Dans toutes recherches historiques, il faut toujours combler un manque de données. Il est impossible d'obtenir l'entièreté des faits et sentiments qui témoignent d'une période antérieure. Et même si l'on peut imaginer une situation où toutes les données sont à la disposition du chercheur, l'histoire est si vaste qu'un être humain ne sait pas s'imprégner de toutes les informations. La poursuite d'une vision panoptique est dès lors une situation idéale et le lecteur ne peut se contenter que de la qualité de la recherche, qui peut plus tard être contestée par d'autres travaux. L'histoire du livre des Cinq Sphères (LCS) rentre dans une telle interprétation et si d'autres veulent se lancer dans la même investigation et désirent se rendre plus loin dans la connaissance, plus loin où je suis parvenu, prenez note que ma raison a failli plus d'une fois vaciller. Ce n'est d'ailleurs que grâce à une méthode ascétique de travail que j'ai pu conserver ma santé intacte (ou presque).

En termes occidentaux et rationalistes, le contenu du LCS ne signifie absolument rien. Il ne détient aucune connaissance objective, c'est-à-dire un savoir universel. A l'encontre du Nécronomicon de Lovecraft, il n'y a aucunes références aux secrets du monde. Le LCS est bien plus compliqué qu'un savoir objectif, car il se réfère à un savoir subjectif, c'est-à-dire une connaissance spécifique inscrite dans un être. Lorsqu'un lecteur a la chance de détenir une copie et qu'il passe suffisamment d'années à le décortiquer, à s'y investir, et finalement à le comprendre à travers l'expérience qu'il partage avec les symboles de l'ouvrage, il atteint une connaissance de soi. Le livre est écrit d'une telle manière qu'il déclenche dans l'esprit du lecteur des éléments archétypes du cerveau qui sont à peine utilisés dans la vie de tous les jours. Ces éléments archétypes, pour suivre Jung, appartiennent au lot de tous et nécessitent d'être compris pour, en termes séculiers, parvenir à une vie épanouie et équilibrée, ou, en termes ésotériques, devenir divinement tout autre. Ces mots, lorsque interprétés de la bonne manière, permettent au lecteur d'être transcendé. Il devient dès lors un être parfait, presqu'un dieu, un übermensch pour suivre Nietzche.

Ce livre a la capacité de vous dévoiler de nombreux secrets qui germent en vous, mais il peut également vous menez à la folie si vous n'êtes pas suffisamment préparé à sa lecture. Dans la nouvelle, Joël est un exemple de ce cas. Cette histoire nous a plongé dans les fantasmagories inconscientes du caractère principal. Si le personnage s'était préparé à un tel sub-voyage il serait parvenu à développer son étincelle divine. Malheureusement, il s'est perdu dans le labyrinthe des projections de ses pensées et ne trouvera peut être jamais plus la sortie. Joël est devenu totalement schizophrène et mélange la réalité conventionnelle avec celle éclatée de son imagination. Il faut dés lors se préparer mentalement, physiquement, mais aussi religieusement, pour s'investir dans les pages de ce livre.

L'origine de cet ouvrage est totalement inconnue. Certains le font remonter à l'homme primordial (en arabe El-Insânul-qadîm) de la Genèse, c'est-à-dire Adam Qadmun. Lors d'une entrevue secrète, les esprits critiques d'un astronome et d'un illustrateur d'Amiens m'ont très vite fait comprendre qu'il existe tellement d'ouvrages faussement associés au premier homme (ou à sa proche descendance, comme son petit-fils Enoch) qu'on pourrait ouvrir une bibliothèque municipale.

Néanmoins, le processus de diffusion du LCS n'est pas une légende et on peut parvenir à le suivre. Cinq copies sont en distribution et seulement cinq. Il est de tradition que lorsque quelqu'un entre en possession d'une copie, et qu'il réussisse avec succès son parcours transcendantal, il doit le reproduire à la main minutieusement, brûler l'ancien duplicata et remettre en distribution la nouvelle version.

L'un de ces livres aurait été détenu par les hiérophants orphiques de l'ancienne Grèce. Orphée, un magicien Thrace aurait ramené ce livre d'Hadès et s'en serait inspiré pour fonder son culte. Les mystagogues orphiques se le transmettaient l'un à l'autre et s'en inspiraient même pour leurs Mystères. Cette version était écrite en grec et est restée secrète pendant des siècles. On raconte même qu'Homer a eut accès à cet ouvrage mais qu'ayant compris sa puissance, il aurait refusé de poursuivre sa lecture. Plus tard, et ce pour une raison difficile à cerner, ce livre (et sa reproduction hermaphrodite) aurait été utilisé par les arabes pour être retourné encore plus tard en Occident par les soins du Perse Avicenne (AD 980-1037) qui par une combinaison d'aristotélisme et de néoplatonisme prônait l'idée d'un mundus imaginalis. Ce philosophe perse n'a pas été suivi avec ferveur en occident. Les Pères de l'Eglise lui ont préféré l'Arabe Ibn Rushd Averroès (AD 1126-1198), l'interprète d'Aristote et de sa vision du monde trop rationaliste. Il suffit de lire les écrit de Cohen et de Durand (des philosophes d'aujourd'hui) pour réaliser l'importance que ce choix discréditant l'imaginaire a eut sur les différentes visions du monde occidental

Le livre, toujours dans sa traduction grecque, aurait continué à être transmis secrètement dans des loges maçonniques d'un haut niveau. Certains lecteurs sont devenus illuminés, d'autres sont devenus complètement fous. Plus tard, cet ouvrage serait apparu dans les Salons de la Rose-Croix du XIXième siècle, et aurait été traduit en français par le symboliste J. Péladan. On raconte même que Baudelaire aurait donné un coup de main à cette complexe traduction et que le Namurois Félicien Rops en aurait illustré quelques passages, mais personne n'a jamais pu les contempler. C'est cette version que Joël détient dans l'histoire. Est-ce la version originale traduite par Péladan ou est-ce une copie de la première traduction ? Personne ne le sait.

La qualité des traductions est fortement débattue dans les milieux ésotériques. Certains, comme les suivants de René Guénon, argumentent qu'il est impossible de traduire parfaitement un ouvrage de cette complexité. La traduction n'aurait aucune légitimité spirituelle et il est nécessaire de toujours travailler avec l'original (c'est-à-dire les palimpsestes reconnus comme authentiques). Les traductions ne seraient dés lors que de fausses copies. D'autres ésoteristes, comme les Spiritistes et les membres de la Société Théosophique, estiment que la validité de ces traductions est tout à fait possible. Si le lecteur est parvenu à comprendre le LCS et à surélever son moi, il est parfaitement capable de traduire le livre à travers son expérience vécue dans ce même ouvrage. La copie n'est plus une parfaite reproduction en termes puristes, mais conserve néanmoins sa valeur d'authenticité.

A ce jour, il parait qu'une version grecque existe toujours et qu'elle circule on ne sait où. Marlowe (1563-1593) s'en serait vaguement inspiré pour ressusciter Faust bien avant Goethe (1749-1832). Une autre version du LCS, en mandarin, serait conservée très secrètement par une branche dissidente et guerrière du bouddhisme. Un chaman parcourrait les routes de l'Asie en cachant ce livre dans son baluchon. Un mystico-philosophe de l'ordre de Vaugirar serait même à sa poursuite depuis des années et de temps en temps il envoie ses notes de voyages encyclopédiques dans la presse underground. Peut être qu'un jour, il parviendra à retrouver ce lama ? Une quatrième copie du LCS serait détenue par un marabout zaïrois. Seulement, ce livre ne serait transmis que de bouche à oreille et celui qui connaît par coeur ses moindres lignes devient lui-même le livre. Lorsqu'un néophyte l'a ingurgité intellectuellement et qu'il renferme en mémoire l'ouvrage parfaitement, il suit très souvent un rituel dans lequel le jeune initié doit tuer son mentor. Les traces du dernier LCS restent introuvables. On raconte qu'il aurait été traduit en symboles et qu'il faudrait le lire à travers les cartes du Tarot. D'autres racontent que le livre a été encodé dans les passages du Pentateuque (les cinq premiers Livres de la Bible ) et que la Cabale est le seul mysticisme qui parvienne à décoder le LCS. Pour beaucoup, cette hypothèse ne tient pas la route car si le livre est recopié dans des cartes ou dans les lignes du Pentateuque, il existerait beaucoup plus que cinq copies en circulation. A ceci, certains ont tenté de répondre que l'on peut reproduire le livre en symboles ou en contemplation mathématique (l'hébreu est la seule langue qui permette un tel exercice car chaque lettre détient une valeur mathématique) et que cela n'affecte pas cette loi des cinq LCS. Aucun élément ne valide cette interprétation.

Mais aussi, de fausses copies circulent en abondance. Le marché des LCS est très rentable à qui sait profiter de la crédulité des gens. SLG détient un faux, mais il refuse de l'admettre. Il parait que sa copie aurait été recopiée par un extra-terrestre, et ce pour un prix très terrestre. Un ancien de Nantes aurait également dépensé une fortune pour une de ces fausses copies croyant détenir un vrai Nécronomicon. Une prêtresse gothique de Paris aurait même été jusqu'à tourner dans des films de série Z pour détenir un de ces "fausses" duplicatas.

Au cours des siècles, les livres sont quelques fois tombés dans des mains peu recommandables. Et même si des lecteurs sont parvenus à transcender leur condition humaine, ils n'étaient pas pour autant d'une bonne nature. Ils ont utilisé leur savoir sur la voie du mal et ont recopié (d'autres traduits) les livres des cinq sphères. Mais seulement, ils n'ont pas détruit la version originale qu'ils détenaient. De ce fait, le livre copié s'est imprégné des propriétés de l'ancien, mais orientées vers le mal. C'est pourquoi une légende laisse supposer qu'il existerait également des livres noirs des cinq sphères. L'on parle d'un volume relié en peau de jeunes enfants non baptisés (procédé qui n'a aucune utilité mais que certains catholiques orthodoxes du mal croyaient utile). Il existerait même un livre relié en peau de kangourou, mais personne n'en connaît la raison. On parle d'un Belge qui se serait perdu dans le désert, mais la connexion avec ce marsupiaux reste mystérieuse.

Un des livres noirs aurait été en possession d'un Caïnite (sous-groupe gnostique vénérant les caractères rebelles de la Bible) qui se serait réfugié dans un village irlandais lors des persécutions lancées par le Vatican. Ce livre s'est transmis à travers sa progéniture pendant plusieurs générations. Des années plus tard, un viking à la force sauvage et en compagnie de ses hommes, aurait pillé cette petite communauté. Après être rentré sur sa terre natale, il aurait revendu ce livre à un moine itinérant dont l'identité reste mystérieuse. On sait juste qu'il avait une tendance mégalomane et qu'il se prenait pour Dieu. Le livre est resté secret pendant des siècles et on le retrouve beaucoup plus tard chez Aleister Crowley qui ne serait pas parvenu à le comprendre suffisamment pour pouvoir le reproduire. Une autre version des faits souligne qu'il aurait été trop arrogant pour reconnaître la qualité de ce livre traditionnel et qu'il aurait tenté de le corriger à sa manière. Cette correction était tellement mauvaise qu'il l'a mentionné très rarement dans sa vie. Des années après, l'original aurait été dérobé par une de ses concubines (une vraie louve d'après mes informations) et on ne sait pas ce qu'elle en a fait. On n'est même pas certain qu'elle se soit rendue compte de l'importance de ce qu'elle avait volé. Il paraît que la correction de Crowley est toujours dans son château, cachée dans une crypte. Le guitariste de Led Zeppelin, Jimmy Page, aurait même racheté le château de Crowley en raison de ce livre. Il aurait tenté de le traduire en notes de musique, mais c'était un échec. Il travaillerait toujours dessus.

Si cinq LCS et cinq LCS noirs sont en circulation, un équilibre important et vital serait maintenu dans le monde. La nature de cet équilibre reste toujours mystérieuse, mais il parait que grâce à celui-ci, un âge d'or du monde aurait duré pendant quelques décennies. Personne n'est parvenu à identifier adéquatement la nature et la période de cet âge d'or. De plus, je n'ai trouvé aucune référence sur l'idée qu'il ne puisse exister que des LCS "blancs" en circulation. Un juriste à l'âme chevaleresque suppose qu'on pourrait s'attendre à un retour au jardin paradisiaque. Est-ce possible ou est-ce à nouveau une vision romantique ?

Une légende laisse entendre que lorsque le nombre des LCS noirs dépasse un multiple de cinq, quelque part dans l'univers, un soleil s'éteint. L'énergie dégagée par la rupture de cet équilibre est si forte qu'elle affecte le reste de l'univers. Quelques astres se sont déjà transformés en trous noirs pour cette raison. Le nôtre pourrait également suivre un tel processus si la reproduction des LCS noirs ne prend pas fin.

Les fervents des théories conspiratrices veulent nous faire croire (ou nous faire rêver) qu'un groupe d'êtres fort développés spirituellement tenteraient d'éliminer ces livres noirs. On les appelle les Gardiens, ceux qui Préservent, ceux qui Statuent. Ils parcourraient le monde à la recherche de ces livres noirs pour les détruire. La destruction est un procédé très lent car le Gardien doit recopier le livre (sans succomber au mal) et puis, il doit (ou elle) annihiler les deux versions lors d'un rituel très rigoureux. Ces Gardiens tentent de conserver l'équilibre du monde intact mais la tâche est ardue. Il s'agit de retrouver tous les livres noirs et de ramener le nombre des copies à 5 et, ensuite, à veiller à ce que d'autres duplicatas ne puissent être produits.

Si un jour, l'obscurité tombe en plein jour, vous saurez que le nombre des LCS noirs a dépassé un seuil critique. Vous commencerez à paniquer car vous connaîtrez la raison de ce phénomène et le pire est qu'il sera trop tard. Rien ne pourra faire revenir l'astre, pas même la destruction de tous les LCS noirs.

Adam Possamai

Dragon