Titre Lovecreft

 

Lovecraft, Horreur Scientifique, Aliénation, et Cryogénie

© 1992 Steven B. Harris

 

" La plus vieille et la plus violente émotion de l’humanité est la peur, et la peur la plus vieille et la plus violente est celle de l’inconnu. "

H.P. Lovecraft

 

Les histoires de résurrection - en particulier celles de héros mythique - sont très puissantes (voir Cryonics Sept 1988), et particulièrement puissant dans le genre est l’élément d’horreur généré par ces histoires lorsque la résurrection se passe mal. Dans notre société, nous vivons avec le mythe des vampires, des momies qui marchent, et des légions sans fin des morts-vivants, chancelants et traînant, de George Romero. Avec la révolution scientifique, l’élément de base de l’horreur, touchant à la résurrection non-religieuse, a aussi été associé à un thème technologique plus nouveau, une fusion débutant lorsque Mary Shelley, la première, introduisit l’idée d’une résurrection scientifique dans la fiction en 1818. La cryogénie est la descendante directe de cette ancienne tradition.

 

La vision de Mary Shelley d’un réveil technologique des morts était basée sur des démonstrations du XVIIIème siècle. On affirmait alors que la " galvanisation " (on la désignait à cette époque comme une stimulation électrique) pouvait, dans certaines circonstances, faire bouger des parties isolées d’un corps, d’une façon tout à fait semblable à la vie. La galvanisation pouvait même aider à la résurrection de personnes apparemment mortes (voir Cryonics Sept 1990 pour une brève histoire de la technologie de la résurrection).

Dans Frankenstein, Shelley ne précise pas quelle technique scientifique est utilisée pour animer le monstre. Mais dans une introduction au roman datant de 1831, elle nous dit que la galvanisation avait été le sujet de conversation parmi son cercle d’amis littéraires quelques heures avant qu’elle-même ait une vision, lors d’un cauchemar, d’un monstre réanimé, tard dans une nuit pluvieuse de Suisse en 1816.

 

Shelley raconte qu’elle avait fait le pacte avec ses amis d’essayer de penser à une histoire de fantômes, mais celle qu’elle produisit à la place de cet accord prometteur n’était pas du genre maison hantée par une force surnaturelle. Ce fut plutôt la première histoire sur l’orgueil, et la punition, d’un scientifique moderne dans sa quête pour bannir la mort par des moyens matériels. " Effrayant ", écrit Shelley à propos du monstre dans l’introduction, " suprêmement effrayant serait l’effet de n’importe quel effort humain pour ridiculiser le mécanisme stupéfiant du Créateur du monde ". Le sous-titre de Frankenstein est Un Prométhée Moderne, et la pensée de Shelley est assez claire. Prométhée, dans la mythologie, paie un lourd tribut pour avoir apporté aux hommes le pouvoir technologique des Dieux.

 

Il fallut un peu de temps à la vision de Shelley pour pénétrer les récits fictionnels de renaissance ou de résurrection des morts. Et spécialement au début, on pouvait trouver des opinions contradictoires. L’histoire d’Edgar Allan Poe " Petite Discussion avec une Momie ", en 1845, dépeignant le retour à la vie d’une ancienne momie, par le biais de la galvanisation, est un commentaire social ironique, surtout concerné par l’attaque et la satire de la vanité de son époque. En même temps cependant, elle offre l’espoir que le rationnel progrès scientifique dans l’art de la réanimation sera un jour mené à bien. Dans l’histoire, les anciens égyptiens de Poe avaient perfectionné l’animation en suspens, et l’utilisaient pour voyager rapidement à travers le temps, à leur convenance, comme des touristes et des historiens. Ainsi cette nouvelle serait la première pièce de fiction à traiter précocement le voyage dans le temps et la résurrection dans une optique positive.

 

Petite discussion avec une momie fait écho au précoce optimisme pré-Shelley des idées de Benjamin Franklin sur le sujet (pour la lettre souvent citée de Franklin à Jacques DuBorg, voir Drexler’s Engines of Creation, et aussi Cryonics Janv. 1991 p.10). Les lecteurs se souviendront que Franklin souhaite, dans une lettre de 1773, être embaumé pour être préservé " avec quelques amis " afin de voir ce qu’il adviendrait des Etats-Unis dans des premiers hommes (avec le Dr John Hunter, voir Cryonics Nov 1990 p.12) à spéculer sur les merveilles de voir le futur en utilisant la biostase, mais il est aussi le premier à prévoir qu’un tel voyage inspirerait inévitablement une personne à vouloir prendre quelques unes de ses relations sociales avec elle. La question de la solitude du voyageur dans le temps est destinée à être soulevée encore et encore. L’histoire de Poe et les opinions personnelles d’Hunter et de Franklin contrastent avec la plus commune et la plus aliénante tradition concernant le voyage dans le temps de simples individus. C’est un genre dont on peut peut-être dire qu’il commence avec l’histoire sombre et poignante de Washington Irving à propos du long sommeil solitaire de Rip Van Winkle (1820) et qui sera plus tard exploré par H.G. Wells (La Machine à explorer le temps (1895), Quand le dormeur s’éveille...).*

 

*(note) Il y a quelques exemples de SF dans lesquels des individus n’ont pas de problème à s’adapter au futur (Buck Rogers), et aussi des histoires dans lesquelles même un groupe de voyageurs dans le futur trouvent l’aliénation intolérable. Ces dernières comprennent le film d’Ib Melchior " Les voyageurs du temps " (1964), et le feuilleton de Rod Serling " La Planète des Singes ". Une histoire qui influença très tôt dans ce domaine et " Far Centaurus " (1944) d’A.E. Van Vogt, dans laquelle un groupe d’astronautes fait le premier voyage en fusée durant des siècles vers Alpha du Centaure par le biais d’une animation suspendue. Tout ça pour découvrir avec déception à l’arrivé que la civilisation humaine les attend là-bas, les ayant précédés dans leur destination grâce à une nouvelle propulsion plus rapide que la lumière. Pire encore, les astronautes découvrent avec horreur que les gens du futur ont des métabolismes différents, et qu’ils (les astronautes) sont en conséquence considérés comme ayant une odeur corporelle insupportable. Dès lors, les astronautes sont donc condamnés à être pour toujours exclus de la société. Finalement, il ne leur reste rien d’autre à faire qu’à tenter de repartir, en cherchant une méthode de voyage dans le temps en arrière (cf. " La Porte vers l’Eté " de Heinlein 1957), seul moyen pour pouvoir rentrer chez eux. Fin de la note.

 

L’autre constatation de Poe à propos de l’essai de passer outre les effets immédiats de la mort, écrite en même temps que l’histoire éclairante de la momie, est plus typiquement macabre. Ici, nous n’avons pas de résurrection, mais nous avons une sorte de suspension, si ce n’est une cryogénie. Dans " La Vérité sur le Cas de M. Valdemar " (1845), un Français nommé Valdemar meurt pendant qu’il est dans une profonde transe hypnotique. La transe est à ce point profonde que, bien que les battements du coeur et la respiration aient cessé, la langue de Valdemar peut obéir si on lui commande de parler. (" Je dormais, mais maintenant je suis mort ", déclare-t-il dans une des plus célèbres lignes de la littérature d’horreur). L’état d’animation en suspens dure pendant sept mois dans le récit de Poe, avec ce corps décédé (excepté la langue qui bouge horriblement) enfermé dans la rigidité cadavérique, mais fondamentalement inchangé. Finalement, les expérimentateurs décident imprudemment d’arrêter la transe, et M. Valdemar se change en quelques secondes en une masse de putréfaction " presque liquide ".

 

Dans le délabrement différé et extraordinairement rapide du sujet sorti de l’hypnotisme de Poe, nous reconnaissons le dénouement traditionnel des vampires tués par un pieu, ces autres êtres mythiques qui échappent à la mortalité ordinaire. Comme dans " Elle " de M.Rider Haggard, " Le Portrait de Dorian Gray " d’Oscar Wilde et " Horizon Perdu " de James Hilton, le ralentissement ou l’arrêt du processus naturel de vieillissement et de mort se comparent souvent dans la fiction à la facture d’une sorte de carte de crédit cosmique qui pourrait devenir exigible d’un seul coup, avec des conséquences affreuses. De telles histoires suggèrent un héritage psychologique culturel dont les idées sont que la mort et la déchéance sont comme des forces inévitables qui, à l’instar de quelque flux naturel mis en bouteille, sont aptes à produire des résultats explosifs et terribles si elles sont mises en suspens même temporairement.

 

Bien sûr, cette sorte de dette directe ne s’accroît pas pour le premier monstre de Shelley, qui ne vieillit pas. Dans Frankenstein, plutôt, le prix que le monstre paie pour sa vie artificielle est l’ostracisme social (c’est affreusement dégoûtant). Personne intelligente, avec des sentiments délicats, dans le récit original de Shelley, le monstre souffre de la négligence et de l’abandon de son seul " parent " - son créateur. (Shelley elle-même n’avait qu’un parent, un père, qui était distant). Alors selon Shelley, l’aliénation est l’autre prix que les personnages fictifs ramenés à la vie scientifiquement ont inévitablement payé. C’est la perspective de l’aliénation, cousine germaine de celle de l’immortalité, qui semble avoir été tirée avec peu d’assurance du brillant Ben Franklin quand, le premier, il considéra l’animation suspendue il y a plus de deux siècles. C’est un thème sur lequel nous reviendrons.

 

Longtemps après Shelley et Poe, les terreurs d’une mauvaise résurrection hantèrent la conscience américaine dans des histoires comme celle de W.W. Jacob " La patte du singe " (1902). Plus tard, mais encore bien avant le " Simetierre " de Stephen King, le thème de Frankenstein était déjà de nouveau repris par un américain, héritier de la littérature de Poe: l’auteur fantastique du début du XXèmesiècle H.P. Lovecraft.

Lovecraft, probablement, se préoccupa plus qu’un petit peu de l’idée que nous connaissons actuellement sous le nom de " cryogénie ", c’est un personnage intéressant pour les cryogénistes. Nous allons donc passer à Lovecraft et à quelques unes de ses opinions pour le restant de l’essai.

 

Dragon