Les Révélations de Glaaki

Retour à la Société Théosophique maintenant, avec la suite (et la fin) de l'article d'Adam Possamaï.


III - Histoire de la fondation de la Société Théosophique (ST).

1 - Le paysage théosophique pré-ST.

D'aussi loin que l'on puisse remonter avec certitude, le premier philosophe [1] qui ait eu réellement tenté d'établir une "sagesse divine" complexe par le syncrétisme des croyances archaïques fut Ammonius Saccas (le Porte-sac), créateur, au IIIème siècle, de l'école néo-platonicienne [2] dite théosophique. Ses disciples se donnaient le nom de philalèthéiens, "amants de la vérité". Par des méthodes comparatives, ils étudiaient les légendes sacrées, les mythes, les symboles et les mystères.
Le but que se proposait Saccas était de réconcilier toutes les métaphysiques, toutes les religions, toutes les croyances, en démontrant à leurs adeptes qu'elles avaient un fond commun exprimant des aspirations universelles. Ces théories obtinrent beaucoup de succès, et on vit s'établir de nombreuses et célèbres écoles éclectiques de théosophie où l'on enseigna les principes de toutes les religions connues, y compris les principes bouddhiques, védantins et zoroastriens.
Ces écoles théosophiques ont apparemment eu une influence considérable. Elles contribuèrent à développer les idées de fraternité et de respect des vieillards. Elles firent naître un sentiment de compassion pour les malheureux, pour les faibles, et même pour les animaux.
Ces écoles établirent, dans une religion-sagesse ésoterique, les principes de la divinité en l'homme. Elles crurent les discerner dans le Bouddha indien, le Nébo babylonien, le Toth de Memphis et l'Hermès de Grèce.

En 323, Constantin demanda la réunion du Concile de Nicée pour fixer les dogmes chrétiens. Le catholicisme se fit religion, et combattit certains mouvements ésoteriques. Ainsi ceux-ci, dont la théosophie, furent poursuivis comme hérésies, comme sorcelleries ou comme insurrections.
Certains philosophes essayèrent de rétablir leur Révélation authentique et se groupèrent en sociétés secrètes. Ils pratiquèrent des "recherches occultes", qui avaient souvent pour but de découvrir les moyens de guérir les maladies du corps et de l'âme, et parfois même celui d'entrevoir les secrets de l'immortalité.
Simmel fait remarquer que "d'une manière tout à fait générale, la société secrète apparaît partout comme un corrélat du despotisme et des interdictions policières, pour se protéger de manière défensive aussi bien qu'offensive contre la violence écrasante des pouvoirs centraux; et pas seulement celle du pouvoir politique, mais aussi à l'intérieur de l'Eglise, de l'Etat, de l'école et de la famille" .
[3] Celles-ci sont persécutées parce qu'il est rare que l'homme ait une attitude tranquille et rationnelle à l'égard de ce qu'il connait peu ou mal. "Son comportement est partagé entre la légèreté -traiter l'inconnu comme s'il n'existait pas- et l'angoisse délirante -le gonfler pour en faire une masse énorme de dangers effroyables. C'est ainsi que la société secrète semble dangereuse, simplement parce qu'elle est secrète" . [4]
Ainsi, la théosophie, comme philosophie mystique (même si celle-ci s'est fortement christianisée et désorientalisée), mit mal à l'aise les autorités écclésiastiques et le pouvoir politique. Les réactions des autorités aboutirent à susciter chez les adeptes une attitude de discrétion, un goût du secret et la formation de réseaux d'échanges peu structurés.

De la Renaissance au XIXème siècle, la théosophie consista à faire passer dans l'écriture une expérience qui, par nature, se passe hors du temps et s'exprime en visions.
De nombreux auteurs furent classés comme théosophes. Certains furent catholiques, d'autres protestants et beaucoup furent francs-maçons.

Il y eut Jacob Boehme (1575-1624): sa théosophie comporta une philosophie de la nature, concevant celle-ci comme essentiellement divine et céleste. Agriculteur et cordonnier, il ne tarda pas à se révéler comme un esprit hors du commun et comme un homme d'une grande érudition en dépit de ses humbles origines. En 1612, animé de visions mystiques, il écrivit son premier livre, "L'aurore à son lever", et, en 1624, un traité contre les luthériens "Le chemin menant au Christ". Son oeuvre très prolifique ne fut publiée qu'après sa mort. Il y avait selon lui, communication intérieure avec Dieu et la nature.
Le suédois Emmanuel Swedenborg (1688-1772) développa une science des correspondances. Il était fils d'un évêque luthérien. Après avoir étudié et enseigné dans diverses universités d'Europe, il fut brusquement pris en 1743 de visions mystiques et abandonna ses occupations pour écrire. Pour lui, le Monde naturel correspondant au Monde spirituel, il y a moyen d'atteindre ce dernier.
Et Friedrich Oetinger (1702-1782), pasteur luthérien qui communiqua avec les esprits, fut également Naturphilosophe [5] et alchimiste. Il fut nourri de Boehme et de kabbale et se fit l'exégète de Swedenborg.

Un nouvel âge dans l'histoire de l'occultisme s'ouvrit dans la soirée du 31 mars 1848; cela se passa à Hydesville, ville du comté de Wayne, dans l'Etat de New-York. Les Fox, des presbytériens qui habitaient une "maison hantée", prétendirent être entrés en contact avec un fantôme et avoir pu soutenir avec lui une conversation au moyen de coups frappés sur les murs selon un alphabet convenu. Cette affaire provoqua des remous conséquents et les "esprits frappeurs" avaient envahi l'Amérique. A partir de ce moment, le spiritisme se répandit à travers le monde comme un déluge.
Savants, prêtres, magistrats et curieux affluèrent à Hydesville pour assister aux phénomènes. Ainsi devait naître le spiritisme, dont un médecin français, Hippolyte Rivail, dit Alain Kardec, allait jeter les bases dogmatiques et philosophiques. Ce phénomène connut un succès si immédiat qu'à peine six ans plus tard on comptait déjà aux Etats-Unis dix mille médiums, trois millions d'adeptes et une vingtaine de revues spécialisées. "Dans les années 1880, le sprititualisme est devenu un mouvement de culte bien développé, et, en 1893, le plus vieux et large groupe de spiritualiste, l'Association Nationale des spiritualistes, était formé à Chicago" .
Les histoires de fantômes furent (et sont) évidemment aussi vieilles que le monde, mais ce qui, en la circonstance, était différent, était cette possibilité de communiquer avec les esprits que le spiritisme offrait. Auparavant, le contact avec l'autre monde était réservé et/ou accaparé par une intelligentsia mystique et shamanique. Grâce au spiritisme s'est ouvert une époque de démocratisation de l'ésotérisme. La table est devenu un instrument de communication avec l'autre monde que tout le monde pouvait se procurer.
C'est dans cette ambiance, à la fois romantique et occultiste, qu'un dignitaire de la franc-maçonnerie des Etats-Unis, le colonel Olcott, qui enquêtait pour un journal américain sur une histoire de fantômes, fit la connaissance, en 1874, d'une clairvoyante russe nommée Héléna Petrovna Blavasky (HPB). De cette folie nécromancienne et de la rencontre entre ces deux personnes devaient naître la Société Théosophique (ST).

Les explications de cette rencontre suivront bientôt, mais d'abord, faisons un petit détour pour clarifier certaines choses.

2 - Réfutation: le théosophisme de Guénon.

Réné Guénon de par son imposant ouvrage: "Le théosophisme, histoire d'une pseudo-religion", se fait le principal critique de la Société théosophique et de ses origines. Pour comprendre sa tournure d'esprit, il nous faut rapporter que l'Esotérisme traditionnel de Réné Guénon, s'inspirant principalement de la tradition judéo-chrétienne et ismaélite, se situe à contre-courant du mythe du Progrès. Guénon fait le procès sévère d'un monde moderne engagé dans un processus destructeur de dégenérescence progressive et de matérialisme croissant. De par ses croyances, il se positionne contre la ST qui met en valeur le progrès "spirituel".
Philippe Bacq fait remarquer que "sous l'influence des découvertes astronomiques modernes et de la théorie darwinienne de l'évolution, la doctrine de la réincarnation devient une manière de penser le progrès indéfini de l'humanité" [7] . . Ainsi par exemple, dira Steiner : "ce que l'homme ne peut être en une incarnation, il doit le devenir en parcourant de nombreuses incarnations au cours de l'évolution de l'humanité et de ses civilisations. Remarquons-le bien, nous sommes aux antipodes de la perspective hindoue. La réincarnation n'est plus un fléau dont il convient de se libérer; elle épouse le désir de l'homme, elle est facteur de progrès" [9] . Par la ST, la théorie de la réincarnation s'est occidentalisée et symbiosée au concept de progrès, et s'est ainsi adaptée au monde moderne.
René Guénon, l'orthodoxe, le réactionnaire, le traditionnel et l'anti-Moderne, a codifié l'ésotérisme dans la perspective d'une Tradition primordiale qui aurait été révélée à l'origine du monde et transmise depuis lors sans altération par voie d'Initiation. Elle représenterait la Vérité intégrale, universelle, transcendante, la "métaphysique pure" supérieure à toutes les religions, qu'elle intègrerait dans une synthèse plus haute, et ne peut être souillée par les apports nouveaux du spiritisme et de la ST. L'ésotérisme "traditionnel" définirait le contenu et le mode de transmission de cette connaissance intégrale. Le propre paradigme de Guénon le pousse donc à écrire que "bien antérieurement à la création de la Société théosophique, le vocable de théosophie servait de dénominateur commun à des doctrines assez diverses, mais appartenant cependant toutes à un même type, ou du moins procédant d'un même ensemble de tendances; il convient donc de lui garder la signification qu'il a historiquement... Or l'organisation qui s'intitule actuellement "Société théosophique", ne relève d'aucune école qui se rattache, même indirectement, à quelque doctrine de ce genre; sa fondatrice, Mme Blavatsky, a pu avoir une connaissance plus ou moins complète des écrits de certains théosophes, notamment de Jacob Boehme, et y puiser des idées qu'elle incorpora à ses propres ouvrages avec une foule d'autres éléments de provenance diverse, mais c'est tout ce qu'il est possible d'admettre à cet égard" [10] . C'est pourquoi, Guénon tient à marquer la différence en ces termes: "...aussi ses membres ne sont-ils nullement des théosophes, mais ils sont, si l'on veut, des "théosophistes". Du reste, la distinction entre ces deux termes "theosophers" et "theosophists" est presque toujours faite en anglais, où le mot "theosophism" pour désigner la doctrine de cette Société, est aussi d'un usage courant; elle nous paraît assez importante pour qu'il soit nécessaire de la maintenir également en francais, malgré ce qu'elle peut y avoir d'inusitée, et c'est pourquoi nous avons tenu à donner avant tout les raisons pour lesquelles il y a là plus qu'une simple question de mots" [11] .
Dans l'Encyclopédie Universalis, Antoine Faivre argumente cette même distinction et écrit dans le dernier chapitre de son article que "Elle (la ST) déclare exposer la Tradition primordiale; mais bien entendu, il ne s'agit pas là d'un enseignement reflétant la théosophie judéo-chrétienne ou musulmane." Donc, parce que ce n'est pas de la théosophie judéo-chrétienne ou ismaélite, comme l'est l'Esotérisme traditionnel, cela ne peut être de la théosophie- Jean Vernette adopte également cette distinction dans son livre sur le New Age [12] . La raison de ceci est que les Guénonistes ne peuvent concevoir la théosophie tachée de bouddhisme et d'hindouisme. Qui plus est, la ST présente un aspect perçu comme anti-chrétien et se porte à contre courant de Guénon en raison de sa théorie de la réincarnation "progressive".


3 - La société théosophique.

Héléna Petrovna Blavatsky.

Elle est considérée par ses admirateurs comme la plus grande clairvoyante que le monde ait connu. Certains lui attribuèrent même des pouvoirs surnaturels. Par contre, ses nombreux détracteurs estimaient qu'elle était le plus bel exemple de charlatanisme et de mystification du siècle dernier. D'autres ont été jusqu'à mettre en doute ses capacités de prestidigitatrice et à prétendre que ses talents en la matière étaient, somme toute, plutôt médiocres.
H.P.B. naquit en Ukraine en 1831, fille du colonel von Rottenstern et de Héléna Fadeef, romancière. A dix-sept ans, elle épousa Nicephore Blavasky, gouverneur de la province d'Erivan, pour le quitter au bout de trois mois. Craignant que sa famille ne la contraignit à retourner auprès de son mari, elle s'embarqua sur un petit voilier anglais qui la mena à Constantinople. Après un séjour en Turquie, elle partit pour l'Egypte. C'est au pied du Sphinx qu'elle devait trouver son inspiration par ses premières initiations aux mystères d'Isis.
A partir d'ici, il est difficile de parler de Mme Blavatsky d'une façon tout à fait impartiale. Les avis sont très partagés et les passions, même à notre époque, restent violentes.
Il semble donc qu'elle ait voyagé à travers le monde: à Paris, elle se lia d'amitié avec des hypnotiseurs et y apprit les méthodes les plus récentes du magnétisme et de la suggestion; à Londres, elle mit en pratique sa science nouvelle; à la Nouvelle-Orleans, elle assista à des cérémonies vaudous; elle voyagea aux Indes et au Japon; à Jérusalem, elle s'initia au mysticisme juif, etc. Deux énigmes importantes tournèrent autour de ce personnage:
l) Un Hindou joua un rôle décisif dans l'oeuvre maîtresse de la théosophie moderne. Son nom: Kout Houmi Lal Sing, -"nom mystique tibétain"-, que l'on réduisit de manière ésoterique aux initiales K.H. Durant de longues années, K.H., le maître d'H.P.B., lui donna des instructions contenues dans des lettres qui parvenaient, à ce qu'il fut écrit dans la prose théosophique, soudainement dans ses poches ou volant dans les airs. Le plus étonnant, dans cette affaire, fut qu'à partir des premiers contacts avec "l'esprit K.H.", H.P.B. fit des progrès stupéfiants dans ses connaissances culturelles et scientifiques. On la vit entreprendre par lettres des discussions approfondies avec les meilleurs spécialistes sur les détails de la linguistique et sur les problèmes de la sémantique du sanskrit archaïque, alors qu'elle ignorait même l'alphabet sanskrit. Elle devint, comme par enchantement, "la femme la plus savante du monde entier". On donna deux explications à cette énigme: ou bien H.P.B. fut réellement inspirée de facon surnaturelle; ou bien K.H. était un savant hindou bien réel qui lui fournissait en secret les éléments dont elle avait besoin.
2) Le livre de Dzyan. H.P.B. disait avoir détenu ou lu "le plus vieux manuscrit du monde", écrit sur des feuilles de palmier rendues -par quelque procédé inconnu- inaltérables à l'eau, au feu et à l'air; ce manuscrit était rédigé en "Sen-zar, c'est-à dire dans la langue sacerdotale secrète, "sous la dictée des Etres Divins qui le révelèrent aux Fils de la Lumière dans l'Asie centrale".
Grâce à ses voyages dans les autres plans, elle aurait ramené la vérité sur l'univers entier. Ses voyages "spirituels" et le livre de Dzyan constitueraient ses sources d'inspiration majeures pour son livre culte: "La doctrine secrète".

Henry Steel Olcott

Il naquit le 2 août 1832 dans le New Jersey. Il fit des études qui le destinaient à l'agriculture scientifique avant que la guerre de Sécession ne l'amèna sous les drapeaux. Ce pacifiste ne porta pas de fusil et il ne dût son titre de colonel qu'à ses dons pour l'intendance. Après la guerre, ses talents de comptable et de procédurier le servirent pour ouvrir une étude d'avoué specialisée dans les affaires financières. En 1870, il était l'un des hommes les plus en vue de New York, et sa fortune passait pour assez considérable. A cette époque, les questions relatives au spiritisme faisaient, en Amérique, l'objet de toutes les conversations. Olcott, qui ne dédaignait pas la fréquentation des loges maçonniques, se passionnait pour les problèmes d'occultisme et de magie. Il rencontra au cours d'une séance spirite H.P.B., qui l'initia peu à peu aux mystères de l'Orient, à l'occultisme et au spiritisme. Une association anti-spirite en découla: Olcott était riche; H.P.B. avait la sapience de l'occulte. A eux deux, ils allaient tenter de rompre "l'oeuf primordial" pour accéder à la connaissance.
Il faut remarquer que "la ST est absolument anti-séance spirite, et que l'une des raisons de la fondation de la ST a été de lutter contre le spiritisme qui venait de naître et prenait une extension de plus en plus grande (...) Elle (HPB) a commencé par justifier les spirites en ce sens qu'elle a fait voir que ce n'était pas de la fraude, mais après elle a dû bien expliquer que tout cela n'était pas dû aux esprits des morts, mais à des esprits de la nature. Et que le spiritisme n'est au fond qu'une forme de nécromancie" [13] .

La société théosophique

Le 20 octobre 1875 fut fondée à New-York la sociéte dite "d'investigations spiritualistes". Le but initial était de réunir un groupe de chercheurs pour entreprendre l'étude systématique des théosophies antiques. Il fallait constituer un cercle de personnalités attirées par l'occultisme, fonder une bibliothèque savante et se mettre à une étude sérieuse des lois secrètes que semblaient avoir connues les Chaldéens et les Egyptiens. Olcott en prit la présidence, Blavatsky le secrétariat. Parmi les membres, on trouvait Q. Judge qui jouerait par après un rôle considérable dans la ST, et Charles Sotheran, un des hauts dignitaires de la Maçonnerie américaine. René Guénon, le pourfendeur de la ST écrivit que "dés le 17 novembre 1875, la société dont nous venons de parler, qui n'avait guère encore que deux semaines d'existence, fut changée en "Société Théososophique", sur la proposition de son trésorier, Henry J. Newton, un riche spirite qui ignorait certainement tout de la théosophie, mais à qui ce titre plaisait sans qu'il sut trop pourquoi. Ainsi, l'origine de cette dénomination est purement accidentelle, puisqu'elle ne fut adoptée que pour faire plaisir à un adhérent qu'on avait tout intéret à ménager à cause de sa grande fortune,..." [14] .
A l'origine, le nouveau groupe se comporta comme une quelconque réunion de spirites ou d'occultistes, cependant il apportait aux recherches un esprit méthodique et, dans une certaine mesure, scientifique. Expériences sur des médiums, conférences d'érudits, magnétisme, télépathie, tout lui paraissait intéressant. Peu à peu, il s'aménuisa et, finalement, on ne trouva plus sur la brèche que le colonel Olcott et H.P.B. que les membres de la ST se plaisent à considérer comme les véritables et seuls fondateurs de la Société Théosophique. Durant les trois années qui suivirent, les travaux de la Société Théosophique portèrent sur la rédaction du livre: "Isis dévoilée", ouvrage qui se vendit bien. Il mélangea les doctrines de la Kabbale, du bouddhisme, des écritures hindoues et taoistes, de Pythagore et d'Agrippa. Quant aux réunions de la Société, elles consistaient surtout à lire les manuscrits, à invoquer les Mahatmas et à discuter de l'enseignement reçu. Cependant, la Société, peu encouragée par ces exercices abstraits, périclitait en occident malgré la création d'un petit noyau théosophique à Londres et malgré une correspondance internationale assez suivie. Par contre, aux Indes et à Ceylan, les adeptes augmentaient en nombre et ne cessaient d'écrire aux fondateurs pour leur prodiguer remerciements et encouragements. En 1878, Olcott et H.P.B. partirent pour l'Inde. En 1882, grâce aux subsides de Princes et à une souscription, les fondateurs purent acquérir à Adyar, près de Madras en Inde, une propriété qui fut (et reste encore) le centre mondial de la Société Théosophique.
H.P.B. acceptant difficilement le rapport de la Société pour la recherche psychique, déclarant en 1885 qu'elle était "un imposteur parmi les plus parfaits, les plus ingénus, les plus intéressants de tous les temps"
[15] , décida de regagner l'Europe et d'écrire son second ouvrage: "La doctrine secrète", qui clarifierait certains points obscurs de son "Isis dévoilée". Pierre A. Riffard qualifie ce livre de "monceau de connaissances étrangement présentées et de révélations bizarrement assemblées, sur deux mille cinq cents pages" [16] , les membres de la ST y voient dans ce livre une méthode pédagogique pour instruire les lecteurs dans ce labyrinthe spirituel.
H.P.B. mourut le 8 mai 1891, dans sa soixantième année.
Le colonel Olcott, par contre, était resté aux Indes, et aidé par un état-major d'Hindous, préparait et hâtait la libération des Indes et de toute l'Asie. Après le départ d'H.P.B., il versa à fond dans le bouddhisme, et il se mit à parcourir l'Asie, allant jusqu'au Japon, pour "réveiller les foules endormies". Le colonel mena sa "mission" avec acharnement jusqu'à la fin de sa vie, le 17 février 1907.

Annie Besant (1847-1933)

Elle fut l'autre grande figure de la ST. Elle lutta d'abord pour l'athéisme en militant dans une société laïque nationale. Elle combattit ensuite pour la limitation des naissances. Elle défendit le socialisme matérialiste. Elle prit fait et cause pour le féminisme en dirigeant la grève des allumettières en 1888. Coup d'éclat (ou conversion-): en 1889, elle embrassa la ST. Elle écrivit près de cent livres, elle milita pour la libération des Indes et soutint le mouvement nationaliste. Elle créa également la première école de filles hindoues.

IV - La progéniture de la ST
ou
Le chat est parti, les souris se mettent en dissidence.


"L'histoire des branches de la ST après la mort de sa fondatrice est complexe" [17] . Les principales branches dissidentes ou en scission de la ST sont parfois citées dans les ouvrages, mais les instigations ne sont pas poussées au point de constituer un arbre généalogique détaillé. C'est pourquoi, nous nous sommes ici, principalement attelé à dénombrer les groupes qui se sont mis hors de la tutelle de la S.T. d'Adyar. Ils sont nombreux et parfois centralisés dans un pays ou une ville. La liste qui suit, est inspirée de mouvements "importants" et internationaux, et de ceux qui touchent la Belgique. Certains mouvements ont eu des affinités avec d'autres doctrines que celle de la ST (groupes d'occultisme tel que la "Golden Dawn", par exemple), mais je restreins cet article à son thème: la ST.
Lors d'une entrevue, un membre de la ST a conclu que "la ST a donné l'enseignement et ils l'ont tous repris en l'amalgamant avec toute sorte d'autres choses. Sincèrement, on ne peut appeler cela des mouvements dissidents parce qu'on doit dire que ce sont des gens qui désiraient avoir la première place quelque part, qui avaient des idées propres. Ils en ont donc profité pour faire leur propre mouvement, en y injectant beaucoup de théosophie. Ils reprennent la même terminologie qui a été créée par les auteurs théosophiques, et qui n'existait pas en occident avant" [18] . Le regard porté sur les dissidents semble être d'une même trempe que celui de Guénon sur la ST.

1) La Société Théosophique d'Amérique
[19].

Aussitôt après la mort de Mme Blavatsky, le 8 mai 1891, un violent débat s'éleva entre Olcott (président de la Société), Judge (avocat éminent de New-York) et Mme Besant, chacun responsable, respectivement, de la section asiatique, américaine et européenne. Ils prétendirent tous les trois à sa succession, et chacun, pour appuyer sa légitimité charismatique, se déclara en communication directe avec les "Mahatmas".
Olcott conserva sa place de président, mais les deux héritiers du titre, Besant et Judge, se battaient. En février 1894, Besant porta des accusations contre Judge, et l'assigna devant un "Comité judiciaire" formé par des membres de la ST. Suite à ceci, Judge voulut destituer Mme Besant, mais il ne fut suivi que par une partie des membres de la section américaine; en revanche, il fut plus que jamais accusé d'imposture par les partisans de Besant. Enfin, le 27 avril 1895, les adeptes de Judge se séparèrent entièrement de la Société d'Adyar pour constituer une organisation indépendante sous

le titre de "Société Théosophique d'Amerique" (S.T.A.). Olcott avait simplement pris acte de la "sécession" et annulé les chartes des branches américaines dissidentes, puis réorganisé, avec les éléments qui n'avaient pas suivi Judge, une nouvelle section américaine, ayant pour secrétaire général Alexander Fullerton. Des éléments de la section européenne et indienne se joignirent aux dissidents.
Entretemps, Besant prit la direction de la Société Théosophique lorsque Olcott l'abandonna officiellement en sa faveur.
Par après à la S.T.A., le 21 mars 1896, Judge décéda, et en l'absence de toute directive écrite de sa main, des membres influents déclarèrent que "Judge a designé un succeseur "occulte" pour prendre la tête du mouvement". Mme Tingley se constitua comme leader et éveilla l'enthousiasme par la prochaine révélation de secrets occultes qui devaient surprendre les membres. Les agissements de ce "chef" ne semblèrent point répondre à certaines espérances et Mme Tingley fut vite denoncée par un haut responsable: E.T. Hargrove. Ce dernier réforma, avec plusieurs dizaines de membres une ST "originale" à New-York. Peu après sa mort, en 1939, son mouvement le suivit dans sa tombe. D'autres groupes réclamèrent également leur indépendance, prennant goût au schisme de leurs leaders, mais ne furent qu'un faible nombre et ce dans une trame temporelle faible: La ST de New-York et le "Temple du peuple".
La S.T.A. quant à elle est toujours d'actualité.


2) L'Ordo Templis Orientis (O.T.O.).

L'"Ordre du Temple d'Orient" fut créé en 1902 par Karl Kellner, Franz Hartmann et Théodor Reuss. Le premier était un Viennois qui avait beaucoup voyagé en Orient et aurait été initié aux techniques tantriques. Hartmann, allemand d'origine, était membre de la ST. Reuss, lui, était un dignitaire d'une des branches les plus occultes de la franc-maçonnerie.
Selon ses adeptes, l'O.T.O., détint la connaissance secrète des moyens de se libérer de l'esclavage de l'instinct. De nombreuses pratiques remontèrent directement au tantrisme hindou et au bouddhisme tantrique. Les enseignements dispensés dans le secret le plus absolu reposèrent en grande partie sur les mystères profonds du sexe.
C'est dans la loge Californienne, dirigée avec succès jusqu'à la fin des années cinquante que Ron Hubbard, plus tard fondateur de l'Eglise de scientologie, y accomplit ses débuts dans l'occultisme.

3) La Loge Unie des Théosophes [20] .

De par la division des sociétés théosophiques depuis la mort de H.P.B., en 1909, un groupe de théosophes, dirigés par Robert Crosbie fonda la Loge Unie des Théosophes qui "professe un dévouement indépendant à la Cause de la Théosophie sans s'attacher à aucune organisation théosophique". Cette loge resta (et reste) fidèle aux fondateurs par un attachement orthodoxe et ne s'occupa pas des dissensions ou des divergences d'opinion individuelle.
"Le travail qui lui incombe et le but qu'elle poursuit sont trop absorbants et trop élevés pour lui laisser le temps ou le désir de prendre part à d'autres activités. Ce travail et ce but consistent à propager les Principes fondamentaux de la Philosophie de la Théosophie, et à donner l'exemple de la mise en pratique de ces Principes, par une réalisation plus vraie du SOI, par une conviction plus profonde de la Fraternité Universelle.
Elle déclare que la Base d'Union inattaquable de tous les Théosophes, quel que soit le lieu où ils resident, et quelle que soit leur situation, est "L'identité de but, d'intention et d'enseignement". C'est pourquoi elle n'a ni constitution, ni status, ni chefs, le seul lien entre ses associés étant cette base. Et elle vise à répandre cette idée parmi les théosophes, pour progresser vers l'unité" [21] .

4) Max Heindel (1865-1919) [22] .

S'étant établi à Los Angeles en 1903, Max Heindel adhéra tout d'abord à la ST. En 1907, il rencontra à Berlin un frère majeur de l'orde Rose-Croix [23] . De retour en Amérique, Heindel fonda son propre groupe qui porta le nom d'Association rosicrucienne d'Oceanside . En 1920, un temple rosicrucien fut construit et fut destiné à mettre à disposition des moyens puissants de guérison. Les enseignements de l'Oceanside [24] , dispensés par correspondance, portèrent sur la philosophie, l'astrologie et la Bible. Il y fut également usage de pratiquer la concentration mentale matin et soir, et de former des chaînes thérapeutiques qui se consacrèrent à la guérison des malades.

5) George R.S. Mead: La Quest Society.

Mead, un fervent allié de Besant à l'époque de la S.T.A., décida plus tard de la quitter pour former la "Quest Society". Cette société fit des études comparatives sur les religions et des recherches sur le psychisme. Sa revue "Quest" fut largement diffusée de 1909 à 1930. Mead mourut en 1934.
Depuis quelques années la revue "The quest" fait parler d'elle, mais est éditée par la section américaine de la ST internationnale. Est-ce la suite du travail de Mead ou un plagiat du nom-

6) Rudolf Steiner (1861-1925): l'anthroposophie [25] .

Il naquit en Autriche le 27 février 1861. Ayant réussi ses examens, Steiner fut admis à entrer à l'Ecole supérieure technique de Vienne. En même temps, il fréquenta l'université où il suivit attentivement les cours de philosophie. Pendant une dizaine d'années, il demeura à Vienne où il acquit le grade de docteur en philosophie et divers diplômes scientifiques. En 1897, il s'installa à Berlin et devint membre de la ST. En 1905, il fut nommé secrétaire général de la section allemande.
Entretemps, au sein de la société théosophique, la présidente, Mme Besant fut conquise par C.W. Leadbeater qui deviendrait son conseiller. Né en 1847 et ancien d'Oxford, il avait été pasteur dans le Hampshire, puis après avoir eu des "visions", il s'était converti au bouddhisme et, finalement à la théosophie de la ST. La présidente, conquise par cet homme, s'associa à des recherches qui aboutirent à une rupture avec certains des enseignements essentiels d'H.P.B. Selon des textes occultistes du pré-Moyen Age et des ouvrages juifs du début de notre ère, le Jésus-Christ adoré des chrétiens n'était qu'un prophète qui fut lapidé, puis, à l'agonie, attaché à un arbre contre lequel il expira. Selon Besant et Leadbeater, le vrai Jesus-Christ aurait vécu 105 ans avant notre ère, son véritable nom aurait été Ben Sotada. Ils prétendirent que les douze apôtres n'avaient jamais existé, qu'ils avaient été introduits dans la légende occultiste pour signifier les douze signes du Zodiaque. Toujours selon eux, les Evangiles furent écrits en hebreu par un nommé Matheus, moine réformiste palestinien versé dans l'occultisme. Matheus, qui était très lié avec le prieur d'un monastère d'Alexandrie, lui suggéra de traduire son récit dans le style occultiste, en particulier avec des paraboles et des symboles, et ce dans un but politique et moral. Le prieur, intéressé, chargea quatre jeunes moines, Matthieu, Marc, Luc et Jean de rédiger, à partir de faits considérés comme admis, des interprétations variant selon l'imagination. L'Eglise qui condamna la ST n'a pas réagi officiellement "pour ne pas donner d'importance à ce qui n'en a pas". En avançant de cent cinq ans la date de naissance du Christ, Besant et Leadbeater purent faire dire à des textes occultes que le Christ s'était déjà reincarné trente deux fois et ils finirent par "démontrer" qu'il était réapparu dans la personne d'un jeune Hindou à l'intelligence prodigieuse: Krishnamurti. Annie Besant présenta son protégé comme une réincarnation de Jésus-Christ sous le nom d'Alcyone. La ST développa l'idée messianique de la proche apparition de l"'Instructeur mondial", maître spirituel qui unifierait toutes les traditions religieuses et fonderait la religion mondiale garantie du futur Ordre mondial. En 1910, elle fonda, à côté de la société théosophique, un ordre ésotérique destiné à faciliter la tâche du nouveau Messie, l'ordre de l'Etoile d'Orient, dont Alcyone-Krisnamurti fut désigné comme chef suprême.
Steiner, quant à lui, se refusait à suivre Annie Besant dans ses propos critiques à l'égard de la personnalité de Jésus. Il récusa les pratiques spirites et l'antichristianisme de la société. En 1913, la section allemande envoya un télégramme comminatoire à Adyar pour demander la déposition d'Annie Besant. Steiner fonda une nouvelle société théosophique à Dornach, près de Bâle et bien peu de théosophes de la section allemande restèrent fidèles à la maison d'Adyar. Il fonda à Berlin, la Société anthroposophique qui fut principalement une "université libre de sciences spirituelles". On doit à Steiner de nombreuses recherches en matière d'agriculture, de pédagogie, de biologie et de médecine.
Il est à remarquer que la société anthroposophique se mit en totale rupture face à la ST et retourna à un paradigme chrétien. Les écrits d'H.P.B. furent dés lors critiqués par les anthroposophes: "Malheureusement, Mme Blavasky avait cru devoir appuyer ces vues profondes sur de soi-disant faits historiques; or, elle ne possédait pas les qualités qui font l'historien. Manquant de documents, manquant du sens critique qui lui aurait permis de s'en servir utilement, elle ne put éviter de nombreuses erreurs" [26] . Lors de notre prise de contact avec un anthroposophe, celui-ci expliqua, tout sérieusement, que Rudolf Steiner, également clairvoyant, avait rencontré H.P.B. dans l'au-delà, et qu'elle aurait imploré l'homme de rapporter dans le monde d'Orphée et de Virgile le fait que de nombreuses erreurs furent émises dans la "doctrine secrète". Celle-ci aurait, paraît-il, joué avec les forces noires de la magie et aurait affaibli ses visions de l'au-delà. Steiner, qui avait suivi la voie du "noble clairvoyant", aurait, quant à lui, découvert la vraie vérité.
Quelle belle histoire, en effet, pour appuyer la nouvelle légitimité de l'anthroposophie qui se devait d'être charismatique et non rationnelle.

7) Krishnamurti.

- Krishnamurti se détacha peu à peu de la ST par une rupture consommée progressivement de 1922 à la mort d'Annie Besant. Il rejeta le rôle qu'on voulait lui faire jouer et suiva sa propre voie, en maître spirituel reconnu. Il se fit connaître dans le monde entier et se refusa à se poser en Maître. Il ne voulait pas de disciple. Il ne donna aucun conseil individuel. Il se borna à poser les principes qui devaient permettre à chacun de construire, selon son tempérament, sa propre méthode, pour se libérer. Il déclara: "Vous attendez qu'une autorité vous expose la vérité et vous l'impose. Vous adorez une personne et non la vérité. (...) La seule façon d'atteindre la vérité est de devenir, sans aucun médiateur, le disciple de la vérité elle même" [27] .
Comme nous l'a fait remarquer un membre de la ST, les théosophes "étaient en train de faire une nouvelle église avec lui". Cette unique tentative de la ST de s'ériger comme "religion" a ainsi été avortée en raison de la dissolution de l'Ordre de l'Etoile d'Or.

- Association culturelle Krishnamurti [28] ..
Krishnamurti se retira en Californie et écrivit une oeuvre philosophique et religieuse très importante qui fut à la base de cette nouvelle organisation. "L'activité de ces comités se limite à la distribution de vidéo et audio cassettes de Krishnamurti, et à des réunions d'audition de vidéo cassettes de Krishnamurti, avec service de prêt, etc. Les fondations de même que les comités n'ont aucune autorité spirituelle, ni le droit d'interpréter l'enseignement de Krishnamurti" [29] .

8) Alice Ann Bailey (1880-1949).

Elle naquit à Manchester. Elevée dans un couvent, elle se donna pour première mission l'évangelisation, ce qui l'amena en Inde. Ensuite, elle adhéra à la ST lorqu'elle émigra aux Etats-Unis. On lui demanda de quitter la ST en 1920 parce qu'elle aurait publié des documents volés à Leadbeater. En 1923, elle créa l'Ecole Arcane fondée sur la méditation occulte et le développement des pouvoirs spirituels. Elle se donna pour mission de "mobiliser l'énergie de bonne volonté dans le monde pour préparer le retour de l'Instructeur mondial, du Christ". En 1932, elle fonda l'Association Bonne Volonté mondiale.
Cette association est organisée en groupes de méditations reliés en pensée chaque semaine, et en réseaux de "Triangles": trois personnes s'unissant en prière chaque jour pour hâter la venue du Christ.
L'Association Bonne Volonté Mondiale a une correspondante en Belgique: l'Association Vie et Conscience, de la rue Delaunoy à Molenbeek, Bxl. Jean Barreiro, fondateur de ce mouvement, a été pendant une courte période secrétaire général de la ST belge. Il a été amené à démissioner de celle-ci en raison de ses nombreuses dissensions avec les membres. En 1988, il a crée l'Association Vie et Conscience qui ne réfute rien de la théosophie. Ce mouvement comporte une école ésoterique et un ordre initiatique: l'Ordre des Chevaliers de la Rose d'Or, l"'Ocro".

9) L'aryanisme germanique.

Certains théosophes allemands donnèrent un sens antisémitique à l'oeuvre de H.P.B. Un sens que apparemment n'aurait jamais eu la clairvoyante. Si elle entendait se dresser contre le "Dieu des Juifs", ce n'était pas pour condamner la race juive, mais pour lutter contre les forces attribuées au "dieu-mâle" [30] , le "Tout-Puissant". Un de ces dissidents fut le général Karl Haushorfer qui aurait été l'initiateur d'Hitler à l'occultisme. "Après la défaite allemande lors de la première guerre mondiale, il créa une science nouvelle qu'il appela la "Geopolitik", dont on lui confia plus tard la chaire, à Munich. Parmi ses étudiants, il recruta quelques adeptes fameux dont Rudolf Hess. Il constitua une "Société de Géopolitique", organisation pseudo-scientifique d'inspiration mi-spirite mi-théosophique, qui se révela bientôt être l'instrument du national-socialisme allemand romantique (...) Selon leur théorie, au début du règne de l'homo sapiens, l'actuel continent arctique était une terre fertile peuplée par une race d'hommes blonds, brachycéphales. Tandis que les autres races étaient encore sauvages, ces Nordiques jouissaient d'une civilisation remarquable. Ils avaient établi une morale s'appuyant sur le culte de l'honneur. Cette race élue s'appelait la race aryenne" [31] .
A la suite d'un cataclysme les Aryens ou Hyperboréens se seraient dispersés en Allemagne, aux Indes et jusqu'en Grèce. Leur signe distinctif fut le svastika ou croix gammée. Hitler, initié à l'aryanisme germanique, plaça dés lors son combat sous le signe sacré du svastika [32] . "Ainsi le bouddhisme pur, débarassé des doctrines théosophiques, apparaissait comme une doctrine germanique" [33] .
Inspiré par cette idéologie, une société secrète en naquit, et se donna le nom de " Groupe de Thulé ", groupe qui rassembla des amateurs de sciences occultes et d'ésoterisme. Hiltler, toujours selon Lantier (op.cit.), comptait au nombre des sympathisants qui assistaient aux réunions. Rudolf Hess y était affilié. Tout deux s'en sont inspirés pour le national-socialisme.
Dans ce même mouvement, on entendit également parler de l"'Ordre du Vrill" qui se présenta comme une maçonnerie néo-nazie.

10) La Nouvelle Acropole [34] .

Le fondateur de ce mouvement fut Jorge Livraga, né le 03-09 1930. Celui-ci, d'abord membre de la ST en Argentine, fit entrer de nombreux jeunes à la ST comme "membres non attachés", c'est-à-dire qu'ils n'appartenaient pas aux branches de la ST d'Argentine mais étaient sous le contrôle charismatique de Livraga. Le conseil d'administration de la ST, alarmé par cette activité qui gagnait en force et en ampleur, y vit une tentative de mainmise sur la ST en Argentine. Celle-ci changea ses statuts pour empêcher la prise de pouvoir de Livraga et l'expulsa par la suite en 1962. Ce dernier intenta un procès à la ST qu'il ne gagna pas. Il décida par après de fonder son propre mouvement.
La Nouvelle Acropole choisit d'implanter à Bruxelles sa structure administrative internationale. Sa structure belge, lancée en 1977, connut un essor jusqu'en 1984, date à laquelle le mouvement commença à s'essouffler.
Ce mouvement conteste la démocratie actuelle et la suprématie absolue de la raison. "Il donne une place à l'initiation et l'expérience -mentale, psychologique, mais aussi physique-, conteste l'égalitarisme absolu, prône la "méritocratie", enfin, -et cela marque les esprits- salue le bras levé, "à la romaine" [35] " .


IV - Conclusions.

Si certains groupes s'étaient déjà formés à partir de textes théosophiques, tels que les Boehmistes et Swedenborgiens, ils restaient dans un groupe restreint et secret. Les textes restaient hermétiques et nécessitaient une initiation afin d'être compris. Mais arrive l'époque des trois Révolutions et son rejeton, la Modernité.
Riffard écrit que "Le XIXème se veut dévoilement de l'ésoterisme" [36] . Il parle même de vulgarisation. Ce dévoilement suit une idée qui planait dans l'air du temps: la démocratie. Depuis le spiritisme et la ST, il y a volonté d'offrir au public l'ésotérisme sans devoir passer par une élite religieuse, supposée unique interprête des textes ésotériques, et par un société d'initiation et ses multiples grades. Il y a dans ces mouvements une idée de "protestantisme" et un désir d'offrir un choix et un esprit d'interprétation à tout en chacun [37] .
Ces textes ont reçu un apport des religions orientales (occidentalisées) par l'intermédiaire de la ST et d'Alain Kardek, et se sont, en quelque sorte, transformés, ou faussés selon Guénon. La ST s'est dés lors accaparée la théosophie et l'a adapté à son propre paradigme. Elle l'a non seulement élargie par une orientalisation (doctrines bouddhiques et hindoues), mais aussi modernisée (la ST présente sa doctrine comme ayant été pensée avec des méthodes scientifiques et ce dans un éthos démocratique), et l'a changée (ou restreinte pour les traditionalistes ésotéristes) en supprimant le caractère initiatique des mouvements occultistes, pour la sortir du champ strictement ésotérique en luttant en avant-grade pour l'émancipation de la femme et contre le colonialisme.
La question est de savoir si la ST a pu établir un pouvoir social par une expropriation, une traduction et une représsion de cette orientalisation et modernisation de la théosophie. La réponse, à notre avis, est négative. La ST en orientalisant la théosophie ne l'a pas érigée en une religion. La ST étant un culte, c'est-à-dire en partie un groupe mystique, elle présente une réaction de prise de distance vis-à-vis des institutions. "La ST a été créée, fondée précisement, par des personnes qui se rendaient compte qu'à notre époque, on était trop dominé par des théories, et par des religions et parce que tout cela empêchait à l'homme d'avoir une libre circulation de sa pensée dans toutes sortes de domaines" [38] . Dans le fondement même de la ST, celle-ci ne peut s'ériger en une religion, c'est-à-dire en un pouvoir social (même si il y eu dérapage, voir Besant et Krishnamurti), parce que celle-ci lutte justement contre les dogmes de toutes les factions. Elle a été créée pour rendre "sacré" [39] la théosophie, mais non pour la métamorphoser en une religion.
A la mort des dirigeants, le paysage de la ST s'est changé. Certains groupes se sont mis en dissidence d'Adyar, d'autres sont retournés à une vision plus chrétienne de la théosophie et/ou ont réintégré les principes d'initiation. Plusieurs mouvements, péréclités et/ou toujours en activité, ont touché de près ou de loin à la Société Théosophique, et s'en sont inspiré pour leur propre culte.
La ST a débuté en 1875 et est toujours d'existence. Même si la famille nucléaire de la ST est restreinte de nos jours à environ 30.000 membres officiels (le nombre de membres officieux est inconnu), la multitude de doctrines et de mouvements influencés de près ou de loin est conséquent. De plus, la ST, est selon nos yeux, la déesse féconde du New Age. Mère et fille prodigue qui feront l'objet d'un prochain article dans Murmures d'Irem.



     [1]    On cite le nom de Pot‑Amoun, un égyptien d'avant les Ptolémées, comme celui du prêtre magicien qui fut le plus ancien maître de la théosophie archaïque.

     [2]    Le néo‑platonisme, ou école d'Alexandrie, est une doctrine philosophique qui prit naissance à Alexandrie (IIIème siècle avant J.C.), et dont les adeptes mêlaient certaines idées mystiques à celles de Platon.

     [3]    Simmel Georg, Secret et sociétés secrètes, Ed. circe, 1991, p. 67.

     [4]    Simmel, op. cit., p. 110.

     [5]    Philosophie de la nature qui est une tentation d'amener au jour la "Nature" qui a été, selon son enseignement, un perpétuel refoulé du christianisme.

     [6]    Traduction de l'anglais de Stark and Bainbridge, The future of religion, University of California Press, L.A., 1985, p.251.

     [7]    Philippe Bacq, Après la mort, résurrection ou réincarnation-, in La Loi et le Temps, XXIII(1993‑l).

     [8]    Dissident de la S.T., il a fondé la société anthroposophique en 1913 et a conservé notamment cette idée de progrès dans la reincarnation. Des explications plus avantageuses suivront dans le prochain chapitre.

     [9]    Philippe Bacq, Après la mort, Résurrection ou Réincarnation-, in La Loi et le Temps, XXIII(1993‑l), p.67.

     [10]    Guénon René, Le théosophisme: histoire d'une religion, Ed. Traditionnelles, p.8.

     [11]    Op cit., p.l0.

     [12]    Vernette Jean, Le new age, PUF, Paris, in collection "Que sais‑je-", 1992, p.34.

     [13]    Extrait d'interview.

     [14]    Guénon René, Le théosophisme, histoire d'une pseudo-religion, Ed. traditionelles, 1922, P.27.  

     [15]    En 1986, cette même société d'études psychiques s'est désavouée des conclusions qu'elle avait émises en 1885. Nous ne connaissons pas les raisons et circonstances de ce revirement.

     [16]    Riffard Pierre, L'ésoterisme, Ed. Laffont, 1990, p. 814.

     [17]    Faivre Antoine, L'ésoterisme, PUF, Paris, 1992, p. 94.

    18]    Extrait d'interview.

     [19]    Headquarters (H.Q.): Post Office Bin C, Pasadena, CA 91109, USA.

     [20]    H.Q.: Los Angeles, Californie, 90007, Thesophy Hall, 33 rd. St. and Grand Ave. Contact pris par correspondace à cette adresse: 11 bis, rue Keppler, 75116, Paris.

     [21]    Extrait de la déclaration de la Loge Unie des Théosophes.

     [22]    Association Rosicrucienne, Max Heindel, 19, chemin de la Passe d'armes, 59700, Marc‑en‑Baroeul, France.

     [23]    Orde qui se perd dans la nuit des temps du Moyen Age et qui a été revitalisé sous le nom d'A.M.O.R.C. (Ancien et Mystique Ordre Rosae Crusis) en 1908 par H. Spencer Lewis. Le groupe se présente comme un mouvement philosophique, s'intéressant "aux lois et aux principes cosmiques aussi bien qu'à la connaissance initiatique et traditionnelle".

     [24]    H.Q.: Mt Ecclesia, P.O. Box 713, 2222 Mission Ave, Oceancide, California, USA 92054.

     [25]    H.Q. en Belgique: Secrétariat de la Société Anthoposophique (S.A.), Kardinaal Mercierlei, 15B, 2600 Anvers.

     [26]    Rihouet S. & Coroze, Qui était Rudolf Steiner, une épopée de l'esprit au 20ème siècle, Ed. Triades, Paris, p. 156.

     [27]    Citation soulignée par Jacques Lantier, op.cit.  

     [28]    H.Q.: Krishnamurti Foundation Trust Ltd, 24, Southend Road, Bekenham, Kent BR3 lSD England. Comité Belge Krishnamurti, 36 rue Charles Bernaerts, 1180 Bruxelles.  

     [29]    Secrétaire du Comité belge Krishnamurti, lettre du 18‑01‑1994.  

    [30]    En relation avec le mythe d'Isis vu à la section II.1 (Murmures d'Irem, 2, p.36).

     [31]    Lantier Jacques, La théosophie, p.211.

     [32]    Les théosophes définissent le svastika, symbole qui fait partie de l'emblême de la S.T. comme "le symbole du soleil et du système solaire, de l'énergie tourbillonnante, créatrice de l'univers. Les bras de feu qui le composent tournent dans le sens des aiguilles d'une montre, c.à.d. dans le sens de la force évolutive". Directement, ils se positionnent contre le national socialisme en déclarant "que ceux (les bras) de la croix gammée, qui sont devenus dans les temps modernes le symbole de la haine, de l'égoïsme, de la tyrannie et de la torture se meuvent dans le sens contraire, celui des forces destructives".

     [33]    Lantier Jacques, La theosophie, p. 211.

     [34]    30, rue du lac, BXL.

     [35]    Lallemand Alain, article du soir, 26 octobre 1993.  

     [36]    Riffard Pierre, L'ésoterisme, Robbert Laffont, Paris, 1990, p.806.

     [37]    Nous parlons ici d'un esprit général qui n'empêche bien entendu pas les nombreux dérapages dont s'accapare la presse populaire.

     [38]    Extrait d'interview.

     [39]    C'est-à-dire selon notre propre paradigme sociologique: non institutionalisé.

 
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