Pour ouvrir ce nouveau numéro du Bulletin, je vous propose une lovecrafto-confidence, celle de Franck Périgny. Il est le second, après Jacky Ferjault (Impressions d'un néophyte à la lecture de HPL) à passer sur le divan des Veilleurs de M'Nar.
J’ai découvert Lovecraft en 1984 : j’avais quatorze ans. J’entrais alors en
classe de seconde et je n’imaginais pas encore tout ce que j’allais apprendre,
y compris en dehors des cours. Surtout en dehors des cours.
A l’époque, j’étais, il me semble, à peine conscient du fait qu’il existait
quelque chose comme la littérature fantastique. Ayant eu la chance de grandir
dans une maison où se retrouvaient beaucoup de livres, j’ai vite entrepris de
les dévorer tous, à l’exception peut-être des manuels de cuisine. Je crois que
j’ai ressenti assez tôt une préférence marquée pour tout ce qui comportait
une touche de mystère, d’angoisse, voire d’horreur (mais c’était plus
difficile à trouver. Ou alors il fallait lire les manuels de cuisine).
Je me rends compte que j’aime les histoires qui font peur.
Je dis souvent que j’ai pratiquement appris à lire dans les romans
condensés de « Sélection du Reader’s digest ». je sais : le digest est
un crime de lèse-littérature, mais à l’époque, j’étais bien content de
les avoir. Je leur dois mes premiers frissons ressentis, comme par
procuration, au détour d’une romance teintée de mystère ou d’un recueil
de contes hétéroclites. Je me souviens étonnamment bien d’un roman
sentimental signé Victoria Holt : La Lande sans étoiles.
La lande en question, bordant un vieux château plein de sombres
recoins, était hantée par d’inquiétants moines encapuchonnés. Je crois
que cela a dû être la toute première chose un peu angoissante que j’ai
lue. Je me souviens aussi de La Patte de singe, la fameuse nouvelle de
W.W. Jacobs, peut-être mon tout premier conte de terreur ...
Bien sûr, il n’y avait pas que les bouquins. Je n’oublierai jamais King Kong
désossant un tyrannosaure sur le petit écran de la vieille télé en noir et
blanc, posée sur le buffet du salon, je devais lever la tête pour la regarder ...
J’ai encore dans les oreilles les cris stridents des pauvres porteurs qui tombaient dans le ravin ... J’aimerais me souvenir du frisson que j’ai dû ressentir quand ils se faisaient démembrer par les féroces Gabonis, dans une variante sadique de la crucifixion ...
Le terrain était bien préparé. Nicolas n’avait plus qu’à débarquer, avec le
grand Cthulhu dans la poche.
Nicolas me prête un livre.
C’était donc un livre, tout bête, un livre de poche au titre bizarre :
Légende du Mythe de Cthulhu. Nicolas (patiemment) : « Non, pas Chute-lu :
Ktou-lou ». (Vous, je ne sais pas, mais par ici, Nicolas, camarade de votre
serviteur en classe de seconde, était amateur de jeux de rôle, et ce n’est rien de le dire. A l’époque, ces jeux commençaient
à peine à se vulgariser, mais lui était un initié de la première heure,
blanchi sous le harnais de Donjons & Dragons.
Ce n’est pourtant pas avec Donjons & Dragons que ce prosélyte avait décidé de
m’appâter. « Jeux Descartes » venait de traduire L’Appel de Cthulhu. Et
comme la règle précisait qu’il n’y avait rien de mieux, pour se plonger dans
l’atmosphère du jeu, que de lire les œuvres de H.P. Lovecraft, Nicolas me
confia un petit bouquin intitulé Légende du Mythe de Cthulhu.
Cela fait aujourd’hui quelque chose comme treize ans. Si j’avais pu savoir,
j’aurais noté la date.
Je me sens un peu ridicule en essayant d’évoquer l’importance de cet épisode.
Pourtant - et c’est en essayant d’accoucher de ce texte que je m’en rends
vraiment compte - aussi con que cela se puisse paraître; la lecture de ce
petit bouquin a vraiment changé quelque chose dans ma vie. Putain, j’aurais
vraiment dû noter la date. Comme quoi, c’est un tort de ne pas tenir un
journal intime.
Auteur : un certain « H.P. LoveRcraft ». Nicolas (agacé) : « Mais non, pas
« l’hovercraft » : Lovecraft ! ». Le calembour ne l’amuse plus depuis un
moment. Couverture : Tibor Csernus - nom de Dieu ! Cette couverture : la
fascination est immédiate. Une créature gélatineuse, tentacules, ventouses,
me fixe d’un œil impérieux. Toute l’image, traitée dans les tons bleu-vert -
glauque, en bon français - dégage une impression d’humidité.
Douze ans plus tard, je retrouverai dans la vitrine d’un bouquiniste cette
édition des Légendes, maintes fois rééditée depuis. J’avais déjà l’édition
Pocket et une édition en anglais, mais le Cthulhu de Tibor Csernus me
faisait de l’œil, me ramenait au gamin de quatorze ans qui contemplait,
fasciné, ce dessin extraordinaire. Bien sûr, je suis entré et j’ai acheté
le bouquin.
Trois souvenirs des «Légendes du Mythe de Cthulhu ».
Je me souviens particulièrement de trois des nouvelles qui se trouvaient
dans ce recueil. Les Chiens de Tindalos, de Frank Belknap Long, avec
cette idée excitante de créatures immatérielles qui s’introduisent dans
notre dimension par les angles. Comme dans La Maison de la Sorcière du Maître,
Long associait science et magie, mathématiques et surnaturel, et ça, même quand on aimait
déjà les histoires de fantômes, c’était totalement nouveau.