par H. P. Lovecraft & J. F. Hartmann

Depuis que l'astrologie courante contemporaine est tout simplement du charlatanisme qui cherche à escroquer l'ignorant en usant d'un charabia grossier sciemment mensonger, son clan peut très facilement être réduit au silence par les autorités compétentes. Durant les quelques centaines d'années précédentes, le gouvernement des Etats-Unis s'est débarrassé de ces impudents charlatans par le biais d'inspecteurs aux efforts diligents.

Beaucoup plus difficile, cependant, est le trafic de l'honnête minorité des prophètes qui observent les étoiles, qui croit à l'heure actuelle en ses ridicules enseignements personnels, et qui peut là placer ses fallacieux arguments avec la force convaincante d'un enthousiasme authentique encore que mal placé.

A cette dernière catégorie appartient notre distingué auteur et astrologue local, Mr. J. F. Hartmann, dont une longue et laborieuse lettre pour la défense de ses convictions paraît dans l'Evening News du 7 octobre. Mr. Hartmann n'est rien de moins que sincère. Il est bien évidemment un passionné aveuglément fanatique de la science mensongère des cieux ; son récit en fait le plus dangereux ennemi de la connaissance, puisqu'il semble avoir de l'estime pour sa faute qui est d'étaler la pernicieuse superstition qu'il possède lui-même si innocemment.

Dans une lettre récente, Mr. Hartmann dit ce qu'il n'a pas dit auparavant, et j'ai pris note de la plausibilité superficielle de quelques efforts de raisonnement. A ce point-là,, je me sens obligé de commenter un peu plus en profondeur l'un des fondements maintes fois répété de ces arguments : la prétendue ignorance de l'astrologie par les astronomes.

Mr. Hartmann se trompe gravement lorsqu'il nie que les astronomes puissent prouver le mensonge de l'astrologie. L'Astronomie enquête sur chaque force et chaque influence exercées par les différents corps de l'espace les uns sur les autres, en mesurant avec le plus grand soin et la plus grande exactitude leur plus infime manifestation d'énergie. Aucune de leur considérables influences ne peut valablement échapper à l'attention des astronomes, car ils s'adonnent à leur sujet sous chaque angle, et exploitent avec l'énergie la plus passionnée chacun des principes qui peuvent aider à découvrir une réelle information. Les vrais observateurs, en comparant les mouvements de ces corps célestes, avec les races variées de l'humanité, n'ont jamais trouvé trace de l'évidence d'un lien entre les deux, ni découvert quelque raison d'un tel fait.

L'Astrologie est réellement entièrement basée sur les mouvements célestes visibles, lesquels, comme je l'ai indiqué dans ma précédente lettre, sont le simple résultat de la vision depuis l'un des points de notre frêle planète que nous nommons Terre. Aucun savant rationaliste et sans parti-pris ne pourrait, à aucun moment, tolérer ainsi que la " science " demeure non vérifiée. Je n'ai pas besoin des " manuels d'astrologie " que Mr. Hartmann me recommande, pour ressentir cet " absolu non fondé ". Mr. Hartmann semble lui-même posséder, à juste titre, ces caractéristiques d'intelligence qu'il déplore chez les autres. Il est certainement sectaire dans sa croyance en l'astrologie, et n'a pas, à l'évidence, étudié davantage l'astronomie que les astronomes qu'il censure n'ont étudié l'astrologie. Un simple cours d'astronomie suffirait à anéantir ses idées moyenâgeuses.

Parfaitement ridicule serait l'état de l'astronome impartial qui se serait converti à l'Astrologie s'il avait étudié cette matière. Il est plus correct de dire qu'aucun astronome, instruit correctement et sans parti-pris, abandonnerait rapidement ces notions de superstitions. Peut-être Mr. Hartmann a-t-il oublié que le grand astronome danois Tycho Brahe, qui avait tout d'abord cru, sincèrement et avec enthousiasme, à l'Astrologie, fut convaincu de ses mensonges après qu'il eut étudié durement pendant vingt années. 44. Ou que l'éminent philosophe français Gassendi a fouillé très profondément le savoir astrologique avant de le rejeté, écœuré. 45

Nous avons besoin de commentaires, mais nous avons peu à faire des prophéties de Mr. Hartmann, qu'il cite d'après l'almanach de Raphael. Bien que la coïncidence au sujet du Titanic soit intéressante, le caractère ambigu des prédictions est évident. Le professeur George Lyman Kitteredge, de l'université d'Harvard, donne des exemples similaires, tirés de la publication Zadkiel, dans son passionnant ouvrage intitulé The Old Farmer and His Almanack.46

En réponse à l'un de mes arguments, Mr. Hartmann dit : " Comment pouvez-vous savoir que les Oracles de Delphes étaient vagues et ambigus ? ". Mon interrogateur devrait se lancer dans quelques recherches classiques élémentaires.

Comme test suprême de sa pseudo-science, Mr. Hartmann me demande par quelle sorte d'évidente vérité je pourrais me considérer convaincu. Je pourrai lui demander selon quels principes les destins variés et complexes des hommes peuvent être reliés avec les positions visibles des corps immensément éloignés, qui se meuvent tous en accord avec des lois mécaniques régulières, et n'exercent, à l'exception de la gravitation, aucune influence perceptible sur la terre. Je pourrai lui demander la nature de la puissante et mystérieuse force céleste qui, déclare-t-il, conditionnent nos actes et nos destinées, et d'expliquer pourquoi quelques excentriques sophistes affirment leur capacité à détecter et à étudier sans instruments différentes sortes d'énergies qu'aucun autre scientifique n'a encore relevées avec les appareils les plus élaborés et les plus précis. Mais ce serait accorder beaucoup trop de respect à un méprisable charlatan que de considérer sérieusement ces questions.

Le sinistre effet de l'Astrologie sur la réputation de l'Astronomie est si manifeste que Mr. Hartmann en parle de loin. Récemment, un homme qui avait lu mes articles sur l'astronomie, me demandait " si je n'avais pas tiré, ou calculé des horoscopes ! " Il n'est guère plaisant pour un observateur sérieux des cieux d'être pris pour un voyant insignifiant.

Je ne chercherai pas à persécuter Mr. Hartmann et son art mensonger. L'Astrologie prospère sur la persécution, comme Juvénal l'écrivait dans sa Sixième Satire 47 : " Nemo mathématicus genium indemnatus habebit. " 48 Mon seul but est de mettre en garde les lecteurs contre ces erreurs anciennes et obsolètes qui de temps à autre refont surface, comme des spectres hostiles surgiraient de leurs tombes.

L'Astrologie est l'héritage de l'ignorance préhistorique. Depuis que nos primitifs ancêtres ont dit que le mouvement du soleil à travers le Zodiaque influençait leurs actes du fait des changement de saisons, ou que les mouvements et les phases de la lune affectaient leurs occupations nocturnes par suite de l'alternance de la clarté et de l'obscurité, ils ont cru qu'eux-mêmes étaient sous le contrôle direct de ces corps. Depuis que certaines étoiles sont visibles à certaines saisons, annonçant à l'évidence certains événements périodiques comme la crue du Nil ou les pluies automnales, l'homme ignorant tout de l'antiquité éloignée a assez facilement cru, de manière erronée, que toutes sortes d'événements étaient prédits par les lanternes du ciel. Alors, les anciens en vinrent à chercher, pour tous les phénomènes de la terre, des explications en rapport avec ceux des cieux, à assigner, de manière arbitraire, une cause céleste à tout événement terrestre. Naturellement, leur religion interféra avec leur schéma astrologique, et chaque dieu gouvernant s'identifia à quelque " gouvernant " particulier de la planète. D'où notre actuelle nomenclature planétaire.

Depuis l'origine des temps, il est difficile d'expliquer la prédominance des croyances en astrologie des époques anciennes et médiévales, ou, sur un autre plan, de constater que beaucoup de notions peuvent ainsi survivre à notre époque scientifique.

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44. Tycho Brahe (1546-1601) fut au service de Frédéric II du Danemark (1534-1588) comme astrologue et concepteur d'almanach, en 1576.

45. Pierre Gassendi (1592-1655) écrivit, inter alia (en latin dans le texte. NdT), une biographie de Tycho Brahe.

46. Kittredge (1860-1941), historien célèbre et érudit en littérature, a également écrit " Cotton Mather's Scientific Communications to the Royal Society " (1916), " Notes on Withcraft " (1907) et avec beaucoup d'autres travaux , The Old Farmer and His Almanack en 1904.

47. Le passage renvoie à : " Aujourd'hui, aucun astrologue ne peut être cru à moins qu'il n'ait été emprisonné dans quelque camp éloigné, chaînes aux bras ; personne ne croit à sa puissance à moins qu'il n'ait été condamné à mourir. " Juvenal, Satire VI, 11, 562-63.

48. En latin dans le texte.(NdT)