vingt ans pour obtenir la construction d'une église ; à quoi bon en effet alors qu'on a la chance de résider au Paradis Terrestre !!!!!!
Quelques petites bifurcations - Agnès semble connaître l'agglomération comme sa poche- et direction Wielickza, connue par ses fabuleuses mines de sel. Ces mines de sel sont une oeuvre créée par les mineurs eux-mêmes pendant 7 siècles d'exploitation ; et au cours de ces 7 siècles d'exploitation, on a extrait 7,5 millions m3 de sel, ce qui équivaut à la charge d'un train long d'environ 1/5 de l'équateur. Les mines ont 9 étages, le premier se trouve à 64 m sous le niveau du sol et le dernier à 327 m. Les galeries atteignent une longueur de 250 km environ. Si l'on compte toutes les chambres creusées par les mineurs au cours de 7 siècles, on trouve 2040 chantiers d'exploitation. L'itinéraire touristique que l'on nous fait suivre ne comprend que 3% de chantiers d'exploitation. C'est tout simplement kolossal, une sorte de musée souterrain où tout est sculpté dans le sel. On y croise de dynamiques nains de jardin (ou plutôt " nains de mines " !!!), on franchit des lacs, visite des chapelles et se recueille dans une gigantesque cathédrale dédiée à la bienheureuse Kinga.
13 heures, l'estomac de Konrad réclame une crème glacée, et notre appétit plus adulte recherche des choses consistances. Retour au centre-ville où nous croisons à nouveau nos " bonnes adresses ".
Orient Express (Ulica Poselska 22, Krakow, tél 012.4226672). Pour tous les nostalgiques de cette ligne mythique, vous pourrez ici vous installer dans un confortable compartiment, à moins de choisir le coin bar, à mon goût un peu trop haut perché. La nourriture est tout ce qu'il y a de plus occidentale, avec des viandes saignantes savoureuses.[9]
Arès-midi de repos et de flânerie......... sur la place du Vieux Marché où Konrad fait l'acquisition d'une ravissante marionnette en forme de Dragon.......... Et puis nouvelle halte gastronomique dans un endroit " hors du temps "......

Départ demain matin pour Gdansk.......... Mais ceci fera l'objet d'un autre reportage !!!!!

Pod Aniolami (ul Gradzka 35, Krakow, tél 012.421.39.99). Une délicieuse enfilade de caves gothiques dans la vieille ville, pour abriter un restaurant dit " alchimique ", en hommage à la science des arcanes cracoviennes. Vous dînerez à la bougie et vous pourrez allez choisir, dans un immense comptoir-réfrigérateur, les mets du jour. Les truites sont fraîches comme la rosée et le cochon de lait, tendre comme il se doit. Un vrai plaisir.



[1] D'après le Guide du Routard.
[2] D'après " Les Légendes de la Vieille Cracovie, Editions EKA.
[3] Op cité.
[4] Op cité.
[5] Extrait des " Bonnes Tables du Cyberboss ", Philippe Marlin (c)
[6] D'après " Les Légendes de la Vieille Cracovie, Editions EKA.
[7] Extrait des " Bonnes tables du Cyberboss ", Philippe Marlin (c)
[8] Op cité
[9] Op cité.