Samedi 10 août 2002 :

La limousine de l'ODS quitte paisiblement Sedan, la cité de Turenne, direction Stenay, le centre névralgique de notre Mythe favori. Avec à son bord, outre votre serviteur, le pieux Cardinal Rive et Joseph von Altairac. Une mission préparée de longue date comme le savent tous nos fidèles lecteurs (cf notamment notre dernière enquête dans l'église de Sèvres). J'ai déjà eu l'occasion, dans une précédente contribution (1), de faire le point sur l'exceptionnelle intégration de Stenay au Mythe, suite notamment aux travaux érudits de Gérard de Sède (2), Philippe de Chérisey et Pierre Plantard. Je me bornerai aujourd'hui à l'aspect touristique de notre visite et notamment au regard de candide apportée par mes deux compagnons sur cette sulfureuse affaire. Car que peut-on voir ? Deux diables ricanants, l'un sur le fronton de l'hôtel de ville et l'autre sur le monument au mort. Et le musée du Cercle Saint Dagobert II, du reste fermé le samedi..... C'est à dire pratiquement rien.......

Joseph von Altairac & le Cardinal Rive

Mais Joseph est loin d'être surpris et propose très vite une explication convaincante : " Il ne faut pas croire que toutes les grandes capitales mythiques se repèrent à leurs édifices religieux -grandioses- ou à leurs citadelles -imprenables- Tout l'art des bâtisseurs de mythes est au contraire de dissimuler sous une banalité affligeante les plus lourds secrets de l'univers ". Et force est de constater qu'ils ont admirablement réussi. Nous quittons avec regret cette cité qui ne peut exister et croisons le village de Baalon. Une autre place marquée par les Grands Anciens de la main gauche, d'après la légende. Et encore un tour de force : nous ne traversons qu'une petite bourgade assoupie dont les monuments essentiels sont des tas de foin colonisés par la basse cour de la ferme locale. Et Mouzay, ah Mouzay : porte de la forêt de Woewre dans laquelle Saint-Dagobert II s'est fait assassiner. Cette forêt abrite le château de Charmoy, haut lieu du culte rendu plusieurs fois par an par le Cercle Saint Dagobert II au roi Fait Néant....
Un château si bien dissimulé que nous le retrouverons pas. Escale ensuite à Avioth. C'est à Avioth, petit village français, fief des comtés de Chiny au 12è siècle, sanctuaire primitif et lieu de pèlerinage d'une Vierge miraculeuse, que de 1225 à 1420 on édifie une basilique gothique. Embellie aux 15è et 16è siècle, elle est restaurée par Viollet-le-Duc au 19è siècle. Mais laissons là l'histoire officielle. Pendant que je prends quelques clichés de cette véritable merveille de l'Art Religieux, j'entends nos deux hommes en noir pousser un cri d'étonnement. Je m'approche. Ils sont penchés sur une tombe en très mauvais état.... " Regarde, Philippe, voilà le tombeau des Pontils soit disant détruit, près d'Arques "..... Grand moment d'émotion, notamment pour le Cardinal, Jean-Luc Rivera d'après l'état civil. Mais laissons parler notre ami André Douzet , dans son étude sur le fameux tombeau dit de Poussin, pour bien comprendre les sentiments douloureux qui montent à la gorge de notre co-équipier : " Les bâtiments mis en vente au lieu dit 'Les Pontils' ne resteront pas longtemps sans habitants. En effet deux américains achètent le petit domaine et l'occupent très vite. Il s'agit de deux personnages pour le moins énigmatiques : Madame Rivera et celui qu'elle dit être son fils, un certain 'Monsieur Lawrence' âgé de plus de 50 ans et la grand-mère de ce dernier. Madame Rivera est une dame effacée et ne laissera pas grande mémoire, pas plus que la grand-mère. 'Monsieur Lawrence', par contre, passe pour un homme énigmatique........ ".

Décidément, le hasard n'est plus ce qu'il était. Nous passons la frontière belge pour aller nous restaurer dans la petite ville belge de Florenville. Une bourgade chère à mon cœur puisqu'y résidait une de mes premières petite fiancée... Ses parents tenaient une friterie.... Le temps a passé, mais la friterie existe toujours et mon ex officie maintenant derrière les bassines remplies d'une huile odorante.....

Et nous poursuivons notre plongée dans le Mythe avec maintenant une visite de l'abbaye d'Orval. Les esprits épicuriens penseront immédiatement à bière et fromage. Nous sommes pour notre part sur la trace des fameuses prophéties.

Quelques remarques (3) :

De nombreux commentateurs, avec l'abbé Torné-Chavigny, attribuent à Nostradamus les fameuses prophéties d'Orval, Prévisions d'un Solitaire, que d'autres assurent être d'un médecin astrologue nommé Olivarius .
Torné-Chavigny est l'auteur d'une Histoire prédite et jugée par Nostradamus, Bordeaux, 3 volumes, 1860 - 1862. Il rédigea plusieurs autres ouvrages sur Nostradamus, et notamment les Prophéties d'Olivarius et d'Orval, Paris, 1872. Torné-Chavigny est le premier à avoir prétendu que la prophétie d'Orval, dont l'auteur se nommait Olivarius, du " pays des olives ", était une œuvre de Nostradamus durant un pseudo séjour dans cette abbaye.
On aurait trouvé ces textes dans la célèbre abbaye d'Orval, en Belgique, en 1793, mais la première prophétie serait datée de 1543.
Nostradamus aurait-il terminé le cycle de ses pérégrinations dans l'est de la France par un séjour à l'abbaye d'Orval, de l'Ordre de Citeaux, alors au diocèse de Trèves, à deux lieues de l'actuelle sous-préfecture de Montmédy ? Certains biographes datent justement ce séjour de 1543. D'autres situent cette " retraite " de Michel pendant l'hiver 1544 - 1545.
Quoi qu'il en fut, la découverte de ces soi-disant textes prophétiques fut attribuée très vite à Nostradamus, tant il est vrai qu'on ne prête qu'aux riches.
En 1793, après la " rénovation de siècle " nostradamienne, un certain François de Metz découvre dans les archives de l'abbaye des manuscrits intitulés : " Livres de prophéties, composé par Philippe Dieudonné - Noël Olivarius, docteur en médecine, chirurgien et astrologue " Il s'agirait, nous dit-on, d'une copie faite par l'abbé d'Orval, et qui portait en dernière page la mention suivante : " Finis, MDXLII "
Cette date coïncide approximativement avec celle du prétendu séjour de Michel à Orval. Cependant, la " prophétie d'Orval " ne fut connu qu'en 1821 : 1542 et 1793, anti-datés deux fois !
La Prophétie d'Orval, qu'on appelle aussi les " Prévisions d'un Solitaire " n'ont d'ailleurs absolument rien en commun avec le style volontairement énigmatique des Centuries. Le texte orvalien raconte l'épopée napoléonienne et milite activement pour un retour de la royauté en France sous Louis XVIII.
Bon, il faut bien admettre que nous resterons sur notre faim, et que le révisionnisme qui semble avoir frappé cette région a également sévi ici ; la librairie de l'abbaye, au demeurant fort riche, ne contient aucun ouvrage sur ce sujet.... Ils voudraient nous cacher quelque chose qu'Ils ne s'y prendraient pas autrement. Ecrasés par le poids de nos recherches et quelque peu assommés par cette succession de coïncidences improbables, nous décidons de nous offrir un break. Nous nous rendons d'abord à Verlaine, pour aller souffler à la ferme des sanglochons. Des animaux, dans la plus pure tradition crypto-zoologique, qui ont souvent défrayé les chroniques odésiennes. Mais ils sont là, en chair et en os, ainsi qu'en pièces détachées. Car la ferme transforme nos délicieux petits amis en saucisses et en jambons fort prisés des amateurs.
Nous poursuivons notre détente par une escale à Redu, petit village belge cher au cœur de nombreux odésiens. Redu est un sympathique village du livre qui regorge de librairies croulant sous les trésors les plus invraisemblables. Je ne vous raconterai pas les emplettes que nous avons réalisées dans le domaine des sciences improbables, mais deux mentions tout de même :

- celle du livre le plus excitant qui avait pour titre " la Vierge Rance ".
- celle du livre qui n'existait pas.....

Joseph repère chez un bouquiniste ésotérique un mystérieux traité sur l'Atlantide écrit par des Vénézuéliens. Il ne l'achète pas sur le champ, et phénomène bien connu des papyvores, le regrette amèrement. Nous retournons en fin d'après-midi à la librairie : fermée. Nous y retournerons encore le lendemain matin : la librairie a disparu, et le commerçant d'en face nous affirme avec son délicieux accent wallon qu'il n'y a jamais eu de librairie ésotérique à Redu.
Je vous laisse le soin d'imaginer notre perplexité........
Nous terminons notre journée par un retour en fanfare à nos études mythologiques. En fanfare car la bonne ville de Bouillon vibre aux sons des flonflons d'une kermesse médiévale dédiée, bien sûr, à la mémoire du fondateur de l'Ordre de Sion, le brave Godefroy. Si je vous disais que Joseph tombe en admiration, dans une boutique de jouets, devant des maquettes d'avions allemands, je serais certainement hors sujet. Je passe donc, et nous nous réfugions dans une taverne accueillante des bords de la Semois. Le Cardinal a l'estomac serré suite aux événements incroyables de la journée. Il avalera avec peine une cervelle de veau. Joseph en revanche se console avec un odorant civet de marcassin alors que je me contente d'un riz de veau, mets délicat toujours interdit en France....

Les conclusions que nous tirerons de ce périple sont bien évidemment couvertes par le secret odésien.


 

1 " Aux Sources du Mythe ", cf Murmures d'Irem no 13
2 notamment " la Race Fabuleuse ", J'Ai Lu, l'Aventure Mystérieuse, 1973.
3 tirées de http://nostredame.chez.tiscali.fr/praper.html