Les Mondes Perdus

 

     comme u

 

Retour aux sources, donc, avec un examen impitoyable par Christophe Thill du livre fondateur du mythe

 

James Churchward, Mu, le continent perdu, 
J'ai Lu, coll. " L'aventure mystérieuse ", 1969 (1ère éd. 1926)

   

 

 

 

 

 à peine modifiée. Bref, où qu’il tourne son regard dans l’espace, aussi loin qu’il le fasse remonter dans le temps, Churchward ne voit qu’une chose : Mu, source unique des traditions et des croyances des hommes.Enfin, le dernier chapitre, intitulé “ Oméga – La clef de voûte ”, dévoile l’opinion de l’auteur en ce qui concerne le destin de l’humanité. Pour lui, comme on l’a vu, l’Homme est apparu sur Mu au cours de l’ère tertiaire. Pour expliquer cette datation peu compatible avec les données de la paléontologie, Churchward explique que “ l’Homme était une création spéciale et non l’œuvre de la Nature. Il est apparu parfaitement développé ; il ne lui manquait que l’éducation physique et mentale. ” Autrement dit, l’Homme ne “ descend ” pas du singe, selon la formule consacrée, mais il a été créé doté de toutes ses caractéristiques actuelles alors que l’évolution normale des primates en était à peu près à l’australopithèque. À quelle période ? La question est futile, dit l’auteur, car “ cela a toujours été un secret et doit le demeurer ”. Quoi qu’il en soit, l’Homme, seul de tous les animaux, a été pourvu d’une âme qui doit lui permettre de régner sur la Terre puis, lorsqu’il sera assez savant et assez sage, de s’élever jusqu’à la divinité. Tel est son destin ultime, ordonné par une loi divine et qui, “ puisqu’elle est divine, ne peut échouer. ”  Il est bien sûr assez décevant de passer d’une enquête archéologique mondiale, même extravagante, à une conclusion marquée par la religiosité la plus conventionnelle. Bien entendu, cette dernière partie n’a guère été retenue par les écrivains fantastiques qui se sont appropriés les “ découvertes ” de Churchward. Ainsi “ Surgi du fond des siècles ”[3] de H. P. Lovecraft raconte la confrontation d’un prêtre muvien avec une entité démoniaque demeurant au sommet d’une montagne, la découverte de la momie du prêtre dans les années 1930 et les événements causés par son exposition dans un musée de Boston.
Dans “ Bothon ”[4], développé par Lovecraft sur une idée de base de Henry St Clair Whitehead, un homme d’aujourd’hui devient capable, suite à un coup sur la tête, d’entendre, puis de revivre les événements ayant précédé la submersion de Mu.

   

  Churchward lui-même est mentionné dans “ À travers les portes de la clé d’argent ” : un des personnages déclare avoir montré un certain parchemin au colonel, qui lui avait répondu que le document n’était pas écrit en Naacal. Clark Ashton Smith, lui, montre dans “ Une Offrande à la lune ”[5] les ombres du passé qui viennent s’emparer de deux archéologues jusqu’à leur faire tenir, à l’un le rôle de l’officiant, à l’autre celui de la victime, dans un sacrifice à une divinité muvienne. Plus récemment, “ Le Retour des Lloigors ”[6] de Colin Wilson entremêle les allusions à Arthur Machen, au mystérieux manuscrit Voynich (ici considéré comme un exemplaire du Necronomicon) et à Mu dans une histoire de survivance d’êtres semi-matériels capable de prendre le contrôle des humains.

Bien sûr, le raisonnement suivi par Churchward peut sembler déroutant ; et il est assez distrayant de voir cet homme, à la culture scientifique visiblement rudimentaire, accumuler les “ preuves irréfutables ” et prendre à partie la science “ officielle ” avec une arrogance peu commune. Il faut avouer qu’il marque parfois des points, comme lorsqu’il s’attaque à un dogme de l’anthropologie des années 20, l’origine de l’Homme en Asie centrale, que les découvertes ultérieures se sont chargées de mettre à mal[7]
Par contre, le lecteur reste abasourdi en le voyant décrypter haut la main bas-reliefs et hiéroglyphes, et les traduire sans hésiter en langage ordinaire comme s’il s’agissait d’un véritable alphabet. Malgré ses affirmations, jamais les dessins gravés sur les tablettes de bois de l’île de Pâques n’ont pu être interprétés comme une écriture[8] ; quant au Codex
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Suite

Mu

 

[3] Dans L’Horreur dans le musée et autres révisions (Pocket). Nouvelle publiée sous la signature de Hazel Heald.

[4] Dans L’Horreur dans le musée et autres révisions (Pocket).

 

 

[5] Dans Autres Dimensions (Christian Bourgois).

[6] Dans Légendes du Mythe de Cthulhu (Pocket).

[7] Les célèbres expéditions des années 20 dans le désert de Gobi, menée par Roy Chapman Andrews, ont ramené de superbes œufs de dinosaures fossilisés, mais pas un seul vestige humain, alors que quelque dix ans plus tard commençaient les premières grandes découvertes dans le véritable berceau de l’humanité : l’Afrique de l’est.

[8] Voir Alfred Métraux, L’Île de Pâques (Gallimard).